SOCIÉTÉ

L’esprit épidémique du Covid-19 : quels enjeux pour les peuples autochtones ?

Réserve Navajo, Utah Etats-Unis - Ashley Diener©
Réserve Navajo, Utah Etats-Unis - Ashley Diener© - 2019

Malgré la décolonisation et le traité sur les droits des peuples autochtones, ces derniers sont encore victimes de graves discriminations et ethnocides partout dans le monde. L’arrivée de la pandémie fait craindre une aggravation de leur situation, voir l’extinction de cultures. C’était sans compter sur l’ingéniosité ancestrale des gardiens de la mémoire, garants d’une diversité contestée.

Les peuples autochtones ont lutté continuellement pour préserver leurs terres, leurs croyances, et leurs droits. Dans de nombreux pays, ils sont tenus à distance du pouvoir politique et leur habitat reste menacé par des entrepreneurs. Cela met en danger la diversité des espèces mais aussi des cultures. Depuis de nombreuses années, les groupes autochtones diminuent en nombre, et leur lieu de vie est impacté, voir détruit. L’arrivée de la pandémie chez ces population est donc d’un enjeu immense et protéiforme.

Irène Bellier est anthropologue et vice-présidente du Groupe de travail international pour les peuples autochtones (Gitpa). Dans une interview elle présente ses recherches sur la condition des peuples autochtones face à la pandémie de Covid-19.

« Cette expression formalisée par les Nations unies à partir des années 1970 regroupe un ensemble de peuples, de nations et de communautés qui occupaient des territoires avant l’arrivée des premiers colonisateurs. (…) Alors qu’elles représentent à peine 5  % de la population mondiale et se distribuent dans 90 pays, leur mode d’occupation territoriale et d’exploitation des ressources les amènent à protéger 80  % de la biodiversité planétaire. »

Irène Bellier, journal du CNRS, 9 septembre 2020

Face au danger d’extinction, où se trouve l’Etat ?

Beaucoup de peuples sont aujourd’hui peu nombreux et se retrouvent confrontés au danger de disparaître définitivement. Les savoirs, rites et langues traditionnels sont tout autant en danger face au virus que les anciens, grâce à qui ils perdurent.

La tribu Haïda, présente sur l’île de Haïda Gwaii depuis plus de 6000 ans est passée de plusieurs dizaines de milliers de membres à l’arrivée des colons, à 500 en 2016. Connu pour son art sculptural coloré (totems, canots, statues) les Haïdas ne sont plus que 445 à parler leur langue. Située aux confins de l’Ouest canadien, le tourisme de l’île s’est développé ces 20 dernières années. Les mesures de restriction se sont longuement faites attendre, augmentant les risques d’importants brassements de population citadine.

De nombreuses tribus ont décidé de se couper totalement du monde comme les Yanomami du Brésil, les Huay-E-Khang de Thaïlande… Certains ont décidé de faire valoir leur droits à la protection du gouvernement. En bloquant des routes, au Brésil par exemple pour dénoncer l’inaction de l’Etat à leur égard. En Australie aussi, pour empêcher les touristes d’accéder au parc National d’Uluru afin de stopper l’afflux quotidien de touristes près de chez eux.

« Partout domine la peur de voir les aînés disparaître, c’est-à-dire, la sagesse, la mémoire, l’autorité du peuple. »

Irène Bellier

Dans son rapport, l’anthropologue explique que dans certains Etats américains, les écarts de contamination entre les communautés ethniques ne sont pas relevées. Ils les considèrent comme une minorité dans la population. Pourtant, ces écarts sont symptomatiques des inégalités de contamination, de protection, et de traitement face au virus.

En Arizona par exemple, les « Native Americains » comptent pour 6 % de la population. Parallèlement, ils constituent 16 % des cas de Covid-19 de l’état. Les Navajos sont 156 000, ils sont répartis entre l’Utah, le Nevada et l’Arizona. Au mois de mai ils ont dépassé le taux de contamination par habitant de la ville de New York. Malgré cela, ils ne disposent que de 12 centres de soin pour 72 000 km2 d’habitat.

Nous sommes une petite population à cause de génocides. Il n’y a pas d’autre raison… Si vous nous supprimez des catégories de recensement, nous n’existons plus. Nous n’existerons plus pour la répartition des ressources.

Abigail Echo-Hawk, pawnee, directrice du Conseil d’administration des services de santé des indiens en ville

Des « pratiques prometteuses  » ?

La Haut commissaire des Nations Unies a congratulé certaines initiatives innovantes de la part de gouvernements. Certains pays ont pris des mesures sanitaires spécifiques pour aider ces peuple à combattre la Covid-19.

