Réparer et mettre en valeur les cicatrices. C’est ce en quoi consiste le Kintsugi, un art japonais de réparation de porcelaines et de céramiques. L’idée ? Accepter les défauts et les imperfections comme vecteur de beau, en les sublimant à l’or et en les rendant visibles. Derrière cette méthode, une philosophie propre à la culture nippone qui nous éclaire sur notre société contemporaine.
L’art du Kintsugi (en japonais “jointures en or”) remonterait au XVIe siècle au Japon. Traditionnellement, cette technique consiste à joindre les morceaux brisés d’un objet à l’aide d’une laque, saupoudrée de poudre d’or. Elle s’applique en particulier aux ustensiles dédiés à la cérémonie du thé, tradition sacrée dans la culture japonaise. Pour la culture occidentale, le principe est original. En effet, le Kintsugi aspire à rendre visible les parties endommagées d’un objet plutôt que de les cacher. Il rejoint le concept du Wabi-Sabi, un mot propre à la culture japonaise qui n’a pas son équivalent en français, mais qui pourrait se traduire par l’acceptation de l’altération causée par le temps.
Se détendre et recoller les morceaux
Le Kintsugi ne consiste pas seulement à réparer des objets. C’est la philosophie inhérente à cette pratique qui en fait un véritable art au-delà de l’artisanat. À Paris, certains artisans.e.s comme Béatrice Jacotot, conservatrice-restauratrice de céramiques et d’objets d’art, proposent des ateliers à la découverte du Kintsugi. Béatrice nous raconte avoir été fascinée par cette technique durant ses études en restauration de céramique. A la fin de son cursus, elle décide de partir au Japon apprendre le Kintsugi auprès d’un maître laqueur. Aujourd’hui, son entreprise Cerakin propose de faire découvrir et de transmettre cette technique encore peu connue en Europe. « Les ateliers s’adressent à tous, certains viennent découvrir la technique en 2h30. Les stages sur un mois permettent à d’autres une approche plus approfondie, que ce soient des céramistes voulant inclure cette technique dans leurs créations, ou bien des amateurs de thé passionnés. »
Le Kintsugi nous apprend à accepter les imperfections. Les cassures sont sublimées par un matériau noble, et l’histoire de l’objet devient alors ce qui en fait la singularité. Ainsi, nous apprenons en quelque sorte à faire la paix avec le temps qui passe. Mais aussi à trouver du “beau” là où nous pensons d’abord voir un défaut.
La métaphore de l’or qui répare les morceaux brisés nous invite également à embrasser nos propres failles. Il s’agit d’accepter les marques du vieillissement, jusqu’à en saisir toute la beauté. Comme l’explique Béatrice, l’emploi du Kintsugi va rendre à l’objet sa fonction initiale tout en s’intégrant à son histoire. Il rejoint en cela les valeurs du Wabi-Sabi, telles que la sobriété, l’irrégularité et “l’acceptation de l’inévitable” (d’après Léonard Koren). Cette philosophie nous apprend à nous détacher du superficiel, des apparences, et à accepter le changement comme faisant partie de nous.
Précieusement minimaliste
Le Kintsugi répond à un idéal esthétique de simplicité. Les lignes fines, mettant en valeur les failles, redonnent vie à l’objet de manière sobre et soignée. Ce qui dénote ensuite avec cet art vieux de plusieurs siècles, c’est son écho à notre société contemporaine. Le vintage, la seconde-main, l’upcycling sont à l’honneur. Ces nouvelles tendances, manières et styles de vie, s’opposent à une société de surproduction qui nous surcharge aussi bien matériellement que mentalement. En faisant de la réparation une pratique artistique, le Kintsugi évoque une alternative à nos habitudes de gaspillage. Il devient ainsi la métaphore même d’un style de vie plus minimaliste.
« Reconstituer un objet est déjà quelque chose de plaisant, mais lui rendre sa fonction initiale est un acte d’une grande profondeur. ».
Béatrice Jacotot
La culture japonaise aspire à ce mode de vie plus épuré. Il s’agit de valoriser tout ce qui compose l’intérieur d’un foyer, dans ce qu’il a de plus pure et simple. L’espace de vie est aussi sacré que peut l’être un jardin, lieu de contemplation. Le Kintsugi contribue en cela à conserver l’authenticité des objets d’intérieur, auxquels nous sommes parfois attaché.e.s. Cette technique ramène l’individu à la valeur des choses, dans leur dimension à la fois matérielle et symbolique. En effet, « Reconstituer un objet est déjà quelque chose de plaisant, mais lui rendre sa fonction initiale est un acte d’une grande profondeur. » confie Béatrice.
Étapes de réparation
Le processus du Kintsugi requiert du temps. Béatrice nous explique que les étapes sont nombreuses et longues à mettre en oeuvre. « L’objet cassé est d’abord collé à l’aide d’un adhésif composé de laque végétale urushi et d’amidon. Ce mélange se nomme mugi urushi. Le comblement des éclats et lacunes est réalisé avec un mélange de laque, d’argile tonoko et d’une charge du type poudre de pierre ou de bois ». Après ces premières étapes, les comblements sont poncés avec des pierres à aiguiser, puis plusieurs couches de laques sont posées.
« La couche la plus marquante est la neri bengara, composée de laque raffinée et d’oxyde de fer rouge », précise Béatrice. « Elle sert de base à la poudre d’or, qui va être saupoudrée sur les lignes de cassures et les comblements ». Enfin, entre chacune des étapes, la céramique doit être mise pendant une semaine dans une enceinte nommée furo. « C’est dans cet espace où l’humidité et la température sont contrôlées, que la laque va pouvoir durcir » .
Le temps retrouvé
Cette technique, bien que laborieuse, comporte de nombreux avantages. En effet, l’utilisation de céramiques restaurées est souvent déconseillée dans un contexte alimentaire, la plupart des adhésifs étant toxiques. Mais dans la technique Kintsugi, la laque urushi ne contient quant-à-elle aucun additif chimique toxique. « Elle est 100 % naturelle et résistante à l’humidité et à la chaleur. L’or n’étant pas non plus toxique, les objets réparés au Kintsugi sont donc parfaitement utilisables dans les arts de la table et la cérémonie du thé ». La créatrice de Cerakin rappelle qu’à cela s’ajoute la mise en valeur des altérations, qui apportent une dimension esthétique nouvelle à l’objet. C’est toute la beauté de cet art, à la fois technique de réparation et de sublimation.
Le Kintsugi change notre vision sur les objets du quotidien. Il nous donne à voir autrement la société, mais aussi le temps, celui qui fut et celui qui se déroule devant nous. Pour cause, « La céramique, matériau à la fois solide et fragile, peut traverser les siècles mais aussi se briser en un instant ». Toutefois, là encore « cela ne signifie pas forcément la fin de son existence. » rappelle Béatrice. Un atelier Kintsugi devient dès lors l’occasion de prolonger l’histoire des objets, qui s’écrit à la poudre d’or. C’est aussi une pause dans notre course effrénée du quotidien. Une façon de réparer des failles, tout en prenant soin de soi.
Le travail de Béatrice Jacotot est à découvrir sur son site cerakin.com ou sur instagram : @cerakin_ceramics. D’autres ateliers et artisans Kintsugi sont également à retrouver sur Wecandoo.fr.