Palme d’or à Cannes en 2003, Elephant de Gus van Sant s’inspire de la tuerie de Columbine et se livre à une exploration poétique de l’adolescence aux États-Unis et des mythes qui la jalonnent. À retrouver sur OCS et MyCanal.
Pour son dixième long-métrage et le deuxième volet de sa tétralogie consacrée à la mort, Gus van Sant revisite et redessine la tuerie de Columbine. Cet évènement est considéré comme l’un des plus importants massacres en milieu scolaire. Il avait secoué l’Amérique à l’époque. Deux élèves de l’établissements avaient abattu treize de leurs congénères et professeurs puis laissé plus de quatre-vingts blessés derrière eux avant de se donner la mort. Troisième plus grande tuerie en milieu scolaire au moment des faits, l’évènement est passé septième avec les récentes tueries de Virginia Tech (2007), Sandy Hook (2012) ou encore Parkland (2018). Des attaques récurrentes qui font d’Elephant un film qui n’a rien perdu de sa pertinence. Il résonne encore avec l’actualité, presque vingt ans après sa sortie.
Dans ce film, le réalisateur ne propose aucune intrigue apparente. À la place, il fait l’itinéraire sur une journée de lycéens d’un même établissement. Histoires d’amour, ragots, amitiés, conflits avec les parents. Les différents thèmes qui jalonnent l’existence des adolescents sont vaguement repris, prétextes à exploration de ce microcosme dans lequel se fabriquent les adultes. En explorateur, Gus van Sant observe avec lenteur et minutie chacun de ses personnages sur la route qui les mènera à leur destin macabre.
Mythique adolescence
Gus van Sant ne fait pas avec ce film une analyse politique des tueries en milieu scolaire. Le cinéaste profite de ce motif pour se livrer à une exploration en règle de la jeunesse américaine. La caméra arpente les couloirs du lycée avec lenteur autour de plusieurs personnages qu’elle observe. Ces protagonistes, plus proches de l’archétype que du personnage original, sont souvent des figures connues. On retrouve l’emblématique roi du lycée au physique de surfer. Il y a aussi le trio de filles superficielles, figures que l’on retrouvera dans le teen movie Mean girls en 2005. Ou encore la souffre-douleur, laide et mal dans sa peau. Autant de figures, mi clichées, mi mythiques, qui font la fascination de l’auteur pour cet âge de la vie. Une étude qu’il poursuivra en 2007 avec Paranoïd Park, thriller et récit d’apprentissage d’un skater adolescent.
Ainsi, le film se dérobe à toute intrigue et tente à la place une observation quasi anthropologique de ses personnages. On se déplace dans le lycée au rythme de la Sonate au clair de lune de Beethoven – d’une manière lente et poétique. Les plans sont peu nombreux. La caméra est en mouvement. Elle découvre l’univers du secondaire, suit ses protagonistes, tournoie autour d’eux. Comme on explore les différentes salles d’un musée. Gus van Sant se refuse de la même manière à tout jugement moral sur ses personnages. Le cynisme de certaines situations se suffit bien souvent à lui-même. Il porte ainsi, confusément, une vision sombre de son pays. En effet, il plane sur Elephant une ambiance de fin de règne.
La photographie du film, volontairement froide, presque terne, accrédite l’idée que l’on ne se trouve pas vraiment dans la réalité. Le réalisateur s’éloigne du sentier battu qu’est le récit classique – début, milieu, fin – pour lui préférer un entre-deux poétique, à mi-chemin entre l’Amérique vécue et celle rêvée. Une Amérique cynique, qui flirte avec l’onirique, pensée par Gus van Sant dont l’imaginaire semble marqué au fer rouge par les teen movies de la décennie 90.