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Rencontre avec Jay-Jay Johanson — « Je continuerai à faire ce que je fais car c’est ce je fais de mieux »

Jay-Jay Johanson
© Thomas Soulet

C’est dans l’appartement de son producteur que nous avons pu rencontrer le Chet Baker des temps modernes. Jay-Jay Johanson nous présente son 13ème album studio de Rorschach Test, tout en restant dans la continuité du sublime King Cross sortie en 2019.

Jay-Jay Johanson, le crooner suédois, est de retour avec un album délicat et poétique Rorschach Test. Voilà maintenant 25 ans que Jay-Jay nous délecte de ses chansons d’amour qui retournent et font chavirer les cœurs. Sorti tout droit de la musique trip hop des années 90, le suédois en a fait sa marque de fabrique. Album après album, il ne fait que concilier sa position de maître dans ce genre mélangeant jazz, hip-hop et électronique. Sur ce nouvel opus, Le chanteur nous demande ce que l’on ressent, éprouve, perçoit face à ces dix manifestes remplis de romances. Un test de Rorschach mais pour nos oreilles. C’est dans le 7ème arrondissement que nous avons eu la chance de rencontrer le musicien blond aux yeux bleus. Jay-Jay, discrètement timide, nous raconte les secrets derrière son nouvel Lp, nous parle de son amour pour le cinéma, et nous délivre ses prochains projets. Une rencontre hors du temps.

© Laura Delicata

Ton nouvel album s’intitule Rorschach Test qui est un outil utilisé pour l’évaluation psychologique. En quoi la musique peut-être ressentie comme une thérapie ?

Une des idées première, pour nom de l’album, vient du fait que je réfléchissais à cette façon dont on parle de la perception et de l’analyse des gens face aux images. Comment ils ressentent ce qu’ils voient. Mais nous avons peu de retour de ce genre de chose avec la musique, de comment on l’écoute, de quel effet peut avoir une chanson sur nous et comment nous nous sentons quand nous l’entendons.

Je reçois tellement de lettres de fans qui me parlent de comment mes chansons ont pu les aider à travers certains moments de leur vie. Mes chansons signifient beaucoup de choses et de différentes façons pour énormément de personnes différentes. Donc j’ai pensé, inspiré par le test de Rorschach, qu’au lieu de faire dix illustrations je ferai dix chansons.

Puis, il y a aussi le fait que cette année est le centième anniversaire du test qui a été inventé par Hermann Rorschach en 1921. Un coup de chance car j’ai commencé à penser à tout ça il y a deux ans environ et donc quand je m’en suis rendu compte j’ai vu ça comme un signe. En fin de compte, c’était bien plus que moi en train de faire dix chansons et de les chanter pour que les gens me disent comment ils les perçoivent. Elles leur permettront sûrement de savoir beaucoup plus sur eux-mêmes ou de savoir qui ils sont.

Dans ton premier single Why Wait Until Tomorrow nous avons l’impression que tu as perdu quelqu’un ou quelque chose. Tu parles d’un rendez-vous au cimetière. Est-ce la raison du pourquoi cette chanson est sur le fait de devoir profiter des choses et des gens qui nous entourent dans le moment présent ?

Oui tu as raison, il y a certains passages qui sont assez sombres comme il y a d’autres chansons sur l’album où il y a un peu cette idée de Dracula. Être éveillé la nuit et dormir toute la journée. Un peu comme ce que je fais sur la pochette de l’album avec ce test de Rorschach volant au-dessus de moi comme un cauchemar. Il y a un peu cette idée de vampire. Aussi, à l’époque de l’album Poison, les gens se demandaient ce que je faisais. Si j’allais enterrer quelqu’un car je suis dans la forêt avec une pelle, faisant un trou. Puis on voit quelques cheveux dépasser du coffre de la voiture. C’est un peu la même chose ici. Ce n’est pas évident de comprendre pourquoi cette journée au cimetière. Est-ce une idée romantique gothique ? Ou est-ce quelque chose qui s’est passé ou qui va se passer ? (rires)

J’ai dû écrire six ou sept couplets pour cette chanson. Pour au final n’en retenir que deux. Le fait de ne pas mentionner les quatre ou cinq autres couplets, cette chanson devient complètement abstraite et j’aime ça. Mon anglais est de toute façon évident, mes mots sont très directs donc c’est plus sympa si leurs sens sont un peu cachés.

