SOCIÉTÉ

Joe Biden, 100 jours plus tard : l’État contre-attaque

"Joe & Kamala hurry up and get here" © Ted Eytan on Flickr
"Joe & Kamala hurry up and get here" © Ted Eytan on Flickr

Il y a quarante ans, Ronald Reagan déclarait « L’État n’est pas la solution à notre problème ; l’État est le problème ». Aujourd’hui, Joe Biden rompt avec la religion de son prédécesseur. Son administration vient en aide aux millions de vies américaines ébranlées par la crise.

Plus de cinquante ans que le démocrate convoite la présidence des États-Unis. « Joe » a longtemps lorgné, le visage collé à la fenêtre, l’intérieur reluisant du Bureau oval. Il en a caressé la poignée pendant huit ans, en tant que vice-président de Barack Obama. Il a pris des coups, par la politique et par la vie, mais s’en est toujours relevé. Aujourd’hui, à 78 ans, c’est lui qui se tient debout dans le costume de président et souffle un vent de fraîcheur sur la politique américaine.

100 jours après le début de son mandat, Joe Biden a insufflé un ton étonnamment progressiste à sa présidence. Après une carrière politique menée à la droite du parti démocrate, tous s’accordent à dire que cette énième mue de l’ancien sénateur du Delaware est la plus surprenante. Au milieu de la tempête de crises qui frappe les États-Unis, il a remis, comme on remet l’église au centre du village, l’État au cœur de la vie des Américains.

L’État au secours des Américains

Le 29 avril dernier marquait le centième jour de la présidence Biden. Ce dernier était invité à venir faire le bilan de sa politique devant le congrès. Le regard vif, le verbe tranchant, il martèle du haut de son pupitre : « La pire pandémie du siècle. La pire crise économique depuis la Grande Dépression. La pire attaque contre notre démocratie depuis la Guerre Civile. Maintenant, après juste 100 jours, je peux rapporter à la nation : l’Amérique est de nouveau en mouvement ».

Joe Biden le rappelle, le 20 janvier dernier, jour de son investiture, les défis à relever étaient immenses. Une partie est maintenant à ranger dans la colonne « succès » du bilan de la nouvelle administration. La première urgence, celle de la pandémie, a été surmontée. À tel point que les Américains, au printemps, peuvent tomber les masques. L’administration Biden avait promis de vacciner 100 millions de personnes dans les premiers 100 jours. Elle a largement outrepassé ce seuil, inoculant 220 millions d’Américains. Lorsque Joe Biden se présente devant le congrès, presque 30 % des Américains sont complètement vaccinés contre le virus. Endiguer la pandémie ? Check.

La deuxième urgence était d’ordre économique. Face à la gravité de la crise qui mettait le pays à genoux, le président n’a pas hésité. Soutenu par l’aile progressiste démocrate, il pousse et signe l’American Rescue Plan. Un plan d’urgence de 1 900 milliards de dollars pour – comme son nom l’indique – voler au secours des Américains. Ce plan, à vocation universelle, permet à des millions d’Américains de recevoir un chèque de 1 400 dollars. Au terme des 100 jours, l’administration Biden fournit, sous la forme de chèques et de vaccins, des résultats significatifs aux Américains.

Une relance ambitieuse

Ce premier plan n’est pas une missive isolée. Au contraire, c’est bien la première pierre d’un édifice de relance audacieux portée par le président démocrate. Il a annoncé, devant le Congrès, un plan d’investissement massif dont l’objectif déclaré est de remettre l’Amérique à niveau après quatre ans de trumpisme. Ce plan structurel de 2 300 milliards de dollars, étalé sur huit ans, a vocation à lutter contre le réchauffement climatique et moderniser les infrastructures du pays. Le message est clair : « Build Back Better ! » (Mieux reconstruire).

L’enjeu de ce plan est immense pour la présidence Biden. L’American Jobs Plan doit lutter contre les inégalités et le réchauffement climatique. C’est la « loi climat » du démocrate qui lui permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis de moitié d’ici 2030. Il repose sur une logique que Joe Biden veut simple et qu’il a répété devant le congrès : investir dans la lutte contre le réchauffement climatique est vertueux pour l’économie et pour l’emploi des Américains.

