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Rencontre avec Elise Van Beneden, conquérante obstinée

Elise Van Beneden
Elise Van Beneden © Capture d'écran YouTube Thinkerview

Avocate de formation, Elise Van Beneden est présidente de l’association anticorruption, Anticor, qui récupère cette année le sésame qui lui permet d’agir en justice. Quid de l’engagement, avec une association qui lutte pour la démocratie.

Après des études de droit en Italie en pleine période berlusconnienne, son impunité et toutes les absurdités politiques qu’elle entraîne, Elise Van Beneden rentre en France en 2008 et s’engage, les armes de la Justice au poing. Un coup de fil à Anticor plus tard, elle entre dans cette petite association et ne la quitte plus. Jusqu’à en devenir la présidente il y a deux ans. Après des polémiques sur un donateur pas si anonyme, et le scandale autour de Maxime Renahy, ancien membre de la DGSE et journaliste pour le média Blast (dont Elise Van Beneden est l’une des fondatrices) en désaccord avec l’association sur sa gestion financière, Anticor reprend son combat quotidien avec dans la tête de grandes envies de changement. Rencontre.

Comment êtes-vous arrivée chez Anticor ?

Elise Van Beneden : Je suis rentrée en France pile au moment où les associations venaient de gagner un combat important. La Cour de Cassation venait de reconnaître leur intérêt à agir en tant que partie civile dans les procès de corruption. J’ai réalisé que le juridique était un outil extraordinaire de lutte ! J’ai appelé Anticor et je ne suis plus jamais repartie.

Anticor c’est 6300 adhérents et 89 groupes locaux. Comment se divisent les actions ?

Les bénévoles reçoivent des alertes et vérifient que les dossiers tiennent la route. Ils gèrent 300 signalements par an et font remonter les dossiers à la branche nationale et à nos juristes, quand rien ne bouge. En France on est mal barré pour lutter contre la corruption. La carrière d’un procureur est soumise au Garde des Sceaux. Autant dire que sur les dossiers politico-financiers, c’est délicat pour un procureur d’ouvrir une enquête contre un ministre… On est là pour prendre le relai. 

Vous luttez contre la défiance des citoyens envers les élus tout en mettant en lumière la corruption… Un peu délicat non ?

Oui…(Rires.) Anticor a été créé pour lutter contre un taux d’abstention de plus en plus fort. Mais en visibilisant les infractions, on ne redore pas le blason de la classe politique, c’est sûr ! La démocratie représentative ne fonctionne plus si les citoyens ne font pas confiances aux élu.e.s. On rappelle dès qu’on peut dans les médias qu’il y a qu’une minorité d’élu.e.s qui dysfonctionnent, ils ne sont pas tous pourris ! 

Pourquoi dans l’imaginaire collectif, la corruption est réservée aux pays en développement ou instable politiquement, alors que 120 milliards d’euros disparaissent chaque année en France ? 

La corruption est un phénomène opaque. Si vous n’avez pas d’asso ou de médias qui la dénonce, on ne la voit pas ! Les juges, par peur d’interférer dans la vie politique ne condamnent pas en justice. Les citoyens, eux, pensent que c’est un phénomène lointain.

On a tendance à dire « Tous pourris, sauf mon maire ! » Les Balkany sont l’exemple parfait ! À Levallois-Perret on les adore, ils distribuent des places en crèche. Les gens ne se rendent pas comptent qu’in fine, ils sont victimes. L’endettement à Levallois est le second plus important en France. C’est le syndrome de Stockholm ! 

Vous avez connu des scandales qui ont menacé votre agrément. La faiblesse du militantisme ne vient-elle pas en partie, des désaccords qui font perdre du poids de frappe aux différents mouvements ?

Le milieu associatif est assez explosif. Il y a des luttes d’égo et d’opinions qui nuisent. Au sein d’Anticor, on n’a pas de problèmes sur nos objectifs, mais on en a eu sur le fonctionnement de l’asso.

Vous parlez de Maxime Renahy (ancien agent de la DGSE, maintenant écrivain et journaliste, ancien membre d’Anticor, ndlr) ?

Oui. Il a dénoncé un de nos gros donateurs, en disant qu’à cause de sa contribution financière, nous allions perdre notre indépendance. Hors, nos donateurs n’ont aucun droit de parole sur nos décisions, et s’ils essaient, ils dégagent. Quand on lutte contre des géants, il faut être soudé pour réussir !

Vos procès sont longs. Se battre contre l’impunité, c’est entamer un véritable marathon dont on ne voit pas toujours le bout.

Le procès sur les sondages de l’Élysée passe en jugement fin septembre. Nous avions porté plainte en février 2010… Les affaires de corruption durent 6 ans en moyenne contre 1,2 pour les autres infractions. C’est plus qu’un marathon…

Pourquoi est-ce si long ?

Le ministre de la Justice décide des priorités judiciaires. À Anticor, on voudrait que la corruption soit priorisée, mais il y a aussi des affaires de violences conjugales, de meurtres, etc qui sont tout aussi importantes… Le véritable problème ce n’est pas la longueur des procès, c’est le sous financement de la Justice. En Allemagne, par exemple, il y a trois fois plus de juges par habitants qu’en France !

Quelles solutions propose Anticor pour décomplexifier la corruption et sa lutte aux yeux de Madame Tout le monde ?

On créé des outils digitaux qui expliquent comment agir et on communique sur les formations citoyennes qui existent. N’importe quel citoyen peut écrire au procureur, peut exercer des formes de pressions en demandant des documents administratifs par exemple. 

Pensez-vous que c’est par l’éducation aux armes citoyennes que la jeunesse se réinvestira plus dans le politique ?

Oui, mais pas que. Je pense que pour combattre la défiance, il faut informer, donner conscience de l’importance du poids citoyen et nettoyer la place politique avec de nouveaux visages frais ! 

Il faut apprendre à manier les armes de « l’ennemi » pour lutter efficacement ?

Nous utilisons l’arme judiciaire contre l’exécutif défaillant. Mais le pouvoir des médias est tout aussi puissant et nous en avons besoin. Il faut se munir de toutes les armes pour y arriver. L’individualisation de l’engagement dans ce sens est aussi négatif que positif.

Le boycott est positif par exemple. La consommation, c’est le nerf de la guerre ! Mais en groupe, on pèse toujours plus lourd. On a subi de fortes pressions pendant plusieurs mois, on a compris à quel point on dérangeait. Mais on dérange surtout parce qu’on est 6000 !

Par où commencer ? 

Il faut pénaliser le non-respect de l’article 40 du code de procédure pénal. L’article dit que les fonctionnaires doivent dénoncer une violation de la loi, mais qu’ils ne sont pas puni s’ils ne le font pas. Il est donc très peu respecté. Si le risque pénal existe, ils pourront se sentir légitime et se justifier de dénoncer, sans se faire traiter de balance ou avoir peur de perdre leur emploi, comme c’est le cas aujourd’hui.

Des balances ?

C’est ce qu’avait dit Eric Dupont Moretti sur les lanceurs d’alertes. On en est là, de la part du Ministre de la Justice…

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