© Jean-Louis Fernandez
À l’Odéon, Stanislas Nordey signe une mise en scène lyrique et élégante de « Berlin mon garçon » de Marie NDiaye.
« Terrorisme ». Voilà la réponse de Stanislas Nordey à Marie NDiaye lorsque l’écrivaine lui demande sur quel sujet devrait porter la pièce dont il vient de lui passer commande. Si la romancière a respecté la consigne, elle l’a fait en empruntant bien des chemins de traverse et en faisant un détour par Berlin.
Comme le titre l’indique, il y a deux personnages principaux dans cette pièce : le garçon et Berlin. Le premier est à la fois central et complètement absent. La deuxième est omniprésente dans le texte et sur scène. Le garçon est le fils de Lenny (Laurent Sauvage) et Marie (Hélène Alexandridis), propriétaires d’une librairie « exigeante » à Chinon. Parti à Berlin, il ne donne plus de nouvelles. Ses parents et sa grand-mère Esther (fantastique et tonitruante Annie Mercier) redoutent alors le pire de cet enfant devenu progressivement ténébreux. Mais face à ce drame intime, les réactions divergent. Le père se mure dans le silence à Chinon, espérant que cette démonstration de force morale lui ramène son fils sain et sauf. La grand-mère, Esther, éructe d’incompréhension face au comportement de son fils. La mère décide d’aller chercher son garçon à Berlin, cette ville qui regorge de promesses et de plaisirs aux yeux des jeunes européens mais dans laquelle ils s’égarent parfois. Sur scène, chacun est dans ses pensées, toutes ces voix se percutent sans forcément dialoguer.
Pinocchio des temps modernes
Filant la métaphore du conte, Marie NDiaye fait de ce fils égaré un Pinocchio des temps modernes. La marionnette de bois, trop occupée à devenir un vrai petit garçon, ne fait pas attention aux conditions du sortilège et se retrouve transformé en petit âne battu. Les sirènes de Berlin, ville cosmopolite pleine de fêtes et de paradis artificiels ont dû également résonner bien fort aux oreilles du garçon, adolescent de la morne Chinon. Enfant alerte devenu trop banal aux yeux de ses parents qui, depuis leur librairie élitiste, ne l’avait élevé que pour de grandes choses. Comme pour la créature de Gepetto, le voyage de ce garçon promet de mal se terminer : pour lui mais aussi pour les autres.
Terrorisme ? La force du texte de Marie Ndiaye est de laisser le doute planer sur les motivations et le devenir du fils. Elle parvient également à insuffler un humour bienvenu sur ce sujet si grave. Littéraire et lyrique, cette pièce confirme définitivement le talent de l’autrice de roman au théâtre.
Scénographie « Corbusierporn »
Le texte est sublimé par l’élégante scénographie d’Emmanuel Clolus qui atténue un peu la direction d’acteur très mécanique (mais habituelle chez Stanislas Nordey). Elle parvient à nous faire voyager entre Chinon et Berlin et grâce à des photos de Jérémie Bernaert, à sublimer l’architecture de la capitale allemande si souvent jugée austère. Il faut dire que l’action berlinoise se déroule en grande partie dans Corbusierhaus, une réplique imparfaite de la cité radieuse de Marseille. Chaque détail du bâtiment est capturé : la façade monumentale, les couloirs hypnotiques, les interrupteurs délicats, les recoins dans lesquels on voudrait se lover. Marina y partage l’appartement de Rütinger, un vieil habitant de la résidence désormais prisée des jeunes couples. D’apparence revêche, l’allemand va progressivement s’imposer comme un indispensable sherpa pour la mère éplorée. Un voyage envoutant, pur ravissement des yeux et des oreilles lors que l’ensemble se retrouve plongé dans une musique entêtante.
Mère battante
Berlin mon garçon est une pièce dans laquelle on parle bien, beaucoup, mais souvent à soi-même. Les questions restent en suspens. Jusqu’où aller par amour ? Qu’est-ce qu’un bon parent ? Comment bien éduquer un enfant ? Est-on toujours responsable ? La pièce fait étrangement écho à My Zoé le nouveau film de Julie Delpy qui sortira le 30 juin. On y suit une mère également confrontée à ces interrogations et prête à franchir tous les tabous pour les faire taire. Chez Marie NDiaye, Lenny, Marine, Esther mais aussi Charlotte, l’ex-copine du fils, n’auront surement pas de réponse. Pire, ils continueront probablement longtemps de se poser ces questions. Et pourtant, ensemble ou chacun de leur côté, avec ou sans le garçon, à Berlin ou à Chinon, ils respireront, liront, se promèneront, écouteront les oiseaux. Ils vivront.
Berlin mon garçon de Marie Ndiaye mis en scène par Stanislas Nordey. A l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 27 juin puis en tournée. Réservations et renseignements : Théâtre de l’Odéon. Durée : 1h40.