SOCIÉTÉ

#MusicToo : les dessous d’une nouvelle enquête

Oh My Mag publie sa première enquête, en collaboration avec le magazine Neon et le collectif MusicToo, sur des accusations de cyberharcèlement et violences sexuelles portées à l’encontre du musicien Boy Racer. Un travail de longue haleine, révélateur de l’ampleur du sexisme dans le milieu musical.

Les victimes ne peuvent à la fois témoigner à visage découvert et nommer leur agresseur : c’est le constat dressé par les fondateur.rice.s du collectif MusicToo. Pour y remédier, iels ont lancé un questionnaire anonyme à l’été 2020. En moins de trois mois, plus de 300 témoignages ont été recueillis, dont plusieurs se recoupent. Gautier R., alias Boy Racer, est accusé de cyberharcèlement sexuel par plusieurs jeunes filles. Pour entrer en contact avec elles, il se serait notamment servi de son statut de musicien.

Six mois d’enquête sur Gautier R.

Léa François, journaliste chez Oh My Mag, a enquêté sur le fondateur et musicien de Boy Racer. Elle s’est appuyée sur les témoignages transmis par MusicToo avec l’accord des victimes déclarées. Elle est aussi parvenue à en récolter de nouveaux. C’est sur Twitter que l’artiste serait entré en contact avec des jeunes filles intéressées par sa musique. Cette plateforme, la journaliste l’a longuement investiguée.

«  Twitter apparaît comme un lieu paradoxal : ce serait tout à la fois l’épicentre du cyberharcèlement, la plateforme où le piège se serait refermé sur les victimes déclarées, mais aussi le lieu où survient la libération de la parole.  »

Puis, elle a écouté celles qui ont accepté de lui parler. «  Dans ces enquêtes sur le sujet des violences sexuelles, l’élément le plus important, c’est vraiment l’écoute  » nous confie-t-elle. Parce qu’ils abordent des souvenirs parfois traumatiques, les entretiens ne peuvent se dérouler que dans un climat d’extrême confiance.

Au fil de l’enquête, la journaliste s’est procuré des documents qui viennent corroborer les témoignages. On a ainsi accès à des extraits d’échanges avec Gautier, dans lequel le refus de recevoir des images pornographiques est clairement exprimé par les jeunes filles.  

Des accusations qui se recoupent

Au total, elles sont quatorze à déclarer avoir subi des violences sexuelles de la part de Gautier R. entre 2014 et 2019. Le musicien aurait notamment envoyé des dick pics non sollicitées à de très nombreuses reprises. Le récit de l’une d’entre elles se distingue des autres, accusant Gautier R. de viol. La victime déclarée a porté plainte en décembre 2020.

«  Si toutes les victimes déclarées étaient jeunes, Emma, Anaïs, Clémence et Juliette étaient quant à elles mineures au moment des faits présumés.  »

L’enquête met en avant «  un même profil et un même modus operandi  ». Selon les jeunes filles, Gautier R. se serait joué d’une certaine faiblesse psychologique, en plus de la jeunesse de ses interlocutrices et de leur intérêt pour la musique. Il aurait diversifié les plateformes pour échanger avec elles, et leur aurait réclamé des nudes avec insistance. Conscient de son aura, il serait allé jusqu’à s’octroyer les faveurs sexuelles d’une personne en échange d’une collaboration musicale.

Parmi les jeunes filles qui disent avoir reçu parfois des dizaines de photos à caractère pornographique sans leur consentement, certaines n’auraient pas immédiatement réalisé la gravité des faits. Sur internet, ce type de violence est à la foi récent et banalisé. Pourtant, au regard des accusations, Gautier R. pourrait risquer jusqu’à 30 000 euros d’amende, pour harcèlement sexuel aggravé. Il a été confronté aux accusations le concernant mais n’a pas souhaité répondre.

Médiatiser un problème systémique et libérer la parole

Les enquêtes nominatives permettent une libération de la parole. Depuis la parution de l’enquête sur Boy Racer, Léa François a été contactée par plusieurs nouvelles victimes déclarées. Après que Neon ait enquêté sur le chanteur Spleen (The Voice 2014) fin 2020, MusicToo a enregistré une nouvelle vague de témoignages le concernant. Au moment de cette enquête, une seule plainte était enregistrée à l’encontre de l’artiste, contre cinq après la publication.

Pour Jean-Michel, co-fondateur du collectif, ces publications permettent de « donner de la force aux victimes, qui se reconnaissent dans certaines descriptions ». A plusieurs, elles seraient plus souvent prêtes à aller devant les tribunaux, selon Léa François.

Sur la base de la parole recueillie par MusicToo, d’autres enquêtes sont en cours. Dans certains cas, les personnes prêtes à témoigner sont trop peu nombreuses. De fait, plus la personne accusée a de pouvoir dans l’industrie, plus il est difficile pour les victimes de parler. L’omerta sur les violences sexistes et sexuelles dans l’industrie musicale est tenace, tout comme les silences complices qui les entourent.

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