CINÉMA

« Amours interdites » – Paroles et identités lesbiennes, au delà du mythe

Forbidden Love © site internet de l'ONF
Forbidden Love © site internet de l'ONF

À l’occasion de la journée de la visibilité lesbienne ce 26 avril, retour sur le documentaire méconnu Amours Interdites de Aerlyn Weissman et Lynne Fernie. 

Internet recèle des bijoux cinématographiques. C’est en parcourant le site Queer Cinema Club que l’on est tombé.e.s sur le long-métrage documentaire canadien Amours Interdites  de Aerlyn Weissman et Lynne Fernie. Sorti en 1992, soit une vingtaine d’années après la dépénalisation de l’homosexualité au Canada (1969), le film nous plonge dans l’expérience lesbienne vécue au Canada au milieu du XXème siècle. Derrière ce nom transgressif et presque ironique, Amours Interdites croise interviews contemporaines, films d’archives et mises en scènes inspirées des romans de gare Lesbian Pulp fiction. Un portrait émouvant et drôle du lesbianisme par les concerné.e.s qui résonne encore aujourd’hui.

De l’intimité à la communauté 

Pendant près d’une heure et demie, le film donne la parole à des lesbiennes canadiennes âgées d’une cinquantaine d’années. Filmées au plus près de leurs intimités, elles racontent, face caméra, leur quotidien de femme homosexuelle dans les années 50-60. Représentations des lesbiennes dans la littérature, premiers amours, techniques de drague et découverte du milieu queer : le film nous donne à voir une représentation juste et vraie du vécu homosexuelle au milieu du XXième siècle. Une liberté de parole qui insuffle au documentaire une proximité émouvante et amicale avec ces femmes aux personnalités différentes qui partagent pourtant des souvenirs et des vécus communs.

Dans leurs lieux de vies, campagnes ou villes, ces femmes se remémorent avec émotion et amusement leurs tendres années en tant que lesbienne. Elles dressent un portrait du paysage queer de l’époque. Les anecdotes se succèdent illustrées par des photos d’archives personnels. Et au fil des discussions, l’intime devient politique tout en gardant une douce légèreté qui reste tout au long du documentaire. Des portraits qui parfois se répondent en miroir. Comme celui de Nairobi, femme noire, et d’Amanda White, autochtone canadienne. Elles évoquent toutes deux la double oppression d’être une personne lesbienne et racisée et le peu de visibilité au sein de la communauté queer.

Loin du drame, près du cœur

« À moins d’avis contraires, les personnes qui apparaissent dans ce film ne doivent pas être présumées homosexuelles… ni hétérosexuelles ». Peut-on lire en exergue du documentaire, une note de prévention qui fait esquisser un sourire et annonce sans attendre le ton comique du film. Un point de vue qui s’éloigne des innombrables représentations tragiques et misérabilistes qui peuplent l’Histoire du septième Art dès qu’il s’agit de représenter des personnes gays, trans ou lesbiennes. Dans Amours Interdites,  l’atmosphère est chaleureuse.  Comme si nous rencontrions toutes ces femmes au hasard d’un café et que nous écoutions leurs nostalgies heureuses. C’est aussi par son originalité de forme que le documentaire de Aerlyn Weissman et Lynne Fernie réussit à installer une ambiance presque feel good. Elles s’inspirent d’un genre littéraire méconnu du grand public pour structurer leur récit : le lesbian pulp fiction. 

Visibilité et mythe, le paradoxe des Lesbian Pulp Fiction

Queer Paterns (Tendances particulières), Girl’s Dormitory  (Le Dortoir Des filles), Man Hater  (Haine des Hommes). Voilà un aperçu des titres qu’on pouvait trouver sur les Lesbian Pulp Fiction. Ces romans de poches émergent au milieu du XXième siècle et leur contenu et les thèmes abordés sont ouvertement lesbiens. Un sous genre du Pulp qui sert de postulat au documentaire d’Aerlyn Weissman et Lynne Fernie. Construit comme un livre en trois chapitres, le film nous plonge dans l’univers de ce genre littéraire. Un vecteur de stéréotypes mais aussi libérateur quant à la visibilité des lesbiennes.

En choisissant d’insérer au milieu des entrevues des scènes fictionnelles, les réalisatrices nous donnent un aperçu du contenu que l’on pouvait trouver dans ces romans. Du titre “Amours Interdites”  à l”affiche suggestive du film, le documentaire adopte l’esthétique des couvertures de Lesbian Pulp Fiction . On découvre alors, grâce aux témoignages des femmes interrogées, le rôle qu’ont eu ces romans dans la construction d’une culture et d’une histoire lesbienne. Ces récits qui, malgré le mythe diabolisant du lesbianisme construit, permettaient aux femmes lesbienne de s’identifier et d’être représentées. Si la plupart des Lesbian Pulp Fiction sont écrits par des hommes pour répondre à des fantasmes et fétichismes sexistes, subsistent néanmoins quelques romans de femmes pour les femmes.

Malheureusement méconnu du grand public, Amours Interdites donne une voix aux lesbiennes et contribue à restituer l’Histoire du lesbianisme sans préjugés et stéréotypes par et pour celles qui l’ont vécus et le vivent. 

Le film est disponible en accès libre sur le site de l’Office National du Film du Canada.

Fervente prêtresse de la pop française et de tout ce qui s'écoute avec le coeur.

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