CINÉMA

« World Brain » – Odyssée connectée

© Irreverence films

Le documentaire World Brain propose une intrigante exploration de l’hypothèse scientifique d’une intelligence collective universelle. Réalisé par deux chercheurs français, Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin, il utilise principalement des images déjà tournées disponibles sur internet. Embarquez pour une odyssée vertigineuse Disponible sur Arte.tv jusqu’au 4 janvier 2022.

L’idée fantasmée depuis des décennies de la possible création d’un cerveau absolu sous-tend cette hypothèse. L’internet est au cœur de la réalisation de cette hypothèse. Pour rendre tangible ce qui semble échapper à toute incarnation, Wagon et Degoutin prennent le parti de s’attarder sur la matérialité des réseaux internet. Des data centers aux tuyaux enterrés sous les mers, ils esquissent les formes d’un univers parallèle invisible, et pourtant omniprésent. Avec leur documentaire World Brain, les réalisateurs rendent présent ce qui semble toujours absent. Ils font de leur film une hypothèse à taille post-humaine.

En effet, au cœur de cette proposition formelle, se niche une question théorique fondamentale  : celle de la définition de l’humanité. Les deux chercheurs travaillent en étroite collaboration avec les expérimentations scientifiques. Ces dernières sont accompagnées par des expérimentations formelles qui rendent certaines séquences quasi hypnotiques. Lorsque la caméra pénètre virtuellement dans un câble sous-marin, les couleurs se mêlent et font vaciller les points de repères du spectateur. Celui-ci s’enfonce alors dans une sorte de transe hypnotique qui confine à l’expérience métaphysique.

Une expérience quasi métaphysique
© Irreverence films

Dès lors, en réussissant à rendre visible l’insoupçonné, Wagon et Degoutin mettent au jour l’architecture qui structure nos vies et nos relations. Toute la première partie du documentaire est consacrée aux caractéristiques techniques et matérielles de la constitution d’un tel réseau. Les photos de data centers se succèdent et témoignent de la matérialité de nos réseaux. Paradoxalement, ces derniers réduisent l’humain à des données. En effet, la voix-off affirme sans détours  : «  Tous les éléments de notre vie en ligne, c’est-à-dire de notre vie tout court, sont stockés ici. Il s’agit de la poussière d’être humain, de fragments…  »

Les deux réalisateurs mettent en évidence les motifs de la copie, des traces et de l’agrégation. En tant que chercheurs, ils s’intéressent à la question du post-humain. Dans leur expérimentation cinématographique, il est clair que la question de la réduction de l’identité humaine à des données immatérielles est au cœur de notre système.

Imaginer pour mieux relier

Et c’est justement à partir de ce fait que la deuxième partie du film se construit. Wagon et Degoutin abondent en ce sens pour révéler les effets désirés d’un tel état de fait. Pour appuyer ce propos, ils tracent un parallèle. D’un côté, le travail d’un groupe de chercheurs dans la forêt qui explorent de nouvelles façons de relier les cerveaux entre eux. De l’autre, des expérimentations sur des rats effectuées sur le continent américain. L’art et la science se retrouvent ici dans leur capacité à formuler des hypothèses et à les éprouver par l’expérimentation. Il est clair qu’au cœur des deux démarches se trouve un moteur commun  : l’imagination. Le projet scientifique d’intelligence universelle pousse les scientifiques et les réalisateurs à inventer et à explorer des voies nouvelles.

Dès lors, lorsque le spectateur se retrouve face à des hommes nus, peints d’une pâte verte conductrice, il se voit confronté au processus de recherche en lui-même. Il s’agit de celui qui pousse les chercheurs à déplacer les limites de la connaissance pour, parfois, aboutir à de nouvelles formes  : de savoir et artistiques.

Les chercheurs imaginent de nouveaux réseaux

© Irreverence films

Le documentaire World Brain interroge donc la nature même de l’homme, ses limites et les formes que peuvent prendre ses fantasmes les plus fous. Certes, Wagon et Degoutin abondent dans le sens de l’hypothèse du cerveau universel connecté par internet. Toutefois, ils laissent la parole à un chercheur qui pointe les limites du projet. Ce dernier interroge  : «  voulons-nous aligner les attentes que nous avons vis-à-vis du monde matériel sur celles que nous avons vis-à-vis du monde immatériel  ?  » La science doit-elle quitter les rivages de l’humanité auxquels elle s’est amarrée depuis plusieurs siècles maintenant  ? Que restera-t-il de l’homme quand celui-ci n’habitera plus son corps, désertant ainsi le monde-de-la-vie  ? L’hypothèse demeurant hypothèse, elle offre un répit aux sceptiques  : le doute est toujours permis.  

Disponible sur Arte.tv jusqu’au 04/01/2022.

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