LITTÉRATURE

« Saint Jacques » – Quitter la ville

Saint Jacques
© éditions Gallimard

Pour son deuxième roman Saint Jacques publié aux éditions Gallimard, l’autrice Bénédicte Belpois nous raconte l’histoire de Paloma, infirmière parisienne qui, sur un coup de tête, décide de quitter la grande ville pour aller s’installer dans les Cévennes. Et de voir le monde autrement. 

Si le duel qui oppose la vie dans les campagnes et les grandes villes n’est pas d’hier, sa prégnance s’est largement accrue depuis le début de la crise sanitaire. Sensation d’être toujours pressé, logements exigus et chers, autant de motifs récurrents qui conduisent les jeunes parents à quitter Paris pour lui préférer la province. Bénédicte Belpois, avec Saint Jacques, explore cette question et nous montre qu’il est possible d’habiter le monde autrement. 

Paloma, son personnage principal, est pourtant de la ville. Infirmière dans un hôpital parisien, elle habite la capitale avec Pimpon, sa fille, dans un petit appartement de banlieue. C’est le décès de sa mère qui la contraint à quitter Paris pour la première fois. Chez le notaire, à Sète, elle hérite d’une maison dont elle ignorait l’existence. Une grande maison de pierres dans les hauteurs cévenoles  : l’intérieur est vétuste, la toiture est pourrie. Paloma est bien décidée à vendre, puis se ravise. Il y a quelque chose qui se dégage de cette maison. 

Six mois plus tard, elle a quitté l’hôpital et emménage dans la maison léguée par sa mère. C’est ainsi qu’elle fera la rencontre de Rose, une vieille voisine toujours accompagnée d’un chien au physique qui prête à rire. Mais aussi de Jacques, qui donne son titre à ce livre. 

Topiques du kitsch

Malgré un style fluide et agréable à lire, on craint au début de ce roman que Bénédicte Belpois n’ait rien d’autre à nous offrir que du kitsch. Le motif de la maison abandonnée en héritage d’abord, rappelle vaguement les intrigues de mauvais films d’horreur  ; c’est du vu et du revu. L’autrice surfe d’ailleurs sur cette thématique de la malédiction pour parler de la relation que la narratrice entretient avec sa mère décédée. Femmes d’une famille maudites, femmes condamnées au malheur et au drame. Autant de topiques renvoyant vers un imaginaire qui transforme les femmes en artisanes d’un malheur collectif. Cette thématique de la sorcellerie éloigne le.la lecteur.ice du véritable sujet du roman.

Le parti que prend l’autrice dans la mise en scène de sa narration est risqué, lui aussi. En effet, il s’agit d’une adresse, d’une longue lettre que Paloma écrit à celui qui deviendra l’amoureux des Cévennes, le fameux Saint Jacques. Un choix qui n’était pas nécessaire en réalité puisque ce qui rend ce roman appréciable, ce sont ses personnages et leur quotidien. Cette grande déclaration d’amour risque à tout instant de faire tomber le récit dans le domaine du niais.

«  Tu es parti dans la nuit. J’aurais voulu te garder encore, me réveiller au petit matin à côté de toi. J’ai regardé longtemps l’endroit où tes phares avaient disparu derrière les châtaigniers sombres, je crois t’avoir suivi en pensée jusqu’à Alès.  »

Saint Jacques, Bénédicte Belpois

Sous les pavés, les Cévennes

Malgré ses débuts hasardeux, Saint Jacques trouve sa force dans l’évocation des paysages cévenols. C’est au détour de cet environnement, infiniment différent du fracas de la vie, qu’il est possible pour les individus de se réinventer. Dans les Cévennes, la temporalité n’est plus la même, on ne court plus après rien, on savoure, on profite. Paloma peut de nouveau prendre le temps de s’occuper correctement de ses patients, qu’elle visite désormais à domicile. Un luxe qui contraste cruellement avec ses venues chronométrées dans les chambres des octogénaires dont elle s’occupait, du temps où elle travaillait encore à l’hôpital. 

«  J’aimais regarder les Cévennes rosir à peu à peu, leur écume de châtaigner mousser d’un vert encore tendre. Mon cœur dévalait jusqu’au Gardon, coulant paresseusement, serpent de vie dans un lit de rocailles blanchâtres et hostiles. (…) Je remontais ensuite par les sentiers à la pente âpre qui vous coupe le souffle.  »

Bénédicte Belpois, Saint Jacques

Cette nouvelle manière de concevoir l’existence touche aussi les rapports entre les personnes. Dans le petit village, tout le monde se connaît. Une proximité qui jure avec la solitude des grandes villes. Paloma devient alors amie avec le maire du village, puis avec Jacques, l’entrepreneur chargé de refaire le toit de sa maison. Puis Jo, le jeune employé de Jacques. Enfin, elle recueillera Rose, la vieille voisine au chien ridicule. Jusqu’à former, tous ensemble, une microsociété heureuse et bienveillante qui propose une place à chacun, quelles que soient ses fêlures et ses peines. 

Avec Saint Jacques, Bénédicte Belpois nous livre une philosophie du bonheur enthousiasmante, à rebours de la fièvre de la performance et de la vitesse qui gangrènent nos modes de vies. 

Saint Jacques de Bénédicte Belpois, Éditions Gallimard, 14 euros. 

Journaliste

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