CINÉMA

« The Dissident » – Coup de projecteur glaçant sur l’affaire Khashoggi

Jamal Khashoggi © Dark Star

Trois ans après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul, Bryan Fogel réunit un nombre impressionnant de preuves et de témoignages pour faire la lumière sur cette affaire qui a choqué le monde entier. Un reportage impressionnant par sa précision qui érige le prince Mohammed Ben Salmane en coupable évident. 

Les premières minutes de The Dissident donnent la parole à Omar Aboulaziz, vidéaste et dissident saoudien. Le jeune homme a fui son pays natal pour échapper à la censure politique et aux menaces de mort qui pesaient sur lui. Son père l’emmène lui-même à l’aéroport, «  parce que c’est trop dangereux.  » Omar, arrivé à Quebec, obtient l’asile politique et organise un mouvement de protestation contre la censure du pays de Mohammed Ben Salmane. C’est comme ça qu’il rencontre le journaliste Khashoggi. 

Genèse d’un meurtre annoncé

Le film revient dans un premier temps sur la genèse de ce meurtre, dont les tenants et aboutissants ont été mal saisis par le grand public en 2018. En effet, Fogel apprend à son spectateur que Khashoggi n’a pas toujours été un dissident pour son pays. Au contraire, même. Soutien de longue date du régime saoudien, il défend ce dernier et pense sincèrement que cette terre natale ne peut que se bonifier. Les choses se corsent à l’arrivée au pouvoir du prince Ben Salmane, héritier ambitieux et pressé. Il aurait fait disparaître plusieurs de ses opposants politiques afin de régner sans concession sur son pays.

Le pouvoir, en Arabie Saoudite, était une affaire de famille. Tous ses membres étaient prince héritier, ministre, consul ou conseillers du gouvernement. Cette grande famille est pulvérisée par Mohammed Ben Salmane (MBS), qui règne seul, décide de tout. Il est notamment l’auteur de cette réforme sociale ambitieuse qui donne aux saoudiennes le droit de conduire. Le pays doit se moderniser. Il prend l’initiative seul et n’entend pas être freiné dans son élan. 

C’est contre ce régime devenu trop autoritaire que Khashoggi, humaniste, décide de s’élever. Il veut la démocratie, la pluralité de parole, est convaincu que rien de bon n’émerge quand toutes les décisions viennent d’un seul homme. Famille comme amis ne le soutiennent pas, il s’exile aux États-Unis et devient journaliste pour The Washington Post. Une bouffée d’air frais pour un homme passionné de journalisme et empreint d’éthique. 

Le prince Mohammed Ben Salmane (à gauche) et Jamal Khashoggi (à droite)© Dark Star 

La dissidence

C’est outre-Atlantique que Jamal fait la connaissance d’Omar, ce jeune activiste qui revendique la liberté d’expression en Arabie Saoudite, principalement via Twitter. Ils se rencontrent. Deviennent amis. Omar monte un réseau pour lutter contre la propagande saoudienne qui utilise massivement Twitter pour influencer l’opinion publique. Jamal, enthousiasmé par cette initiative le finance. Et devient officiellement un ennemi du régime. Il ne le sait pas encore, mais il finira assassiné dans le consulat de son pays en Turquie. 

Une enquête vertigineuse

L’enjeu de ce film – et de l’enquête criminelle – est de déterminer la culpabilité du prince Ben Salmane dans cette affaire. Les témoignages sont affolants, nombreux, quasi unanimes. La variété des témoins laisse coi  : du ministre de la justice turque, en passant par la CIA et le congrès américain pour finir par les rapporteurs de l’ONU en charge des droits de l’homme. Cette enquête est vertigineuse. Un officier affirme d’ailleurs «  en plusieurs décennies de carrière, je n’ai jamais vu la CIA aussi certaine de la culpabilité de quelqu’un.  » Pourtant, personne n’a été sanctionné ni déclaré coupable. Seule ombre au tableau  : Donald Trump qui affirme que l’on ignore ce qui s’est passé, qu’on ne peut pas savoir. Et en filigrane que les États-Unis commercent bien trop avec l’Arabie Saoudite pour avoir vraiment envie de savoir.

The Dissident est un documentaire passionnant et qui en dit long sur le régime politique actuel en Arabie Saoudite, sa propagande. Et la manière dont tout ce petit monde s’organise pour faire régner la parole d’un seul homme. Un film d’autant plus à voir que les derniers éléments de l’enquête, à même de déterminer la culpabilité du prince MBS sont détenus et bloqués par le gouvernement américain. Éléments que Joe Biden a promis de rendre public prochainement. Une affaire passionnante et révoltante qui devrait donc bientôt revenir sur le devant de la scène. 

The Dissident de Bryan Fogel, à retrouver en VOD sur Arte Boutique, 3,99 euros. 

Journaliste

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