Les lycéens expérimenteront dès cette semaine et pour la première fois le Grand Oral, épreuve finale de la nouvelle réforme du bac. Un exercice qui a eu du mal à faire son chemin dans les établissements, entre mauvaise compréhension des objectifs de l’épreuve et manque de préparation lié à la crise sanitaire. Décryptage.
Qu’il s’agisse du lycée ou des études supérieures, la France fait la part belle aux cours magistraux sans interaction avec les élèves. Cette différence socio-culturelle jure avec les cultures anglo-saxonnes, où les cours sont rythmés par les échanges entre élèves et professeurs. Cette constante française se fait donc au détriment du travail en groupe et de la prise de parole à l’oral. Pour remédier à ce dernier problème que l’actuel ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer a voulu réformer en profondeur les épreuves du baccalauréat. Et y introduire définitivement une dimension orale.
Cette nouvelle épreuve a longtemps été mal comprise par les profs et malmenée par la crise sanitaire. Le grand oral, c’est l’épreuve phare de la nouvelle épreuve du bac initiée par Jean-Michel Blanquer. Elle consiste en deux questions transversales préparées par les élèves tout au long de l’année dont une soutenue le jour de l’examen devant deux professeurs.
L’épreuve évalue autant le fond (la préparation de questions transversales de l’élève) que la forme (la manière dont l’élève s’exprime, sa posture). À cela viennent s’ajouter quelques questions sur le projet professionnel de l’élève qui devra justifier de ses choix d’orientation et parler de ses ambitions. Le tout devant un professeur spécialisé dans l’une des deux matières traitées par la question. L’autre, un professeur-témoin, issu d’une autre manière, ne sera là que pour évoluer les qualités oratoires de l’élève et la cohérence de son projet. Un oral qui comptera pour 10 % de la note totale du baccalauréat.
Une réforme contestée
La réforme a été mal reçue par le corps enseignant, qui juge ses consignes trop floues. Samy, en terminale spé maths à Paris nous explique que dans ses deux spécialités, qui font l’objet de l’oral, les professeurs abordent la question de deux manières antinomiques : « J’ai un professeur qui a décidé que le grand oral était le plus important, et qui a décidé d’y dédier des heures de cours, de nous faire passer beaucoup à l’oral en classe pour mieux nous préparer à la prise de parole en public. » Mais aucune heure de cours dédiée n’est accordée à cette nouvelle épreuve. L’entraînement au grand oral repose donc sur le volontarisme des professeurs. « Mon deuxième prof, lui, juge que la priorité est de terminer le programme et se comporte un peu comme si le grand oral n’existait pas. », explique Samy.
Par ailleurs, la réforme suppose que les élèves commencent à s’entraîner à la prise de parole dès la classe de première. Un entraînement mis à mal, d’après Laura, élève en terminale spécialité SVT-Physique dans un lycée de Metz. Elle nous explique : « C’est vers février-mars que mes profs ont commencé à s’occuper du grand oral. Avant ça, on n’en avait jamais trop parlé. » L’investissement des professeurs est inégal, de même que la compréhension des consignes est longtemps restée floue. « Jusqu’au mois de mars, les professeurs étaient dans le flou total. Maintenant, ils commencent à dédier des heures au grand oral. On prend davantage la parole en classe, on fait beaucoup d’exposés. » poursuit Laura.
Ce manque de précisions quant aux contenus de l’épreuve a conduit les professeurs à improviser pour la préparation. Clara, en terminale maths physique dans un lycée de Sisterol explique : « Les professeurs étaient très investis. Comme ils ne savaient pas exactement ce qui était attendu, ils nous ont plutôt guidés en disant comment eux percevaient l’épreuve. » À Paris, les professeurs de Samy ont fait preuve du même dévouement : « Ils étaient très à l’écoute et ont essayé de nous préparer au mieux à l’épreuve, en organisant des oraux blancs. »
Corinne, professeure d’histoire-géographie dans un lycée messin reconnaît que la réforme a longtemps baigné dans un flou artistique. « On a eu des éclaircissemens sur la notation récemment » explique-t-elle. « Pour autant, même sans précisions, on imagine aisément le but de l’épreuve. » D’après elle, l’objectif de la réforme ne faisait pas mystère. Le manque de précision relevait davantage des critères de notation que de l’ambition de cette nouvelle épreuve.« Il s’agit pour les élèves de développer des soft skills, qui leur seront forcément très utiles par la suite. Dès le mois d’octobre, j’ai commencé à entraîner mes élèves à la prise de parole à l’oral. », ajoute Corinne.
