LITTÉRATURE

« Figures du communisme » – Haro sur le capitalisme

© Éditions La Fabrique

Partant du constat que le capitalisme détruit plus qu’il n’élève les êtres humains, Frédéric Lordon chercheur au CNRS et figure de proue de la gauche française – tente de réhabiliter le communisme. Il s’emploie à élaborer de nouveaux possibles en offrant une alternative désirable au système politico-économique actuel. 

Figures du communisme commence par dresser le constat d’échec du système capitaliste. Une musique récurrente dans l’actualité. En témoignent nos modes de vie et de consommation régulièrement dénoncés comme ayant un impact de plus en plus nocif sur notre environnement général. Nous sommes collectivement responsables du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources qui en découle. Nos modes de consommation ont également un impact sur les corps. Notamment ceux des salarié.e.s précaires qui subissent des conditions de travail dégradées, justifiées par la volonté des entreprises à être toujours plus compétitives. Sans parler de la violence de la pandémie qui résulte également d’un capitalisme carnassier. Une violence dont on sait maintenant qu’elle a été largement accélérée par nos déplacements, en constante augmentation. Les expert.e.s assurent d’ailleurs que la pandémie de COVID-19 pourrait n’être que la première d’une longue série. 

Mécaniques du chaos

Le constat d’échec du capitalisme néolibéral a largement dépassé la sphère de l’extrême-gauche. L’idée selon laquelle notre système est à bout de souffle a investi tous les médias, même mainstream. Ces mêmes médias qui enjoignent désormais régulièrement leur lectorat à changer de mode de vie. Frédéric Lordon cite l’exemple du quotidien français de référence, Le Monde. Le journal a notamment publié de nombreuses lettres ouvertes de chercheur.se.s qui souhaitaient alerter sur l’état actuel de la planète. Cette tribune donne donc de la voix à celleux qui nous enjoignent à réduire notre consommation tout en proposant à ses lecteur.rices du contenu sur les «  beaux-objets  » – joaillerie et autres produits de luxe, par exemple. Une contradiction dans les termes qui rend ontologiquement impossible, selon le chercheur, la possibilité de voir le capitalisme se réformer. Il n’est d’ailleurs pas le premier à dénoncer ce paradoxe. 

Réinventer le communisme

D’après Lordon, nous ne pourront pas sauver les hommes et la planète si ce système perdure. Il convient donc de rendre à nouveau désirable le communisme, parent pauvre de nos imaginaires collectifs. Un système auquel plus personne ne croit depuis l’échec fracassant du régime soviétique. Il ne s’agit d’ailleurs pas pour le chercheur de reproduire un système semblable à celui de l’URSS qui, selon l’auteur, ne relève pas du communisme. C’est en se basant sur le texte de Karl Marx, penseur originel de la philosophie communiste, que Frédéric Lordon élabore ses propositions pour imaginer un régime nouveau. 

En premier lieu, il propose d’en finir avec la logique de marché telle qu’on la connaît aujourd’hui. Celle qui impose aux entreprises une certaine rentabilité à leurs dirigeant.e.s sous peine d’être débarqués par leurs actionnaires. C’est en effet ce qu’a vécu Emmanuel Faber, l’ex-PDG de Danone et pionner de « l’entreprise à mission ». Pour quelles raisons ? Parce que depuis la mise en place de mesures écologiques et sociales, l’entreprise n’était plus considérée comme suffisamment rentable.

Sortir de la logique de marché nécessiterait que l’État se charge d’orienter la production. Mettre en place une planification économique, donc, qui serait recentrée sur des biens nécessaires et de qualité. Et ce, au mépris de la surconsommation ordinaire d’une « camelote » bas de gamme. L’auteur ne donne pas d’exemple : pas besoin, le sous-entendu est clair. Et pour les sceptiques, Lordon assure que la planification est loin d’être un modèle dépassé. Elle est largement pratiquée en interne, par des entreprises telles qu’Amazon ou Walmart. Selon lui, cette réorientation de la production donnerait accès au plus grand nombre à des biens de meilleure qualité. En somme, consommer moins, mais mieux. 

Pour une tranquillité de l’esprit 

Une autre proposition intéressante de Figures du communisme est sa « garantie économique générale ». Une idée inspirée du concept de « salaire à vie », théorisé par le chercheur Bernard Friot. Et mieux connue du grand public sous le nom de « revenu universel ». Un revenu assuré qui permettrait à chacun.e d’être libéré.e de l’angoisse obsédante de la précarité et qui assurerait une meilleure productivité et créativité.

«  À ceux qui vont s’évanouir de voir revenir «  l’austérité du socialisme  », il faut rappeler les termes du deal – qui est un lot  : d’un côté, en effet, le renoncement aux attractions de la marchandise capitaliste (…), l’abandon du dernier cri, l’effort de trouver avec quoi d’autre remplir les existences  ; de l’autre, en finir avec la hantise de l’existence matérielle précarisée par l’emploi capitaliste.  »

Figures du communisme, Frédéric Lordon

Afin d’illustrer son hypothèse, il prend l’exemple sur le CNRS. Une institution dans laquelle on peut considérer que ce revenu minimum existe déjà. Effectivement, les chercheur.euse.s y sont rémunéré.e.s sans aucune contrepartie. Des conditions de travail qui leur permettent de travailler librement. Mais ce système a été mis à mal par de récentes réformes qui ont commencé à indexer l’attribution de subvention et de matériel au rendement des chercheurs. Cette situation les aurait conduits à se préoccuper avant tout de l’obtention desdites subventions et donc de travailler en fonction des attentes étatiques. Et in fine, à produire un travail conformiste et sans valeur. 

Le luxe à la portée de tou.te.s

Ce raisonnement conduit l’auteur à élaborer une théorie du « luxe » accessible à tou.te.s. Par luxe, Lordon parle des produits de qualités. C’est-à-dire créés avec soin, par des individus libérés des contraintes de rendement qui les obligeaient à produire mal et en grandes quantités. Une hypothèse qui tord le cou à cette vision d’un « communisme gris » – en référence au paysage triste qu’offrait Berlin Est par rapport à l’Ouest capitaliste. 

«  L’erreur publicitaire, concentré pur de l’erreur capitaliste, c’est d’avoir pris le désir de marchandise pour le désir tout court. Puis d’avoir conclu que, sans la marchandise, le désir désertait le monde – et la couleur et la lumière avec.  » 

Figures du communisme, Frédéric Lordon

Proposer une alternative

On reprochera volontiers à l’auteur son ton caustique à l’envi, méprisant parfois. Un mépris à l’égard des «  capitalistes  » qui n’est pas sans rappeler celui du penseur François Bégaudeau pour les «  bourgeois  ». Autant d’étiquettes simplistes qui donnent l’impression que notre monde binaire se résume ainsi  : le capitalisme c’est les autres et ils ont tort. Une manière de penser qui fait l’impasse sur les contradictions dont sont pétris les individus, partagés entre l’impératif de consommer et celui de sauver la planète. 

Figures du communisme n’en fait pas moins des hypothèses intéressantes qui ont le mérite de proposer une alternative à l’économie telle qu’elle est théorisée aujourd’hui  : la croissance ou la mort. Difficile de savoir comment le monde que décrit le chercheur pourrait advenir, il n’en est pas moins désirable. 

Figures du communisme de Frédéric Lordon, aux éditions La Fabrique, 13 euros.

Journaliste

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