CINÉMA

(Re)Voir « Ava » : premières et dernières fois

Ava © Bac Films

En 2017, sortait le premier film de la réalisatrice Léa Mysius, diplômée de la Femis en 2014. Elle offrait son premier rôle à la jeune actrice Noée Abita, qui y joue l’éponyme Ava, jeune adolescente condamnée à perdre l’usage de la vue. Un conte caniculaire coproduit par Arte. À (re)voir cette semaine sur OCS.

Ava -qui signifie « je désire », a treize ans. Au moment du tournage, Noée Abita en a en réalité quatre de plus. Ce faux âge dépeint un personnage encore plus téméraire et mystique qu’elle ne l’est déjà. Le premier jour du casting, elle est la cinquième personne que l’équipe du film rencontre. Quand elle entre dans la salle, tou·tes  sont unanimes sans même se concerter : c’est elle, explique la réalisatrice dans une interview d’Olivier Père au Festival de Cannes de 2017. Noée véhicule « la même ambiguïté que le personnage : sous ses airs de femme enfant, elle est douce et dure à la fois ».

Une pellicule servant le propos

Les premières minutes du film nous plongent immédiatement dans une version moderne des Vacances de monsieur Hulot. Très vite, une menace règne : un chien noir, dès le deuxième plan, nous mène à Ava sur fond de notes stridentes insufflant un danger qui contraste fort avec les rayons du soleil et les bruits marins. À l’ouverture des yeux d’Ava, le chien s’enfuit. Elle le poursuit. Il la mène à son propriétaire, Juan, personnage dont elle tombera doucement amoureuse.

Noée Abita et Juan Cano  © Bac Films

Dans ce premier film, les partis pris visuels sont très affirmés, décuplés par son support, le 35 mm. Les peaux, les corps, le sable… tant de textures que la pellicule sublime autant que les couleurs, essentielles au thème de la cécité mis au centre du récit. La peinture noire que s’étale Ava sur le visage, l’argile qu’ils s’étaleront mutuellement, renvoient à certaines scènes poétiques de La danza de la realidad de Jodorowsky. Les couleurs sont vives, très godardiennes. On pourrait presque dire qu’Ava est une version féminine et mineure du mythique Pierrot le fou. Les casques de char à voile roses, les murs bleus et rouges… rien n’est là par hasard.

En effet, plus les minutes avancent et plus les teintes sont précieuses. Toutes susceptibles de disparaitre d’une seconde à l’autre. Le thème principal ne nous donne pas d’autre choix que de contempler chaque plan comme si il était le dernier. Et d’autant plus à partir de cette séance chez l’ophtalmologue, où la sentence tombe. Atteinte d’une rétinite pigmentaire, notre protagoniste est définitivement destinée à perdre la vue. « Est-ce que mes rêves vont disparaître aussi ? », se demande la jeune femme, oscillant constamment entre désir et désespoir, désillusion et espérance.

Pluralité de genres, références à foison

Léa Mysius, toujours dans la même entrevue à Cannes en 2017, définit le long-métrage comme une « métaphore de l’obscurantisme (…) Ava ressentant une menace, ayant peur du monde extérieur ». Métaphore d’un avenir toujours plus dur à entrevoir, aussi. Dès l’écriture du scénario, son pari fut de mélanger les genres. Pari réussi. En effet, le début du film s’inscrit dans un courant naturaliste, puis évolue peu à peu vers l’univers du conte pour enfin s’inscrire dans un pur film de genre. « Cela épousait l’émancipation d’Ava. Elle préfère le surréalisme au réalisme, les fantasmes au réel ». Dans ce conte aux allures lynchiennes, on réalise vite la toxicité émanant de ce duo mère-fille aux rôles inversés, infantilisant la très juste Laure Calamy.

Laura Calamy et Noée Abita © Bac Films

Les yeux d’Ava saignent dans ses rêves, rêves filmés comme Federico Fellini les aurait dessinés. Cette cécité précoce ne fera que décupler la hardiesse de cette adolescente poussée à vivre chaque instant plus intensément, en exacerbant ses autres sens, aussi. A l’instar de Charlotte Gainsbourg dans l’Effrontée de Claude Miller, Ava est romanesque, à fleur de peau, et pourtant persuadée d’être dénuée de sentiments. « Ma mère dit que je suis sans cœur. Elle a raison, je ne ressens rien ».

On comprend vite que la hantise d’Ava est « de n’avoir vu que la laideur ». La photogénie des comédiens est éblouissante, sublimée par une bande originale éclectique, allant d’Amadou & Mariam à Sharon Jones en passant par Rosemary Standley & Dom La Nena. Les deux adolescents semblent tout oser, tout enfreindre, et nous emportent avec eux en pleine canicule, sans nous laisser le temps de les quitter des yeux.

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