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LE FILM CULTE – « Happy together » : S’aimer comme on se quitte

Leslie Cheung (à gauche) et Tony Leung (à droite) © ARP Sélection

Chaque mois la rédaction de Maze revient sur un classique du cinéma. Le mois dernier, La vie est belle de Roberto Begnini (1997) était à l’honneur. Ce mois-ci, place à Happy Together, le chef-d’œuvre de Wong Kar-Wai qui raconte avec grâce l’expatriation de deux amants terribles dans les rues de Buenos Aires. 

Happy Together aurait pu s’appeler Une saison en enfer. Les deux amants que nous fait découvrir Wong Kar-Wai dans ce film ne sont pas poètes, mais leur épopée est d’une noirceur étincelante. Comme une tragédie. Il y a Lai-Yiu Fai, incarné par Tony Leung, acteur fétiche du réalisateur. Après avoir interprété un flic esseulé dans Chungking Express (1994) et un journaliste victime d’adultère dans In the mood for love (2000), il est cette fois l’amant torturé de Ho Po-Wing (Leslie Cheung). 

Ils s’aiment, mais sont incapables de s’aimer correctement. Ho Po-Wing, amant terrible qui n’aura de cesse de hanter son partenaire lui répète d’ailleurs souvent  : «  Reprenons à zéro.  » Et c’est à la faveur d’un énième nouveau départ qu’ils partent ensemble en Argentine. Ils espèrent voir ensemble Iguazú, d’immenses chutes d’eau situées à la frontière entre le Brésil et l’Argentine. En attendant, ils ont une lampe peinte aux motifs des chutes, qu’ils contemplent souvent. Comme un porte-bonheur. 

Mais le bonheur, c’est pour les autres, alors ils se séparent. Ho Po-Wing disparaît. Alors Lai-Yiu Fai se retrouve seul, sans argent et coincé dans un pays qu’il déteste. Il voudrait retourner à Hong-Kong, il devient portier dans un bar dansant de Buenos Aires. Pour économiser un peu d’argent et se faire la malle pour de bon. Et puis un jour, à la faveur d’une nuit froide, Ho Po-Wing réapparaît. Il passe la porte du bar où travaille Lai-Yiu Fai, il est accompagné. Et alors tout recommence. 

Ho Po-Wing (Leslie Cheung) devant la lampe d’Iguazú © ARP Sélection

Une sensualité féroce

Ça n’est pas un hasard si Wong Kar-Wai reçoit pour ce film le Prix de la Mise en scène lors du Festival de Cannes de 1997. Cette odyssée de deux amants à Buenos Aires fait preuve d’une esthétique unique : le film parvient à la fois à montrer les actions et à dire les silences. C’est ainsi que l’on se retrouve face à des mouvements de caméra quasi burlesques. Celle-ci se cogne contre les corps, se heurte aux visages, ses mouvements sont saccadés. Cette caméra faussement maladroite vient épouser l’histoire d’amour imparfaite entre deux jeunes hommes qui ne savent pas y faire. 

Il y a bien quelque chose de burlesque dans cette histoire d’amour. Les deux amants la subissent presque autant qu’ils l’entretiennent. Ils s’aiment mais se jalousent. Ils prennent soin l’un de l’autre mais se déchirent. Burlesque, comme leur mode de vie précaire. Ensemble, ils tentent de s’apprivoiser dans un studio miteux des bas quartiers de Buenos Aires. 

Tony Leung (devant) et Leslie Cheung (derrière) © ARP Sélection

Tout est sale, la lumière est blafarde. Comme si l’amour ne pouvait qu’être sincère dans une atmosphère aussi glauque. Wong Kar-Wai parvient avec ce film à mettre en image un amour que l’on désire sans jamais parvenir à bien le saisir. Les deux amants se pardonnent et se rabibochent et pourtant rien n’est plus pareil. Ils s’enlacent et alors le spectateur sait qu’ils courent à leur perte. Ho Po-Wing murmure «  Reprenons à zéro.  » et les voilà tous les deux encore plus seuls, plus désemparés. 

Saisir la grâce

La photographie est dirigée par le chef-opérateur Christopher Doyle. Grand favori de Wong Kar-Wai, il a collaboré avec lui à de nombreuses reprises. C’est à lui que le réalisateur doit cette imagerie si caractéristique qui fait sa patte  : une étreinte prise à travers la vitre d’une fenêtre, une lumière jaune comme du papier sépia. Une véritable esthétique de la nostalgie se dessine. Le spectateur peut voir les personnages regretter des instants qu’ils sont pourtant en train de vivre. Comme si la passion avant manqué son rendez-vous avec la vie de couple. 

Leslie Cheung (de face) et Tony Leung (de dos) © ARP Sélection

Wong Kar-Wai s’entête à essayer de saisir dans ses films les échecs de l’amour. Des personnages qui se manquent, qui s’évitent, qui ratent le coche. Deux flics qui ratent leur histoire d’amour dans Chungking Express. Deux personnes mariées qui n’oseront jamais entamer une liaison dans In the mood for love. L’amour, comme toutes les promesses, n’engage que ceux qui y croient. 

Cette imagerie de l’amour manqué est renforcée par la musique. Le réalisateur en use sans modération. Elle revient de manière obsédante, compulsive pour faire dire quelque chose de supplémentaire aux séquences. À chaque balbutiement entre les amants, la musique reprend. Et accentue chacune des déchirures. Un éternel refrain qui vient illustrer l’éternel recommencement de cette relation estropiée. Avec ironie parfois. Lorsque les personnages se quittent et que Lai-Yiu Fai se retrouve seul, Happy Together du groupe de rock américain The Turtles retentit. «  Imagine me and you, I do / I think about you day and night, it’s only right  ». Wong Kar-Wai donne de la grâce aux drames.

Happy Together est à retrouver sur les plateformes de VOD comme Universciné.

Journaliste

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