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« Le Procès de l’herboriste » – Science et pouvoir

Le Procès de l'herboriste - Copyright Marlene Film Production 2020
Le Procès de l'herboriste - Copyright Marlene Film Production 2020

Après L’Ombre de Staline, Agnieszka Holland repasse derrière la caméra pour mettre en scène l’histoire de Jan Mikolášek, un herboriste-guérisseur jugé par le régime soviétique. Une réussite.

Depuis son plus jeune âge, Jan Mikolášek s’intéresse aux plantes et à leur pouvoir de guérison. Il entreprend un jour de se former à cette science mystérieuse, encore méconnue dans sa Tchécoslovaquie natale. Commence alors une vocation, qui sera au coeur de sa vie pour les décennies à venir. Soigner. Jan n’a que cette idée en tête. Malgré l’âge et le temps qui passe, guérir est la seule chose qui lui importe vraiment. Les malades sont nombreux, il les voit défiler dans son cabinet par centaines, jour après jour. Mais ce n’est jamais assez. Ce don, ce miracle qu’il a au bout des doigts, il voudrait permettre à chacun d’en profiter. Cet acharnement lui attirera les foudres du régime communiste.

Devenu riche grâce à sa profession, cet homme mystérieux fascine autant qu’il inquiète. Lorsque son protecteur stalinien décède, l’herboriste doit faire face à un régime qui voit en lui une menace. Arrêté et interrogé, il va devoir démontrer la légitimité de ses pratiques. S’en suivra un long combat pour faire face à la diffamation, et aux reproches dont on l’accable.

Copyright Marlene Film Production 2020

L’homme aux multiples visages

Le personnage de Jan Mikolášek, herboriste bien réel qui fut guérisseur pendant la majorité du XXe siècle, est fascinant. Fascinant, oui, parce qu’il est profondément imparfait. Malgré les vies qu’il sauve grâce à son don extraordinaire, il est habité par la violence et la cruauté. Il vacille entre force et faiblesse, aux prises avec sa propre noirceur. Opportuniste, il a accepté pendant la guerre de soigner des hauts dignitaires nazis. Guérisseur envers et contre tout ? Ou homme avide de richesse et de pouvoir ?

La réalisatrice polonaise Agnieszka Holland a trouvé en Jan Mikolášek l’ultime paradoxe. Cet homme complexe, impassible, se révèle sous les yeux du spectateurs, sans jamais tout montrer pourtant. Il aime, malgré les interdits, son assistant František. Il vit passionnément tout en semblant figé dans un passé qui l’assujetti. Entre ombre et lumière, haine et amour, cet herboriste aux mille mystères conserve une part d’obscurité.

Le Procès de l’herboriste est un film subtil, où la tension se dessine dans les dialogues parfaitement rythmés, et sur le visage des acteurs. Tous sont exceptionnels. Sans jamais trop en faire, la réalisatrice emmène son spectateur dans une histoire pleine de rebondissements. Elle y dévoile des bribes du passé, comme des clés pour comprendre ce destin hors du commun. L’image, la musique, se rassemblent pour créer une unité singulière qui transporte.

Copyright Marlene Film Production 2020

Les dures leçons du passé

Agnieszka Holland a compris qu’en retournant dans le passé, on peut dresser une critique très juste de la société actuelle. Avec L’Ombre de Staline, elle faisait état des tensions entre pouvoirs politiques et journalistes. Dans Le Procès de l’herboriste, la réalisatrice s’attaque à un sujet tout aussi actuel : le rejet et la manipulation de la science par les régimes totalitaires. L’exemple récent de Donald Trump montre à quel point la science doit résister lorsqu’elle se retrouve au cœur d’une lutte pour le pouvoir. Incomprise, bafouée ou encore manipulée, celle-ci devient victime de régimes déraisonnables, qui voient en elle un obstacle à leur toute puissance.

C’est un système tout entier que Jan Mikolášek doit affronter. Un système qui le rejette, lui et tout ce qu’il représente. Face à la corruption et la démagogie, comment vivre lorsque l’on est un homme de science ? Son procès est celui de la science, mais aussi celui de la liberté. La liberté d’un homme qui a bravé les conventions pour emprunter des chemins inconnus. Un homme qui a construit sa propre fortune, quoiqu’il lui en coûte. Il n’y a pas de place pour un homme libre dans ce régime de la peur.

Avec Le Procès de l’herboriste, Agnieszka Holland fait ce qu’elle fait de mieux : un film historique mais résolument actuel, inspiré d’un destin singulier. Elle met sous les projecteurs un récit passionnant, et tient le spectateur en haleine. Histoire et politique sont mêlées dans la vie et la chute de Jan Mikolášek. Le film, présenté lors de la Berlinale en 2020, est à retrouver en salle dès aujourd’hui.

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