LITTÉRATURE

« Au Nord du monde » – Le monde selon Makepeace

Au Nord du monde
© éditions Zulma

À la croisée du western, roman dystopique et récit d’aventure, Au Nord du monde raconte les vagabondages d’une héroïne iconoclaste. Original et réjouissant, il pulvérise les codes du roman contemporain.

À une époque qui fait la part belle aux autofictions et autres récits du «  moi  », Au Nord du monde se savoure comme une bouffée d’air frais. Dans ce western aux accents dystopiques largement inspiré par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (mais pas que  !), le.la lecteur.ice est invité.e à suivre les pérégrinations de Makepeace. Ce personnage-narrateur est le shérif de la ville d’Évangeline, désertée par ses habitants pour de mystérieuses raisons. Il permet à l’auteur de lever le voile sur son univers au fur et à mesure que l’aventure se déroule.

Aux origines

Le coup d’envoi est marqué par la rencontre avec Ping. C’est personnage taiseux et un prisonnier en fuite que Makepeace rencontre au détour des rues vides de sa ville. D’origine chinoise, Ping ne parle pas sa langue. Son crâne rasé ne permet pas tout de suite à Makepeace d’identifier son genre  : c’est une femme. Une harmonie vient se créer entre ces deux solitudes qui se mettent à vivre ensemble et s’accommodent l’une de l’autre. L’histoire pourrait s’arrêter là. Seulement, rien ne se passe comme prévu.

Marcel Theroux, qui semble avoir un goût prononcé pour les retournements de situations, nous révèle la mort de Ping. Sans détour, ni explications. Avec elle meurt le bébé qu’elle portait en son sein, né d’un viol infligé par l’un de ses tortionnaires. Ni une ni deux, le shérif d’Évangeline – qui est en fait une femme elle aussi – enfourche son cheval. Elle décide de partir au Nord. Ainsi, elle tente de comprendre ce qu’il reste du monde et de ses habitants. 

« Faire la paix  »

On pourra s’amuser du nom de notre personnage principal. Makepeace, en anglais dans le texte, patronyme ô combien absurde dans ce monde qui semble être retourné à l’état sauvage. Alors que «  le  » shérif d’Évangeline reprend la route après des mois (des années  ?) d’inanité, elle pose à nouveaux les yeux sur cet univers hostile. Et elle le redécouvre en même temps que le.la lecteur.ice. Avec le ton caustique, propre à celles et ceux qui n’attendent plus rien de la vie, Makepeace conte ses aventures sur les routes du grand Nord. 

Ce voyage est aussi l’occasion de faire le point sur les origines de cet univers mystérieux. Le grand Nord, c’est un peu la Russie, un peu l’Antarctique, on ne sait plus bien. Le grand Nord, ce sont aussi les «  Zones  », lieux dans lesquels les radiations nucléaires persistent et contaminent tout individu qui ose s’y aventurer. Ces lieux sont inspirés de territoires biélorusses – et d’autres terres contaminées – que des familles refusaient de quitter parfois. L’occasion aussi de faire le point sur les origines de Makepeace, mystérieuse bien qu’héroïne, peu causante bien que narratrice.

Elle-même est fille de «  colons  », personnes issues de la civilisation occidentale et consumériste telle qu’on la connaît. Issues, seulement, puisqu’elles ont décidé de tout plaquer pour échapper aux dégâts du réchauffement climatique. Ce qui permet à Marcel Théroux – qui visiblement adore le mélange des genres – de poser un regard acerbe sur notre époque post-moderne. 

«  Et pourtant, mon père disait être né dans un monde d’abondance. C’était un monde sens dessus dessous, dans lequel le riche était maigre et le pauvre était gros. Le temps d’un seul jour de sa jeunesse, il y avait plus d’êtres vivants sur terre qu’il n’y en avait eu au cours de toutes les années depuis que Noé avait posé son arche sur les montagnes d’Ararat.  » 

Au Nord du monde, Marcel Théroux

Écriture-fantôme 

Au Nord du monde se dote d’une écriture qui ne laisse aucun détail de cette épopée-western au hasard. Risquant, parfois, de créer quelques longueurs. Une gêne occasionnée par toutes les précisions pratico-pratiques distillées dans le livre. Précisions habituellement coupées au montage par les éditeurs qui savent qu’un très bon livre ne se perd pas en bavardages. 

«  C’est un peu une hérésie de dire une chose pareille, mais je pense que notre espèce a créé des formes plus belles que ce qui était là avant nous. Parfois, le produit de la main de Dieu est rudimentaire. Quoi de plus moche qu’un homard.  » 

Au Nord du monde, Marcel Théroux

Au Nord du monde est un texte long, aride, presque autant que les chemins souvent semés d’embûches empruntés par Makepeace. Le récit est irrigué par une écriture sans prétention qui entend s’attarder davantage sur le concret de cet univers original que sur un quelconque jeu avec la langue. Rustre, pourrait-on dire, comme cette héroïne qui balaie d’un revers de la main tous les carcans de la féminité. 

Au Nord du monde de Marcel Theroux, éditions Zulma, 20 euros.

Journaliste

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