« Pendant trop longtemps, nous n’avons pas utilisé le mot le plus important lorsqu’il s’agit de faire face à la crise climatique : l’emploi, l’emploi, l’emploi. »

Joe Biden, discours devant le Congrès. 27 avril.

Six milliards de dollars sont injectés dans l’économie pour répondre aux défis sociaux et économiques posés par la crise. Si le congrès valide ce plan, il constituerait le point d’orgue d’une politique de relance ambitieuse amenée à refonder l’économie américaine pour la première fois depuis 40 ans. Joe Biden vient bousculer, à coup d’investissements massifs dans le domaine public, le dogme économique reaganien qui fait loi depuis les années 1980.

« Tax the Rich ! » (Taxer les riches !)

Depuis cette date, la doxa néolibérale n’avait jamais été remise en cause. Fondée sur la limitation du rôle de l’État, elle prône la théorie du ruissellement (« Trickle-down economics »). Selon celle-ci, les allégements fiscaux accordés aux plus riches bénéficieraient à tous, engendrant un ruissellement de la richesse des plus riches aux plus pauvres. Jusqu’à aujourd’hui, les démocrates au pouvoir avaient accepté les règles du jeu. Que ce soit à la tête du Congrès ou de la présidence avec Clinton et Obama, ils s’étaient contentés de « colmater » les effets néfastes de cette politique sur les populations par la promulgation de politiques sociales.

Joe Biden balaye d’un revers de la main cette conception. « Nous avons vu maintes et maintes fois que ces retombées ne fonctionnaient pas. C’est la première fois que nous pouvons depuis Lyndon B. Jonhson commencer à changer de paradigme ».

Comme si « Sleepy Joe » (Joe l’endormi, sic.), avait fait le constat de la présidence trop timide de Barack Obama. Lui semble épris d’un zèle progressiste que beaucoup ne lui auraient pas soupçonné. Il a déjà annoncé un troisième plan d’investissement massif : l’American Family Plan. Élargissement de l’accès à l’éducation, réduction du coût de la garde d’enfants et soutien aux femmes sur le marché du travail sont au programme de ce nouveau plan.

Comme pour le plan d’infrastructure précédant, celui-ci sera financé par une augmentation des impôts des Américains les plus riches. Une proposition qui en a surpris plus d’un et qui fait écho aux voix de plus en plus bruyantes qui s’élèvent à gauche du parti démocrate.

L’influence de l’aile progressiste

De nombreux observateurs reçoivent la direction prise par Biden avec enthousiasme. Ils s’adonnent aux comparaisons entre le 46ème président et certains de ses illustres prédécesseurs, lui prêtant volontiers des accents rooseveltiens. Pourtant, les causes de ce tournant progressiste sont à rechercher beaucoup plus près de lui. Il s’explique par l’influence grandissante de la gauche du parti démocrate qui s’est formée dans l’adversité au cours de la mandature Trump. Elle est devenue un poids éminent de la scène politique américaine, dont l’administration ne peut se passer au congrès. Menée par les jeunes figures du parti à l’image d’Alexandria Ocasio-Cortez ou de Cori Bush, la belle campagne de Bernie Sanders lors des primaires de l’année passée a consacré cette éclosion.

Le candidat Biden, maintenant président, prête depuis une oreille attentive aux revendications qui émanent sur sa gauche. La proposition d’augmentation de l’impôt sur les plus riches en est l’illustration. D’autres mesures viennent appuyer cette tendance comme celle sur l’augmentation du salaire minimum. Par décret présidentiel, Joe Biden a augmenté à 15 dollars de l’heure le salaire minimum des personnes employées sous contrat fédéral. Ce sont 5 millions de travailleurs comme des agents de sécurité, des aides-soignants et des techniciens d’assistance informatique qui en bénéficieraient. Sur Twitter, Joe Biden se fait le porte-voix de cette revalorisation salariale, mesure longtemps portée par Bernie Sanders. « Personne ne devrait travailler 40 heures par semaine et vivre en dessous du seuil de pauvreté. » a t-il déclaré.