Penses-tu qu’il est mieux d’avoir des regrets ou des remords ?

Pour moi-même, j’essaye de ne pas trop planifier le futur, de ne pas trop y mettre d’espoir. Donc j’essaye le plus possible de rester dans le présent même si c’est assez difficile car parfois tu as besoin d’un certain type de planification.

Disons que quand on fait un concert, si seulement 30 personnes viennent au lieu de 300, je suis heureux de jouer pour ces 30 personnes car elles sont venues. Je ne dirais jamais  : «  Quoi ? ! mais où est le reste des gens ? Pourquoi ils n’ont pas vendu plus de tickets ?  ». Je ne serais jamais déçu comme ça. Je ne me donne jamais de gros espoirs en me disant qu’on va remplir la salle. Même si c’est souvent ce qui arrive car je suis assez chanceux la dessus. (rires) Je ne mets pas la barre trop haute car souvent on se retrouve déçu.

Pour les regrets, j’essaye de ne pas trop regarder en arrière. Je sais que tout ce que je fais et que j’ai fait semblait être la bonne chose à faire à ces moments précis. Donc aujourd’hui, je ne peux plus avoir d’impacts sur ces choses du passé. Bien sûr on fait tous des erreurs. Comme dépenser trop d’argent sur quelque chose où on aurait jamais dû dépenser autant tout simplement. Mais regretter est insignifiant, ça n’aide en rien.

J’essaye de vivre le plus possible dans le moment présent et ça a été extrêmement dur l’année dernière. Pour les 25 dernières années j’ai toujours su ce qui allait se passer. La prochaine tournée, le prochain album, je savais que l’argent allait arriver alors que l’année dernière a tout chamboulé et ça pour tout le monde. Je ne sais même pas ce qui va arriver aujourd’hui.

Pour le clip de Why Wait Until Tomorrow, tu marches dans Paris vide à cause du confinement. Quelle sensation as-tu eu de voir notre capitale comme ça ?

C’était fabuleux. Nous avons commencé à filmer vers neuf ou dix heure du soir. Il y avait encore quelques voitures et taxis qui circulaient. Mais après quelques heures, c’était complètement vide. Silencieux. Et ça c’était magique parce qu’avec toute l’équipe on s’est sentie «  Woaw !  ». Tout ça n’est pas arrivé depuis peut être la seconde guerre mondiale et n’arrivera sûrement plus jamais. Donc on a ressenti qu’on faisait quelque chose de rare. C’était un moment magique de pouvoir capter ça.

Jay Jay Johanson dans Paris vide. © Benni Valsson
© Benni Valsson

Parlons musique. Elle est comme un cercle vertueux. La funk et le disco reviennent à la mode, le post punk monte en flèche. Qu’en est-il du trip hop ? Sachant qu’il y a quelques années, tu as dit dans une interview que plus personnes ne voulait utiliser le mot « trip-hop ». Pourquoi ce sentiment ? Et que représente-t-il aujourd’hui à tes yeux ?

Je pense qu’il y a toujours de nouveaux et jeunes artistes qui sortent des choses innovantes et mentionnent que leurs références viennent de la scène trip-hop. Par exemple, il y a quelques années FKA Twigs parlaient beaucoup de cette scène comme inspiration. Disons que ce sont plus les journalistes qui ont arrêté de mentionner ce terme. Et pour moi ce n’est pas grave.

J’ai sorti mon premier album pendant une période où ce style était dans la tête de tout le monde. Et aujourd’hui je n’ai pas vraiment changé car c’est mon truc le trip hop. Alors je continue dans ce sens-là. Par exemple, Chet Baker a commencé dans la scène jazz de la côte ouest en 1953-1954. Et il était tout le temps, même si il a changé un peu de style vers la fin de sa carrière, assimilé et référencé comme un joueur de jazz be bop de la côte ouest. Donc je pense que peu importe ce que je fais, on se rappellera toujours de moi dans cette époque-là où le trip-hop a commencé.

