CINÉMA

« Il Mio Corpo » – De l’autre côté du miroir, les abandonnés

© SWEET SPOT DOCS

Présenté à l’ACID, Il Mio Corpo de Michele Pennetta, est un documentaire filmé comme une fiction. Deux jeunes personnages laissés pour compte vivent sous la chaleur pesante et la misère de la Sicile. Oscar et Stanley rêvent tous deux d’une autre vie. Deux films qui n’en font qu’un.

Deux corps en mouvement. Deux corps qui travaillent. Deux corps qui errent sous le soleil de la Sicile. Deux corps qui tentent de survivre malgré la misère. Pour son deuxième long métrage, le cinéaste italien, Michele Pennetta a construit son film sur des rencontres. Celle du jeune et fascinant Oscar et de sa famille. Son père ferrailleur, son grand-frère, sa belle-mère et le reste de la marmaille. Ils travaillent dans une décharge désaffectée depuis que l’exploitation minière a été désertée. Dans les vestiges de l’ancienne grandeur sicilienne, Oscar récupère des objets abandonnés comme eux, comme toute l’île, par la société.

De l’autre côté du miroir d’Il Mio corpo, le monde des réfugiés à l’autre bout de la ville. Stanley est Nigérian et travaille dans une église. Il effectue les petits boulots que lui donne le prêtre. Stanley est chanceux car contrairement à la majorité des migrants il possède un permis de travail, un titre de séjour et parle italien. De ces personnages, de ces deux mondes différents évoluant dans la même ville, se dégage deux parcours bloqués et sans issue. Oscar et Stanley dépendent des autres. D’abord, de leur entourage mais surtout de la survie dans une Italie (un monde) qui les a abandonné. Pourtant dans leur regards, subsiste une solitude qui tend vers un désir, un rêve d’ailleurs, d’une autre vie.

La poésie du réel

Michele Pennetta nous raconte ces deux histoires en parallèle. Il pose son regard subjectif, un oeil humaniste et artistique. La caméra s’efface pour observer le quotidien de ces deux marginaux tandis que le montage fabriquera le film. Le documentaire mue en fiction abolissant la frontière du réel. La lumière naturelle sublime les décors de la Sicile captée par le cinéaste les plaçant en contraste avec la désolation ambiante. Jamais le cinéaste ne tente d’esthétiser les images capturées.

Ce qu’il nous présente, c’est un paysage désaffecté, une déchetterie réelle et une déchetterie humaine dans laquelle, passé dix-huit ans, les migrants perdant leur statut de mineurs accompagnés sont laissés à l’abandon sur l’île. Une île à l’image de la terre sur laquelle ils errent sans but, ne pouvant ni retourner là d’où ils viennent, ni partir ailleurs. À travers ces vies et ces corps se pose toute la problématique européenne des laissés pour compte.

Et si de ces deux destins tracés et enfermés, le cinéaste prenait le parti pris poétique de les faire se croiser ? La beauté du film réside dans cette manière d’amener la fiction dans le réel, le songe dans la cruauté brutale de la vie. Michele Pennetta joue avec les miroirs et les images pour dévoiler le sublime de la réalité de notre monde sans jamais nous montrer autre chose qu’un état actuel des flux migratoires et l’abandon de ces être humains sur des terres elle-mêmes devenues des ruines de l’Europe. La poésie et l’onirisme créés par le cinéaste enveloppent alors Stanley et Oscar comme une lueur d’espoir éclairant ce qu’ils représentent, le reflet du délabrement de notre société. C’est ça le cinéma.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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