Plutôt qu’un nouveau New Deal, la politique menée jusqu’à présent par l’administration Biden est l’application du programme convenu il y a quelques mois avec les conseillers de Bernie Sanders. Pour répondre aux crises, elle tend à refonder l’économie américaine en l’engageant sur le terrain de l’écologie, de la justice sociale et en faveur de sa classe moyenne. L’idée d’un État protecteur, plébiscitée par les progressistes américains, marque une rupture avec le dogme néolibéral que Biden s’apprête à entériner.

Mais la gauche démocrate n’en reste pas moins sur ses gardes. La conclusion du chapitre ultra-libéral n’est pas actée. Le plan infrastructure, pour ne donner qu’un exemple, doit passer par le Sénat où la majorité démocrate ne tient qu’à un fil. D’autre part, les plus ambitieux veulent aller plus loin, trouvant le plan insuffisant. Si Joe Biden est sensible aux sirènes progressistes sur des sujets comme l’éducation, le climat ou le racisme, beaucoup savent qu’il ne s’est pas réveillé un matin métamorphosé en révolutionnaire barbu. La politique migratoire ou l’annulation de l’énorme dette étudiante restent une pomme de discorde acide dans le camp démocrate.

«  Il vise grand, et il le fait tout de suite »

L’agenda de Biden témoigne d’un élan progressiste qui s’explique aussi par l’obligation qu’il a d’agir vite. Détenteur d’une courte majorité au congrès, le démocrate a moins de deux ans pour transformer la vie des Américains avant les traditionnelles élections de mi-mandat. Les fameuses mid-terms marquent le tournant d’une présidence. De manière quasi-systématique, le parti au pouvoir perd le contrôle du congrès. C’est une règle presque incontournable de la vie politique américaine. Les démocrates ont donc jusqu’à 2022 pour appliquer leur programme avant de devoir potentiellement faire face à une opposition républicaine au Capitole.

L’exception confirmant la règle, seul George W. Bush avait grappillé du terrain lors des élections de mi-mandat de 2002, marquée par les attentats du 11 septembre. Avant cela, il faut revenir à Franklin Delano Roosevelt pour voir un président conforter son contrôle sur le congrès. Sa présidence étant également marquée par la gravité des crises, Joe Biden peut-il conserver le contrôle des chambres ?

C’est le pari que veut relever le président démocrate qui soufflera ses 80 bougies en 2022. Lui, qui veut être plus qu’un président de transition, suit une stratégie simple : Go Big or Go Home ! (Viser haut ou rentrer à la maison). En promulguant des politiques sociales significatives, Joe Biden veut créer des résultats tangibles dans le quotidiens des électeurs. Il veut renouer avec les classes populaires, un temps séduites par le populisme républicain. Une politique qui se répercute dans la vie des Américains et Biden le scande haut et fort. S’il veut triompher lors des élections de mi-mandat, il sait que c’est peut-être ici sa meilleure carte : viser haut ou rentrer à la maison.

Cette stratégie explique le virage social et ambitieux emprunté par l’Amérique de Biden. Lui qui donne le ton à l’international, s’est déclaré, à la surprise générale, favorable à la levée des brevets sur les vaccins. Il montre, par la réalisation de cette promesse de campagne, qu’il n’a pas peur de croiser le fer avec les entreprises pharmaceutiques américaines et le secteur privé. Tendance que vient corroborer ses bons sentiments en faveur des syndicats.

« Nous avons besoin d’un vaccin du peuple, pas un vaccin du profit »

Bernie Sanders

En se plaçant en champion de l’État-providence et chevalier du peuple, Joe Biden veut regagner les faveurs des électeurs. « Quelle que soit la voie choisie par Biden, il gouverne dans un style qui sert ses intérêts : Il vise grand, et il le fait tout de suite » confie Peter Nicholas, correspondant à la Maison-Blanche pour The Atlantic. « Ce moment où sa côte de popularité est élevée est peut-être sa meilleure – et sa seule -–fenêtre pour laisser une empreinte durable  ». Confronté à une crise d’une rare ampleur, Joe Biden sait qu’il a l’occasion de laisser son nom dans l’histoire. Confiant et serein devant les caméras, il s’adresse directement aux Américains : « The Government has your back ! » (L’État couvre vos arrières)

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