Après son premier roman, Le Démon de la Colline aux Loups, Dimitri Rouchon-Borie, journaliste spécialisé dans la chronique d’affaires judiciaires, publie Ritournelle. Entre fiction et non-fiction, il y mêle récit à suspense, poésie du détail et psychologie criminelle avec une langue puissante qui vous tient jusqu’à la dernière phrase.
Le texte de Ritournelle a d’abord été une chronique judiciaire. Celle-ci a fait l’objet d’une publication dans un recueil chez La Manufacture des livres en 2018. En janvier dernier, Dimitri Rouchon-Borie signait chez Le Tripode son premier roman, Le Démon de la Colline aux Loups, très bien accueilli par la critique. Une fois l’écriture du roman achevé, l’auteur décide de reprendre et de retravailler cette chronique de fait divers. Mais en la mêlant, cette fois, à l’imaginaire pour combler les vides de l’enquête. Et tenter de répondre par la fiction à l’énigme et au spectacle de l’horreur.
Monstres ordinaires et banalité du mal
L’histoire qui nous est racontée dans Ritournelle prend ses sources dans un fait divers, qu’on devine rapidement être un homicide. Le narrateur, à la première personne, nous introduit dans le tribunal pour assister au procès des accusés. M. Ka, M. Ron et M. Petit se tiennent successivement à la barre et répondent aux questions du juge. Qui est la victime ? Comment se sont déroulés les événements ? Qui sont exactement les coupables et pour quelles raisons ont-il agi de la sorte ? Autant de questions qui s’accumulent dans la tête des lecteurs au fur et à mesure du récit. Contrairement à un article de journal dont le titre éclaircirait directement certaines de ces interrogations, le roman cultive le suspense et questionne les concepts de mal et la figure du monstre dans nos sociétés.
« Le corps entre soudain dans la lumière des phares, projecteur mortuaire pour éclairer le dernier passage. Avant le coffre. Puis l’oubli. »
Ritournelle, Dimitri Rouchon-Borie,
Les réflexions de Dimitri Rouchon-Borie rappellent Hannah Arendt et sa théorisation de la banalisation du mal. Notamment avec le cas Eichmann et le nazisme. Dès le début du roman, l’écrivain s’étonne du « visage ordinaire » des accusés face à l’extraordinaire de la situation et l’horreur de leurs actes. Le lecteur les découvre peu à peu, parfois comme des monstres violents, ailleurs comme des êtres humains pétris de souffrances et de contradictions. Dans la lignée du Démon de la colline aux loups, l’auteur réitère son intérêt pour la psychologie criminelle et cherche à comprendre les enchainements qui poussent des êtres humains à une telle cruauté.
La violence est partout dans le roman. Dimitri Rouchon-Borie nous dépeint des rapports humains où la loi de la jungle gouverne. Dès qu’une once de peur ou de faiblesse transparait dans les comportements des uns, les autres en profitent pour asseoir leur domination par les mots et les coups.
C’est tout en poésie que l’écrivain nous dévoile un monde en décomposition, à l’image de cette rose baignant dans une bouteille de whisky, qui lui sert de vase. Au centre des préoccupations : l’argent, la force physique, l’alcool ou les stupéfiants qui altèrent les relations humaines entre les personnages.
« Il y a un silence dans la salle. De ces silences qui n’appartiennent qu’aux cours d’assises. On ne sait pas bien s’ils soulagent. S’ils pèsent trop. On ne sait pas bien s’ils sont une fin. Ou s’ils sont un seuil. Mais leur densité nous oblige. Personne ne murmure. Personne ne renifle ni ne tousse. Les escortes sont figées. Les jurés, statufiés. L’accusé, debout, tête basse, n’ose pas lever la tête. »
Ritournelle, Dimitri Rouchon-Borie
Une totale liberté dans la forme
Le récit se présente dès la note de l’éditeur comme une œuvre hybride. Celle-ci utilise les ressorts de la fiction pour alimenter un imaginaire et une réflexion autour d’un fait divers réel non-fictionnel. Au début du roman, le lecteur suit le regard du chroniqueur judiciaire présent au procès qui s’exprime à la première personne et croque l’étrange tableau qu’il a sous les yeux. Les personnes, les lieux, la lumière, les rictus et bon nombre d’autres petits détails. Ils contribuent à la création d’une atmosphère réaliste tout en privilégiant une poétique du détail pleine de sensibilité.
Le narrateur va même jusqu’à décrire son projet d’écriture comme une rêverie rendue possible par son statut de spectateur et à évoquer son processus de composition du réel. Là où l’aporie du langage ne permet pas d’avoir une réponse sur les raisons de ce drame, le narrateur cherche dans les visages des accusés des clefs de compréhension à cette énigme. Ce qu’il y trouve n’est pas la vérité que tous auraient souhaitée, mais une histoire à raconter pour combler les vides laissés par le silence et les mensonges.
« Il y a ceux pour qui le texte officiel est un récit. Ceux pour qui il est un supplice. Et ceux pour qui il n’est qu’un outil. J’en fais le prétexte à des rêveries. Empathie saugrenue avec le réel, avec un passé dont j’ignore tout. Je m’empare des mots de la magistrate. J’imagine, je recompose, pour moi-même, le tableau des origines. Celui qui nous a tous conduit là, aujourd’hui. »
Ritournelle, Dimitri Rouchon-Borie
Le roman, hybride, conjugue différentes formes, comme dans un exercice d’écriture. On y retrouve de longs dialogues, des descriptions minutieuses, des passages poétiques plus expérimentaux… Dans un chapitre, le chroniqueur judiciaire s’exprime à la première personne, puis il disparaît. Plus tard, c’est un accusé qui s’empare de la parole. Peu à peu, la chronique judiciaire factuelle semble contaminée, submergée par l’imaginaire de l’écrivain. Cette ouverture du texte à la fiction lui offre une grande liberté des formes et rend la lecture fluide et agréable, certainement bien plus que pour des chroniques judiciaires ou des articles journalistiques.