Pour son premier long-métrage Aurélien Vernhes-Lermusiaux nous offre une odyssée poétique, un western à contre-courant, une traversée organique portée par le charismatique Malik Zidi. D’un événement historique de la guerre coloniale menée par la France sur le territoire mexicain à la fin du XIXème siècle, Vers la bataille questionne les images dans une mise en scène ambitieuse et hypnotique.
Dès les premières images, le décor est planté. Pourtant, Vers la bataille n’est pas ce qu’il pourrait être et s’échappe des traditionnels écueils des premiers longs-métrages. Sous son apparence de film d’époque en costumes en pleine période de guerre, cette première œuvre longue apparait comme un trompe-l’œil. Aurélien Vernhes-Lermusiaux nous emmène vers une bataille qui jamais ne se dévoilera à nos yeux. Ce qui l’anime et nous empoigne c’est la quête intime du photographe Louis (Malik Zidi) dans ces paysages humides et luxuriants. Tel Don Quichotte et ses moulins, le protagoniste se bat contre ses fantômes. Ses armes ? Un lourd matériel photographique. Son Sancho Panza ? Un paysan mexicain, Pinto, auquel il se lie malgré la barrière de la langue.
Nous sommes à la fin du XIXème siècle et la guerre coloniale fait rage au Mexique. Grâce à un général français, Louis a pu se rendre sur place pour rapporter en France des clichés de ces combats. Seulement, il erre dans la nature sans jamais parvenir à rejoindre les batailles. Autour de lui, la mort semble rôder, le survoler tel un charognard. Le cinéaste construit brillamment son film sur deux oppositions. D’une part, l’aspect organique des corps sans cesse en mouvement, filmés en plan-séquence, faisant ressentir la chair et les douleurs humaines. De l’autre, l’évanescence de l’inconscient agité du personnage. La traversée frôle la transe, le film trip à l’image d’un Apocalypse Now, s’inscrivant dans la même veine cinématographique. Si le corps continue de s’inscrire physiquement et lentement dans le territoire exploré, l’esprit hanté prend possession du regard de l’acteur.
Saisissante modernité
Malik Zidi se fond entièrement dans la photographie d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux. Son jeu à vif s’inscrit dans ce va et vient entre la matière et l’intériorité du personnage. Il alterne entre force et fragilité au rythme des percussions de la sublime et troublante bande originale de Stuart A. Staples. Comme une compagne, elle vient renforcer la plongée du personnage dans sa propre détresse, celui d’un père confronté au deuil.
De ces jeux de regards, de ce photographe tentant avec sincérité de rendre compte des batailles sans y parvenir. De ces yeux observés par l’objectif d’un cinéaste, Aurélien Vernhes-Lermusiaux interroge un rapport à l’image très contemporain. Les questionnements jalonnant le film s’ancrent résolument dans notre réalité. À notre ère des fake news et autres montages trafiqués, Louis est confronté à la reconstitution réelle. Le seul véritable champ de bataille qu’il aura l’occasion d’observer se révèlera une supercherie. Dans une sublime scène vue à travers ses yeux, le protagoniste assiste en direct à la manipulation des images officielles de guerre, capturées par un autre photographe. Il assiste en même temps à l’échec de sa mission qui n’en est pas véritablement une. Son aventure se situe ailleurs. Dans l’apaisement de ses fantômes d’une part, et dans la rencontre de l’Autre.
L’épopée de Vers la bataille devient la découverte de deux solitudes étrangères se liant d’amitié malgré elles. Louis et Pinto (Leynar Gomez) s’apprivoisent malgré leur différences, créent une affinité se transformant en transmission. C’est là toute l’humanité et la générosité de l’écriture du cinéaste qui offre un si beau duo d’acteurs évoluant dans une mise en scène virtuose et envoûtante. Un humanisme à toute épreuve bravant la guerre, les différences et la fièvre brûlante qui dévore le film et tourmente le héros. Une première longue œuvre intelligente et ambitieuse. L’immense travail apporté au son et à l’image nous rappelle à quel point les salles de cinéma sont sacrées.