La Russie par exemple a développé un plan de prévention et de service médical spécial pour les groupe nomades extrêmement isolés grâce à un système de surveillance télémédicale. La Nouvelle-Zélande a créé un règlement sanitaire adapté aux Maoris, dans le but de les protéger tout en garantissant la préservation de leurs pratiques culturelles et l’organisation de funérailles en harmonie avec leurs croyances.

Mais pour donner vie à ces ordonnances, la communication est plus que stratégique. Les natifs dans le monde parlent plus de 6000 dialectes, souvent différents de la langue du pays où ils vivent. Alors le Mexique, le Guatemala, le Pérou ou encore la Bolivie distribuent des fascicules dans un maximum de langues autochtones. Banderoles, radio, concerts, téléphone, haut-parleur : tous les moyens sont bons pour informer les plus reclus. Malgré tout, la fracture numérique reste un frein considérable pour atteindre certaines communautés.

Retour aux savoirs ancestraux

La pandémie fut aussi l’occasion pour des pratiques ancestrales de trouver un nouveau souffle face à un virus que la science n’a su dompter. La pharmacopée traditionnelle se réveille pour le bien des habitants de contrées reculées sans accès aux centres de soins.

Au Maroc ou en Ethiopie par exemple, les plantes et racines sont transformées en savon désinfectant très efficace. Il est commercialisé en cas de pénurie. Le Costa Rica promeut un guide des savoirs traditionnels contre la précarité sanitaire. Sauna aux plantes pour stimuler le système respiratoire, infusion ou fumigation de plantes antivirales contre les infections.

Médecine par les plantes dans un village Lisu, Thaïlande. Olivier SIMARD Flickr©

La Covid-19 est aussi l’occasion de rappeler les dus de la science « moderne » aux savoirs millénaires nés de la symbiose entre le peuple amazonien et la nature. Ces connaissances servent aux hôpitaux face aux complications liées à la Covid-19.

Les tubocurarines, dérivées du curare amazonien employé par les indigènes dans leurs sarbacanes empoisonnées, et faisant partie de leur pharmacopée depuis le néolithique, est indispensable pour l’intubation des malades du Covid-19 en réanimation sous respirateur artificiel.

Sans entrer dans les polémiques ouvertes par le professeur Didier Raoult, la fameuse hydroxychloroquine, synthétisée depuis 1944, s’inspire de la quinine employée par les indigènes d’Amazonie pour son action antipyrétique.

Mario-Christian Meyer, Président du PISAD, tribune dans Le Monde

Rebond des activités illégales sur les terres sacrées

Après des centaines d’années de massacres et de « civilisation » forcée (Canada, Australie) ce n’est qu’en 2007 qu’est rédigée la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ratifié par 182 états, le texte prévoit le droit à l’auto-détermination et l’obligation de consulter les peuples concernant l’avenir des territoires qu’ils habitent. Cependant il apparait rapidement que certains signataire ne respectent pas cet impératif et continuent de spolier d’immenses territoires, commettant au passage meurtres et viols sur les tribus d’Amazonie.

C’est précisément ce qui amena le chef Kayapo, Raoni Metuktire devant le tribunal pénal international en janvier 2021. Aux côtés de son avocat français, il accule Jair Bolsonaro d’ethnocides, mise en esclavages, et de déplacements forcés de population. Cette plainte qui représente le combat d’une vie, a été précipité par l’accélération des pratiques criminelles en Amazonie. Le 3 mars, des autochtones du Brésil et de Colombie déposent une plainte contre le géant Casino. Elle utilise la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises française dans leurs activités à l’étranger. Le temps semble être venu pour certains persécuteurs de faire face à la Justice.

Le coronavirus représente une menace supplémentaire contre les peuples autochtones en contextes de vulnérabilité, et les conflits armés augmentent le risque d’extinction physique et culturelle. Nous sommes confrontés à différentes situations de violation des droits de l’homme sur le territoire national (…)

Commission nationale des territoires indigènes (CNTI), Bogota le 2 mai 2020
Raoni Metuktire chef Kayapo – Bruxelles marche pour le climat, mai 2019 Flickr ©

Les sommets de la Sierra Nevada en Colombie abritent l’un des 34 peuples menacés d’extinction dans le pays. Dans cette région reculée, la pandémie a accentué la violence des narcotrafiquants et les attaques contre les Wiwas. 50 % de la communauté a déjà cessé d’apprendre la langue traditionnelle pour partir travailler en ville. C’est aujourd’hui la peur les force à quitter leurs terres.

« Dans l’ensemble, la pandémie souligne l’importance de veiller à ce que les peuples autochtones puissent exercer leurs droits à l’autogestion et à l’autodétermination » déclare la Haut-Commissaire.

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