CINÉMA

(Re)Voir – « Angel » : Bienvenue au paradis

©Wild Bunch Distribution

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En avril dernier, alors que nous étions tous/toutes confiné.e.s, nous étions revenus pour l’émission Distances Inconnues de VL Média et Maze.fr sur une partie de la filmographie de François Ozon. En mars, Arte consacre deux soirées au cinéaste : Angel (2007) le dimanche 7 et Frantz (2016) le mercredi 10, une occasion de (re)voir ces deux films très différents dont les intrigues se déroulent à l’aube du siècle dernier, et pour nous de vous parler du premier à ne pas rater.

Après quelques longs métrages plus sobres et intimes (abordés dans les chroniques précédentes) et un retour au court-métrage en 2006 avec Un Lever de rideau l’adaptation d’une nouvelle de Montherlant – réunissant en huis clos Louis Garrel, Mathieu Amalric et Vahina Giocante – François Ozon se glisse dans un nouvel exercice de style à l’univers fastueux avec Angel. Film un peu incompris et aujourd’hui plus méconnu dans la filmographie du cinéaste. Il est adapté d’un roman d’Elizabeth Taylor, pas l’actrice mais l’autrice anglaise, lui-même inspiré d’une véritable écrivaine de l’ère victorienne, Marie Corelli. Le neuvième film du cinéaste apparaît comme une grande fresque mélodramatique. 

Pour être au plus près du drame anglais, le scénario a été traduit dans la langue de Shakespeare par le dramaturge Martin Crimp et le casting est composé d’une part de jeunes acteurs alors inconnus : Romola Garai dans le rôle principal et Michael Fassbender pour la première fois au cinéma avant 300 puis sa révélation unanime dans Hunger de Steve McQueen puis Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. D’autre part, Lucy Russel incarne Nora, Sam Neil se glisse dans la peau de l’éditeur, et pour celui de sa femme : la muse du cinéaste depuis Sous le sable, Charlotte Rampling. 

Un ange au paradis

Nous sommes à l’aube du XXè siècle, et Angel narre l’histoire du personnage éponyme, Angel Deverell, une jeune fille arrogante à l’imagination débordante incomprise par ses camarades, sa professeur, sa mère épicière et sa tante, domestique dans une noble demeure nommée Paradise House. Grande maison dont rêve la jeune fille qui s’invente un père aristocrate et une vie de conte de fée dans un premier roman qu’elle enverra à plusieurs éditeurs londoniens. 

L’un deux la remarque et accepte de publier son livre tel quel, malgré des passages d’une naïveté significative. Le film raconte alors l’ascension de Angel qui fait fi de ses origines sociales, de son sexe et des conventions anglaises. Enchaînant les best-sellers, faisant rêver les lecteur par des histoires d’amour à l’eau de rose sorties uniquement de son esprit créatif inépuisable. 

L’héroïne croit tellement fort en ses rêves qu’elle s’invente sa vie parfaite. Aussi agaçante que séduisante et fascinante pour les autres personnages et pour les spectateurs, Angel s’entoure alors d’Esmé un peintre tourmenté qu’elle demande en mariage et de sa soeur Nora qui l’idolâtre et deviendra sa secrétaire. Elle ira jusqu’à racheter Paradise House.

La mise en scène  et le décor épousent entièrement le personnage et sa grandiloquence baroque pour coller aux grands mélodrames hollywoodiens des années 30/40/50, d’Autant en emporte le vent aux films de Douglas Sirk.

François Ozon s’amuse à réaliser des séquences parodiques en studio comme à l’époque, où les personnages dans des moyens de transports immobiles sur fond vert observent les paysages londoniens défiler derrière eux. Ou ce baiser de cinéma en robe rouge flamboyante sous une pluie factice où apparaît un arc-en-ciel et un voyage de noce dans une succession de cartes postales. La musique accompagne parfaitement le mélo des événements, l’exagération du romanesque, le tout d’un romantisme exacerbé. 

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Et comme dans les romans d’apprentissage du XIXè, l’ascension mène à la déchéance du personnage. Angel au sommet de sa gloire, a fait de son rêve de petite fille sa réalité : elle est devenue une romancière reconnue. Elle a créé un monde qui va être détruit car sa réalité à elle n’est qu’une illusion enfermée dans le paradis qu’elle s’est inventé. Elle sera rattrapée par la réalité du monde, la déclaration de guerre et ses conséquences, la mort, l’abandon, la jalousie amoureuse et la déception de ses lecteurs qui la conduit à l’oubli. 

Au cœur de la création

À travers ce mélodrame en costumes, genre cinématographique plutôt inhabituel dans les salles françaises en 2007, le cinéaste interroge une certaine vérité artistique dans l’artificiel, une véritable réflexion sur la création, vaut-il mieux atteindre la gloire et en gagner les bénéfices de son vivant même si nos œuvres tombent dans l’oubli ou vivre dans la misère alors que notre art sera lui reconnu à notre mort ? 

Alors que la romancière Angel meurt sans que son œuvre passe la postérité, son mari dont personne n’appréciait les toiles avant la guerre, sera finalement connu et adoré dans le futur. François Ozon ne prend pas parti ; il veut montrer que le plus important c’est l’engagement artistique dans la création, celui auquel il s’attelle depuis plus de dix ans quand sort son neuvième film au cinéma.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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