Chaque mois, la rédaction littérature vous offre un petit résumé de quelques nouveautés BD, fraîchement parues. Au programme pour ce mois d’avril : une envie de révolution, des réflexions féministes, des histoires de famille ou le récit secret d’étranges destins.
« Fluide » – Joseph Safieddine, Benjamin Adam et Thomas Cadène
Lorsque Jeanne, la copine d’Hector, lui annonce qu’elle a envie d’aller vivre de nouvelles expériences sexuelles, ce dernier reste interdit. Il n’a jamais considéré les relations en dehors du prisme de l’exclusivité et de la fidélité. Accompagné de son collègue et célibataire endurci, Sasha, il va finalement se laisser porter par la vague de fluidité sexuelle qui embaume les rues de la ville. À travers leur personnage de bande dessinée – le très attirant et très sûr de lui William – les deux illustrateurs vont ainsi vivre une double, triple, quadruple vie. Ils découvrent toutes les possibilités qui s’ouvrent à eux. Dans un style coloré et psychédélique, Fluide nous emmène, tant visuellement que scéniquement, à la recherche de la confusion des normes et de l’ouverture du champ des possibles.
Fluide, Joseph Safieddine, Benjamin Adam et Thomas Cadène, Dargaud, 19,99 euros.
Giulia Lisi
« Déracinée, Soledad et sa famille d’accueil » – Tiffanie Vande Ghinste
Ce bel album cartonné aux dessins doux et aux couleurs pastel nous plonge dans le quotidien d’une famille d’accueil. Entre frères et sœurs biologiques et sœurs adoptées, la famille mène une vie paisible à la campagne. Ensemble, ils évoluent dans un environnement certes particulier, mais stimulant et rempli d’amour. Mais un jour, la juge pour enfants décide de confier à nouveau Soledad, 14 ans, à sa mère biologique. S’en suit alors une lutte pour garder la jeune fille, ainsi que des interrogations multiples sur ce qu’est une famille d’accueil. À travers son album plein de tendresse et de frustration, Tiffanie Vande Ghinste pointe du doigt les limites et les malformations de l’encadrement des familles d’accueil en Belgique. Elle montre aussi le défi que représente l’intégration d’une petite personne au sein d’un noyau biologique.
Déracinée, Soledad et sa famille d’accueil, Tiffanie Vande Ghinste, La Boîte à bulles, 20 euros.
Giulia Lisi
« George Sand, fille du siècle » – Séverine Vidal et Kim Consigny
Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, née en 1804, est surement la première femme à avoir pu vivre de sa plume. On la connaît mieux sous le pseudonyme de George Sand. Écrivaine prolifique, femme indépendante, lanceuse de mode et amante sulfureuse, imaginez le scandale à une époque où les droits juridiques étaient refusés aux criminels, aux mineurs, aux déficients mentaux … et aux femmes. Dans George Sand, fille du siècle, la plume de Frédéric Vidal et le pinceau de Kim Consigny nous entraîne, avec justesse, dans la genèse et l’intimité en noir et blanc de la « Dame de Nohant ».
George Sand, fille du siècle , Séverine Vidal et Kim Consigny, Delcourt, 24,95 euros
Benjamin Mazaleyrat
« Le Genre, cet obscur objet du Désordre » – Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu
Anne-Charlotte Husson est normalienne. Agrégée en sciences du langage et chercheuse, elle s’est spécialisée dans l’analyse des idées féministes et du concept de genre. Thomas Mathieu est auteur de bande dessinée et s’attaque aussi à des sujets similaires. Sa BD Les Crocodiles et son tumblr Projet Crocodiles dénoncent le harcèlement et le sexisme sous ses multiples formes. Tous deux se rejoignent pour écrire une BD qui questionne la notion de genre et les réactions, houleuses et passionnées, qu’elle a suscitées. Là où ses détracteurs la réduisent à une théorie sans fondements, des chercheurs et des militants tentent de déconstruire les idées reçues. Pensée comme un outil pédagogique, Le genre, cet obscur objet du Désordre s’appuie sur les conséquences de ce débat sociétal autour des questions d’éducation, de mariage ou de filiation en France ou ailleurs.
Lisette Pouvreau
« Une vie d’huissier » – Dav Guedin
Mettant en scène avec beaucoup de sincérité la vie du grand cousin de Dav Guedin lui-même, Une vie d’huissier est une bande dessinée hors norme. L’auteur démontre encore une fois qu’il possède une patte graphique remarquable. Une vie d’huissier est tantôt pleine de finesse dans la façon de dépeindre des personnages cruellement humains – aussi bien dans leur laideur que dans leur bonté -, tantôt pétrie d’un humour grinçant frisant parfois le grotesque, porté par un trait assuré. Une vie d’huissier est à la bande dessinée française ce que les Récits d’un jeune médecin sont à la littérature russe. Ces deux œuvres partagent un ton résolument humain, plein de dérision dans leur façon de décrire des professions peu connues. D’anecdotes en anecdotes, on s’attache à ce looser magnifique qu’est Gilbert l’huissier. Dav Guedin signe ici un hommage plein de bienveillance à ce grand cousin qu’il n’a jamais connu. De la bienveillance certes, mais avec un trait punk, comme toujours !
Une vie d’huissier, Dav Guedin, Actes Sud BD, 19,90 euros.
Charlène Ponzo
« Lisa et Mohamed » – Julien Frey et Mayalen Goust
Harki : au sens strict, un individu servant en Algérie française dans une formation paramilitaire. Harki désigne par extension une partie des supplétifs engagés dans l’armée française durant la guerre d’Algérie sans avoir le statut de militaires.
Au début des années 2000, le président Bouteflika interdit aux harkis, considérés comme des traîtres, de revenir en Algérie. Lisa, jeune étudiante en communication qui se retrouve sans foyer étudiant, va s’installer chez Mohamed pour lui tenir compagnie en échange d’une chambre. Mohamed était harki, et cela fait quarante ans qu’il n’a pas pu retourner sur ses terres natales. Entre l’étudiante et l’ancien soldat une amitié se noue. Ensemble, ils partagent des secrets jamais avoués et une peur commune de l’abandon. Dénigrés dans les deux pays, les harkis ont payé le double pour leurs actions que les autres. La BD nous raconte leur quotidien, leur histoire et leur manière de se reconstruire avec douceur et attention. Ainsi, on découvre un aspect peu connu de la Guerre d’Algérie – aspect pourtant riche en considérations humaines et sociales – qui résonnent encore aujourd’hui.
Lisa et Mohamed, Julien Frey et Mayalen Goust, Futuropolis, 20 euros.
Giulia Lisi
« En toute conscience » – Olivier Peyon, Livio Bernardo
Dans le monde entier, la question de l’euthanasie est au centre des débats sociaux. Pourtant, en France la pratique reste illégale. L’association « En toute conscience » pratique des interruptions volontaires de vie dans le secret. Tout est minutieusement réglementé et orchestré. Jusqu’au jour où arrive Vincent. À 25 ans, il désire en finir suite à un chagrin d’amour. Cette situation met les membres de l’association face à des contradictions inédites, soulevant des questionnements particuliers, mais non moins essentiels. Sur fond de faits réels, cet ouvrage aborde – avec délicatesse et pédagogie – la question de la mort volontaire et les différentes situations qui peuvent être rencontrées tout au long de ce processus. En toute conscience est un recueil d’informations précieux. Il aborde de façon juste et rayonnante un sujet dont on entend constamment parler, mais qui reste encore très tabou.
En toute conscience, Olivier Peyon et Livio Bernardo, Delcourt, 25,50 euros.
Giulia Lisi