CINÉMA

« Adieu les cons » – L’ascenseur émotionnel d’Albert Dupontel

Copyright Jérôme Prébois – ADCB Films

Avec Adieu les cons, Albert Dupontel fait dialoguer les émotions et le politique avec beaucoup de pertinence. On regrettera que cette revanche des «  losers  » ne profite pas à tou.te.s.

Le 12 octobre dernier, lors d’une avant-première parisienne d’Adieu les cons, Albert Dupontel se prête au jeu des questions-réponses, avec ce léger agacement qu’on lui connait trop bien. Le réalisateur explique le choix du casting, admet les récurrences dans son écriture et se confie sur les obsessions qui travaillent son cinéma. Duos improbables, revanche des petits contre les puissants et leurs folies destructrices, etc. L’avant-première est l’occasion de constater qu’effectivement le réalisateur de 56 ans fait bien son âge. «  Qui est le fou face à cette assemblée de masques ?  » lâche-t-il nerveusement. Et c’est peut-être là le problème. Face à l’armée de fous (qui l’applaudit d’ailleurs à tout rompre), Dupontel montre qu’il a atteint l’âge de raison. Pour le meilleur et pour le pire.

Pari vertigineux

Après les succès de 9 mois ferme et Au revoir là-haut, Dupontel poursuit la mise en scène de ces rencontres qui n’auraient jamais dû arriver. Cette fois, ce sont Suze et JB qui sont forcés de faire équipe. L’une fait une course contre la montre pour retrouver son fils avant que sa propre santé ne la rattrape. L’autre échappe à la police après avoir raté un suicide qui a tout l’air d’un homicide volontaire.

© Jérôme Prébois – ADCB Films

Le réalisateur a fait le pari du renouveau pour revisiter ses obsessions en tournant intégralement en studio. Des effets spéciaux pour une narration plus intime mais surtout plus sombre que jamais. Dupontel avait des envies de maîtrise. Aux côtés de Alexis Kavyrchine, directeur de la photographie, l’auteur-réalisateur esthétise une dystopie connectée où la vie de con est érigée en système. En résultent de jolies scènes dans un métro où les écrans des téléphones font office d’éclairage, dans un quartier d’affaires qui troque la couleur pour de longues façades vitrées ou dans des archives immenses. C’est là le premier tour de force du film : imposer une esthétique forte qui raccorde chaque scène à cet univers précis.

Et si Albert Dupontel fait le pari du fond bleu, c’est pour filmer de plus près les émotions. Celles de Suze, une battante à bout de souffle interprétée brillamment par Virgina Efira. L’actrice semble d’une évidence sans égale pour son rôle. Elle s’était pourtant prêtée au jeu des essais caméra. De son côté, l’acteur a retrouvé son costume de « monsieur Tout -le-monde », délicieusement névrosé, pour lui offrir une noirceur inédite. Autour d’eux gravitent une série de personnages délicieusement cocasses. Monsieur Blin, archiviste malvoyant campé par Nicolas Marié, Docteur Lint (Jackie Berroyer), médecin atteint de la maladie d’Alzheimer ou encore Adrien (Romain Ughetto), un jeune informaticien renfermé, etc.

Envolées lyriques et répliques bien senties

La plume aiguisée du comédien, scénariste et réalisateur reste le principal atout du film. Dès les premiers échanges, le public est hilare. La double annonce que ce médecin maladroit (Bouli Lanners) porte à Suze n’a pourtant rien de drôle : une maladie incurable et une mort prochaine. Pourtant, le sarcasme se fait plus mordant que jamais. Face aux radios que lui soumet le docteur, Suze murmure : «  On dirait des fleurs  ». Et face à l’air dubitatif de son interlocuteur : «  Des soucis  ». L’autre lui répond qu’on est déjà plus proche de la réalité.

© Jérôme Prébois – ADCB Films

Mais cette réalité va se prendre quelques jolis pieds de nez pendant l’heure et demie qui va suivre. Poétique, absurde, politique, sensible… Il serait bien incommode de ranger le cinéma d’Albert Dupontel dans un tiroir. Chaque mot est une surprise. Le film s’attaque autant à la paresse bureaucratique qu’aux violences policières, aux accouchements sous X qu’aux nouvelles technologies. On comprend que le réalisateur aime les plans larges.

Pour mieux dépeindre les « petits », Albert Dupontel voit grand. Il magnifie son texte à l’aide d’un joli carnet d’adresses au point que le long-métrage prenne des airs de film à sketches. On croise le Palmashow en préposés empotés, Michel Vuillermoz en psychologue de comptoir, Philippe Uchan, fonctionnaire mielleux ou encore Kyan Khojandi, médecin imperturbable. Adieu les cons devient la preuve qu’on peut concilier cinéma d’auteur et film grand public. La grande histoire passe par des détours, permet de chouettes lazzi tant qu’il y a cohérence dans les émotions.

Plafond de verre

Avec l’analogie que fait le médecin de Suze entre l’anticorps incompétente et la police contre-productive, on nous donne le ton : le film sera engagé. Dans l’intrigue, il ménage une place à un personnage malvoyant, dont le handicap est justement dû à des violences policières. Pourtant, Dupontel préfère les bons mots aux grands discours. Très vite, Monsieur Blin est réduit à sa malvoyance et se prendra inévitablement les murs, dans un jeu clownesque qui lasse vite.

Bien sûr, le cinéma de Dupontel est tout en ambiguïté. Et le même Monsieur Blin qui amuse la galerie en perdant l’équilibre témoignera de quelques éclairs de lucidité. Le réalisateur reste du côté des fous, des extravagants. Pas étonnant que personne ne rit quand Virgina Efira parle seule sur le parvis d’une église ou qu’elle jette d’un coup tous les sprays de son salon de coiffure d’un coup de colère. Tout est une question de contexte. Le même accident de voiture aura d’ailleurs divisé la salle où une partie rit de la violence quand l’autre la subit de plein fouet.

© Jérôme Prébois – ADCB Films

Pourtant, Albert Dupontel reste un homme de sa génération. Et si dans son cinéma, les puissants en voient de toutes les couleurs, il est rare qu’ils se prennent un poing médian. Dans cette intrigue tragique, ce sont les hommes qui ont le dernier mot. Et c’est la quête du fils de Suze qui le montre le mieux. On part à la rencontre du jeune garçon avec une empathie installée par le jeu de Virginie Efira et la mise en scène. Avant même qu’ Adrien n’entre en scène, on lui offrirait le bon dieu sans confession. Il faut dire qu’entre le jeu de la comédienne et l’ambiance plus générale distillée par la mise en scène, une certitude s’installe : la quête ne peut pas être vaine.

La rencontre avec le fils sera belle. Il est question de faire son adieu aux cons mais on imagine mal Suze se séparer de son propre fils. Et pourtant… Le jeune garçon envoie des poèmes anonymes par courrier à une collègue dont il est éperdument amoureux. Il programme ses sorties en fonction de ses heures de passage. Il s’installe à quelques pas de chez elle exprès. Pierre par pierre, Dupontel voue un petit autel au mythe de la misère sexuelle. Puisque le récit se limite aux versions masculines, la pitié du spectateur se borne à la timidité maladive de Bastien. L’insécurité générée pour la jeune femme sera hors champ.

Avec cette tragédie burlesque, Dupontel joue donc habilement avec les genres. Dommage que l’intrigue ne se base que sur le sien. Le manque de diversité dans les points de vue mine la profondeur du film. Tout le monde sait désormais le réalisateur capable d’excellentes comédies, on peut regretter que l’humour sabote parfois des émotions plus fécondes.

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