Entre nécessité et contestation
Une réforme de ce type était « nécessaire », a expliqué Jean-Michel Blanquer à l’antenne de France Inter. En effet, en France, la prise de parole est restée très rare à l’école. Et donc vectrice d’inégalités entre les catégories socio-culturelles naturellement plus à l’aise avec la prise de parole et ceux, issus de milieux plus modestes, maîtrisant moins ces codes sociaux. « Si on ne fait rien, on maintiendra les inégalités sociales et socioculturelles » a expliqué le ministre. Cependant, la réforme est contestée en interne. Le syndicat national des lycéens (UNL) milite notamment pour son annulation depuis le début de l’année.
Pour Mathieu Devlaminck, président du syndicat, la réforme est trop inégalitaire à cause du manque de préparation et de l’imprécision de ses consignes : « Les contours de l’épreuve sont trop flou et les élèves ont manqué d’accompagnement individuel. De fait, elle risque de cristalliser les inégalités sociales. Les élèves ont jusqu’à maintenant été entraînés pour les épreuves écrites. » En cause, l’impréparation aux épreuves due à la crise sanitaire, qui ne permettrait pas à l’épreuve de jouer son rôle en matière de réduction des inégalités : « À l’oral, les professeurs jugeront la manière dont les élèves s’expriment, la façon dont ils se tiennent, la manière dont ils s’habillent. Bref, il s’agira d’évaluer les codes sociaux transmis par les familles. De plus, aucune heure de cours spécifique n’est dédiée au grand oral qui est transmatière. On a la sensation que Jean-Michel Blanquer a voulu reproduire les oraux d’entrée dans les grandes écoles. » Les oraux de préparations aux grandes écoles, eux, sont préparés individuellement par les élèves, à raison de plusieurs heures hebdomadaires dédiées. Les fameuses « khôles », qui peuvent occuper jusqu’à trois heures par semaines dans les classes préparatoires aux grandes écoles de commerce, en plus des heures de cours magistraux.
Le syndicat milite pour un baccalauréat à la fois national et anonyme : chacun devrait passer la même épreuve et n’être jugé que sur la base de sa production pour éviter les inégalités entre élèves et entre établissements.
La professeure que nous avons rencontrée ne va pas dans ce sens. Quand on lui demande si elle serait pour une annulation des épreuves du baccalauréat à cause du manque de préparation, sa réponse est sans appel. « Les élèves sont très frustrés de ne passer presque aucune épreuve cette année. Il s’agit malgré tout d’un rite de passage. Sans ça, on a l’impression d’avoir un bac au rabais. » souffle-t-elle. Puis d’expliquer la frustration générée par les épreuves de spécialité, qui devaient se tenir en mars dernier : « Les élèves ont beaucoup travaillé pour ces épreuves, même pendant les vacances de Noël. Quand ils sont revenus en classe, ils ont appris que celles-ci n’auraient pas lieu. Ils étaient très frustrés de ne pas pouvoir faire valoir leur travail. »
De leur côté, les étudiants interrogés abordent le grand oral avec sérénité. « Je ne suis pas trop stressé » explique Samy, « de toutes façons, ça ne comptera jamais que pour 10 % de la note finale. » Effectivement, le Grand Oral, même s’il peut être stressant, ne changera pas la donne pour les élèves, évalués cette année majoritairement en contrôle continu. « À moins d’être très juste, ça ne changera pas l’issue de l’examen ou l’obtention d’une mention. », poursuit Samy. De plus, les élèves ont déjà obtenu leurs résultats de Parcoursup avant de passer les épreuves du bac. Leur note aux examens n’aura donc pas d’incidence sur leurs choix d’orientation. De plus, le grand oral porte sur les enseignements de spécialité choisis par l’élève. Ce qui, selon Jean-Michel Blanquer, doit éviter le « bachotage » et permettre aux élèves de s’exprimer sur des sujets qui les passionnent.
Quand on demande à Laura, à Metz, si elle est stressée, elle aussi affirme que non : « On tombe quand même sur des questions qu’on a préparées toute l’année, qu’on a choisies. Et puis, ça n’est jamais que cinq minutes de prise de parole. Une fois qu’on est lancé, ça va assez vite. » Reste à voir les résultats de cette première occurence de la réforme début juillet.