Même si j’ai fait des changements de temps en temps, les racines de ma musique se tournent vers ce style musical et définissent qui je suis. C’était une bonne chose pour commencer car c’était sombre et abstrait et ça l’est toujours. Pour les adolescents aujourd’hui, ils ne le comprennent pas vraiment car ils n’ont pas encore cette référence à cette époque pour le moment. Peut-être qu’ils y viendront grâce à ce cercle dont tu parlais.

Je me souviens que quand j’étais jeune dans les années 80 et les débuts des années 90, on écoutait les Stones Roses ou les Happy Mondays et toute la culture jeune était impliquée là-dedans. Et ça n’a pas pris beaucoup de temps pour réaliser que leurs références sont la scène psychédélique des seventies. Ce qui a créé une sorte de revival de ces groupes comme Status Quo, Sly and The Family Stone et d’autres groupes étranges grâce à ces jeunes artistes. Ça pourrait m’arriver quand le cercle tournera entièrement. Mais je continuerai à faire ce que je fais car c’est ce je fais de mieux. Et si ce cercle peut arriver jusqu’à moi et bien tant mieux.

Revenons sur ton album. I Don’t Like You est un duo. Peux-tu nous parler de ta partenaire sur ce morceau ?

Sadie ? C’est une grande femme. Elle vient de Miami mais elle vit à Stockholm depuis une éternité. Nous avions déjà fait un duo sur mon 3ème album Poison sur la chanson Alone Again. Je ne m’étais jamais vraiment dit que j’allais rechanter avec elle jusqu’à ce que j’écrive cette chanson et que je me dise «  Ah ! Il faut j’appelle Sadie  ». Sinon j’aimerais tellement l’emmener avec moi en tournée. Elle est exceptionnelle.

Comment vous-êtes vous rencontrés ?

Quand j’ai signé chez BMG, elle était également signée chez eux et avait déjà sorti deux albums très rn’b. Elle était danseuse pour une troupe hip-hop et faisait pas mal de tournées pour danser sur scène. Elle n’aura fait que deux albums solo. Ils voulaient qu’elle soit un peu comme TLC à l’époque. Puis ça n’a pas vraiment pris donc elle a décidé de reprendre un travail normal. Donc c’est comme ça qu’on s’est rencontré car on se croisait souvent au label. Puis je lui ai proposé de venir enregistrer avec moi Alone Again.

Est-ce que tu peux nous expliquer le titre de ta chanson Andy Warhol’s Blood for Dracula ?

C’est la musique du générique d’un film qui s’intitule Blood For Dracula. Et c’est Andy Warhol qui l’a produit. Ce générique a été écrit par un compositeur italien qui s’appelle Claudio Gizzi dans le début des années 70. Tous les films de Warhol sont des petits budgets mais celui-ci est vraiment bien. C’est assez drôle car c’est Dracula en Italie qui recherche le sang des vierges mais il n’en trouve aucune car il ne croise que des prostituées. Il devient complètement déprimé à cause ça. (rires) C’est vraiment très drôle. Claudio Gizzi a composé beaucoup de musiques pour les films de Warhol et elles sont toutes très belles.

Tu me parles de cinéma et ça me fait penser que souvent pour tes pochettes d’album tu t’inspires de films et de réalisateurs. Par exemple pour Poison on y voit un clin d’œil à Hitchcock, ou encore l’album Whiskey à Milus Forman. Pour cette nouvelle pochette d’album qui t‘a inspiré ?

C’est amusant car cette photo est une image fixe d’un film que j’ai fait. J’ai scotché la camera au plafond pour me filmer quand j’allais me coucher. En fait, ça fait partie d’un exposition que je prépare en Belgique pour cet automne qui s’appelle Empty Beds. Je travaille dessus depuis environ 20 ans et cette exposition c’est juste une petite partie de ce grand projet. Elle aurait dû commencer il y a un an mais à cause du Corona Virus ça n’a pas pu avoir lieu. Si elle avait été lancée l’année dernière je n’aurai sûrement pas utilisé cette image pour ma pochette. Mais vu que l’album est sorti avant l’exposition je voulais montrer cette photo qui devient un lien pour cet automne.

© Jay-Jay Johanson

Tu as composé aussi de la musique pour des films. Il y a La confusion des genres et La troisième partie du monde. Est-ce que tu as de nouveaux projets ?

