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Mardi série – « You » : De l’importance d’avoir des rideaux

©Lifetime

Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au «   petit écran   » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format pourra vous permettre de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Aujourd’hui, c’est au tour de la série Netflix américaine You.

D’abord diffusée sur Lifetime aux États-Unis, You arrive en France sur Netflix le 26 décembre 2018. Sera Gamble et Greg Berlanti (à qui l’on doit notamment Riverdale et Arrow) sont aux commandes de ce thriller psychologique, adapté des romans de Caroline Kepnes. La première saison s’inspire du best-seller Parfaite publié en 2014. La seconde, sortie en 2019, est quant à elle, tirée du livre Hidden Bodies. La troisième saison devrait être disponible d’ici la fin de l’année.

Joe Goldberg, gérant discret d’une librairie new-yorkaise indépendante, s’éprend de Guinevere Beck (Elizabeth Lail, vue auparavant dans Once Upon A Time), au point de faire de cette écrivaine en devenir son obsession. Incarné par Penn Badgley — éternel Dan Humphrey dans Gossip Girl —, Joe manie les réseaux sociaux en véritable stalker aguerri. Le pitch n’est pas sans rappeler Coup de Foudre à Nothing Hill. Mais le côté RomCom s’effondre assez vite. La série suit les traces de ces antihéros aux deux visages tels Hannibal.

Elizabeth Lail et Penn Badgley / ©Lifetime

Kill & Hide

Absent aux yeux des autres de toutes ces applications utilisées par des milliards d’individus au quotidien, Joe est bien là. Sa personnalité démontre une dépendance particulière aux réseaux sociaux  : le stalk (traquer en anglais). Car il y a ceux qui suivent et ceux que l’on suit. You questionne en effet l’usage malsain de ces plateformes où connaître la vie d’un inconnu ne demande que quelques clics. Joe est un chasseur. Il repère, traque sa proie, s’approche, l’apprivoise et n’en fait qu’une bouchée si elle ose se débattre. Joe n’a alors plus qu’un seul but, celui d’entrer et surtout, de rester dans la vie de celle qu’il a choisi. Il décide de ce qui est bon ou non pour elle. Il choisit surtout qui est bon ou non pour elle. Le contrôle comme preuve d’amour.

Mais l’autre, ce «  you  », n’est qu’une chose fictive, à mi-chemin entre le fantasme et la personne telle qu’elle est réellement. Joe dira d’ailleurs à Beck que «  ce qui compte, c’est ce qui est réel, nous  ». Mais qu’est-ce que ce «  nous  » lorsque le «  réel  » est prévu et orchestré  ? Qu’est-ce que ce «  nous  » quand le «  je  » invente et idéalise le «  tu  »  ?

Faussement ordinaire, Joe parvient à dissimuler ses multiples facettes et essaie tant bien que mal d’équilibrer les rapports entre elles. Son intelligence et son magnétisme sont révélés grâce à la voix off, par laquelle il s’exprime tout au long de ces cinquante minutes d’épisode. La justification de ses actions à la Ted Bundy passe par ses monologues intérieurs, tel un Sherlock Holmes un peu cringe. Double effet Kiss Cool  : le pire de lui-même le rend humain, et le spectateur-voyeur relativise le côté monstrueux de Joe.

Elizabeth Lail / ©Lifetime

L’amour jusqu’à la mort

Dans les deux saisons disponibles sur Netflix, la mort et l’amour sont cyniquement liés. Les émois du petit libraire ne sont pas les seuls à faire couler du sang. Chaque personnage a ses défauts et contribue à faire de You le récit de plusieurs vies au destin, semble-t-il, déjà tracé. Du fils qui lutte pour aider sa mère battue par son compagnon aux sentiments de Peach (Shay Mitchell) envers Beck qui dépassent la simple amitié, You traite de l’amour sous toutes ses formes.

«  Les gens bons font parfois de mauvaises choses pour ceux qu’ils aiment  ». Joe voit dans le contrôle de la vie de l’autre comme un moyen de la sauver. Reste à se demander où est le véritable danger. En ce qui concerne Joe, à chaque épisode son obstacle. Qu’importe s’il ne connaît peut-être pas véritablement celle qu’il chérit déjà passionnément, elle le hante, et tout part de là.

La femme, cette héroïne

Tel un junkie, Joe a besoin viscéralement de sa dose, et sans elle, il sait ni faire, ni être. Il y eût Candace Stone (Ambyr Childers) pendant un temps. Puis vint le tour de Beck et bientôt celui de Love Quinn, à qui Victoria Pedretti, connue pour la série des The Hauting sur Netflix, prête ses traits. Indéniablement, Joe Goldberg est le personnage principal de You. Mais en réalité, celle-ci raconte surtout l’histoire des femmes de sa vie. La mère, l’ex, l’actuelle, la future  : «  you  », c’est tout ça. C’est la recherche d’une maison, d’un lieu rassurant où être soi librement et pleinement. En somme, c’est la quête d’une âme qui symboliserait cela.

Shay Mitchell et Elizabeth Lail / ©Lifetime

Cette série pour le moins subversive reprend les codes du thriller psychologique pour mieux les détourner au profit de ces femmes, qui sont loin de n’être que de simples victimes. Dégâts collatéraux de relations passionnelles où la violence est vécue comme une conséquence naturelle, elles sont de celles qui ne seront plus jamais en mesure de dire leur vérité, qui peinent à être considérées ; de celles qui acceptent leur condition d’objet de désir et qui taisent leurs propres envies ou encore de celles qui portent un passé trop lourd et qui se laissent définir à travers lui. La femme demeure une énigme dans cet anti-conte de fées.

En fin de compte, You participe à la mise en lumière de multiples formes de témoignages sur l’amour, et de ce que ses personnages osent appeler ainsi. Ici, on ne tue pas par amour, mais bien pour l’amour. Ce dernier n’est pas l’arme du crime, il en est la raison. Il justifie tout. Il excuse tout. Voici donc le portrait cynique et infernal d’une relation à sens unique, où fusion et contrôle règnent en maître. Méfiez-vous, You pourrait devenir votre prochaine obsession.

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