J’ai aussi participé à deux autres films ces trois dernières années. Ce n’était pas une bande son entière, juste quelques chansons. J’ai pas mal de projets qui viennent à moi mais cela dépend souvent du timing. Car si je suis au milieu d’un travail je ne lis même pas les demandes parce que je ne peux pas me concentrer dessus. Mais si le timing est bon j’aimerais beaucoup travailler pour des projets cinématographiques à nouveau. Mais les deux films pour qui j’ai composé ont été fait de façons très différentes.

Le premier que j’ai fait, La Confusion Du Genre, le film avait déjà été réalisé et monté. Le réalisateur me l’a envoyé et m’a demandé de composer dessus. Donc je l’ai regardé plusieurs fois puis j’ai fait quelques thèmes musicales pour chaque personnage pour ensuite mettre tout ça ensemble afin de lui renvoyer. C’était très stressant car il me faisait beaucoup de retour comme «  non, ça c’est trop sombre », «  tu n’as pas vraiment saisie l’ironie de cette scène  »,… Du coup, à la fin à cause du stress, ils n’ont pas pu utiliser toute la musique que j’avais composé et certaines scènes sur lesquelles j’avais écrit de la musique sont restées silencieuses.

Alors que pour l’autre film, La Troisième Partie Du Monde, on m’avait déjà envoyé le scénario bien longtemps avant le début du tournage. Donc je l’ai lu et j’ai essayé d’imaginer les images pour commencer à composer. Mais au final je n’ai pas vraiment apprécié travailler sur ces deux façons de faire. Ça a pris beaucoup trop de temps pour le 2ème film et beaucoup trop stressant pour le 1er. Donc l’idéal serait peut-être quelque part entre les deux. (rires)

Revenons sur l’album. L’une des meilleures chansons de l’album est Cheetah. À quoi ou à qui réfères-tu cette bête qui se prépare pour la guerre ?

Pour être honnête, la chanson parle des hommes. Les infidèles (ndr  : jeu de mot avec Cheetah et Cheaters). Je parle de tromperie, de ces hommes qui trompent leur femme ou petite amie. Ceux qui sortent la nuit dans les bars, restaurants ou clubs et qui chassent des jeunes femmes. Et donc je joue sur les mots en les appelant Cheetah.

C’est drôle parce que je réalise que souvent sur mes albums et spécifiquement sur ce dernier opus, les chansons sont dans un ordre chronologique de composition. La première chanson que j’ai écrite sur l’album était Romeo. Et donc la dernière était Cheetah. Ici, je voulais trouver un lien entre un peu de jazz et une sorte de rythme techno ou up tempo. C’était très plaisant à jouer avec mon batteur qui est aussi le mixeur de l’album. On a travaillé sur le rythme jusqu’à avoir cette sonorité particulière. J’avais déjà le piano et la mélodie pour ensuite créer la batterie. Et ça a donné cette chanson minimaliste avec juste trois pistes.

Pour finir, tu es doué pour écrire de belles chansons d’amour. Dans ta chanson Romeo, tu lui demandes de t’aider sur ce qu’il aurait dit dans certaines situations en face d’une femme. Mais soyons honnête tu n’as pas réellement besoin de son aide ?

Je pense que je suis tout le temps désespéré, comme nous tous. Les gens sont si complexes. Au fond, la façon de rencontrer des gens est si aléatoire que même faire la connaissance d’une personne tout simplement est devenu extrêmement rare. Il est encore plus rare quand ces deux personnes fonctionnent ensemble. Car nous sommes très individuels et complexes dans nos personnalités. Être ensemble est une chose si étrange et je pense que c’est ce que je crie à Roméo pour qu’il vienne m’aider.

Mais du coup, nous nous sommes demandés quelle serait pour toi la plus belle chanson d’amour jamais écrite ?

J’écoute tellement de jazz, et le jazz est tellement rempli d’adorables chansons d’amour. Même si elles sont souvent tristes. Mais je dirais le premier album vocal de Chet Baker avec My Funny Valentine, I Fall In Love Too Easily,… Elles ont fait partie d’une énorme part de ma vie quand je les ai entendu la première fois, tout comme quand je l’ai vu pour la première fois en concert. Donc je dirais tout cet album bien plus que ces cheesy ballades que l’on entend aujourd’hui à la radio même si je n’ai rien contre elles. Mais elles ne m’influencent pas comme le jazz peut le faire.

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