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Rencontre avec L’Impératrice – « Si un remède aux cœurs brisés existait, est-ce que l’Amour même aurait un sens ? »

L'Impératrice - Gabrielle Riouah
L'Impératrice - Gabrielle Riouah

Direction l’hôtel Les Bains dans le 3ème arrondissement de Paris. Dans ce luxueux endroit, vous n’y trouverez aucune femme souveraine mais un groupe en pleine ascension : L’Impératrice. C’est dans une suite impériale que nous avons rencontré le groupe pour la sortie de leur nouvel album Tako Tsubo.

C’est avec ce deuxième album attendu Tako Tsubo que l’Impératrice revenait en force ce vendredi 26 mars 2021. Un disque fort en rythmes et en riffs disco-funk où Charles, Flore, Achille, Hagni, David et Tom continuent de nous livrer une musique groovy à souhait. Le successeur de Matahari, sorti trois ans auparavant, nous porte dans un univers rempli d’émotions et de fêlures amoureuses. Un disque où le groupe cherche à travers la création un remède au syndrome du cœur brisé. Nous avons discuté avec l’Impératrice au complet dans l’hôtel fastueux Les Bains. Et c”est dans une suite, réservée pour l’occasion, que nous nous sommes perdus dans ce grimoire de références qu’est ce nouvel opus. Un labyrinthe de sentiments que le groupe nous délivre au cours de cette rencontre presque introspective.

L’album s’intitule Tako Tsubo qui signifie «  piège à poulpe  » en japonais. C’est un syndrome qui se manifeste par une déformation du cœur due à une intense émotion positive ou négative. Quelle est cette émotion forte que vous avez vécu ?

Charles de Boisseguin  : Disons qu’il y a eu plusieurs phases, plusieurs émotions. C’est un album qui s’est fait en deux temps. Le premier temps, c’était pendant l’époque normale, la vraie vie où la première émotion était liée à la découverte d’un public autre que le public français dû à notre tournée à l’étranger. Essentiellement les États-Unis, le Mexique, le Chili. Mais c’est aux États-Unis qu’on a commencé à créer quelque chose là-bas. La découverte et l’interaction du public américain était très riche en émotion. Dans le sens où on a découvert une façon différente de communiquer sur scène avec eux parce qu’ils appréhendaient notre  musique complètement différemment. C’est un public moins exigeant, moins capricieux que le public européen. Après cette expérience, on a un peu ramené des souvenirs de voyage. On a voulu parler et s’exprimer sur certaines choses à partir de ce que l’on a vraiment ressenti là-bas. Par exemple, le premier concert de la tournée c’était à Los Angeles et je crois qu’on en garde tous un souvenir incroyable, sauf peut-être David qui a préféré Lausanne (rires).

David Gaugué : Lausanne. (Dit avec l’accent américain)

Flore Benguigui  : Mais ça ne veut pas dire qu’on a pas adoré Lausanne !

Charles : Et disons, que là il y a eu un espèce de sentiment de partage assez intense, d’autres attentes au final. Et je pense que ça a teinté notre musique de sonorités très différentes comme de nouvelles envies. Comme par exemple dans Matahari où on était dans un format un peu plus chanson couplet/refrain, très traditionnel, très francophone. Alors que sur Tako Tsubo on a beaucoup plus exploré le mélange, la Californie, New York… Il y a beaucoup de ces sonorités là.

Puis il y a eu l’après et donc ce deuxième temps, le moment où il y a eu la Covid. On s’est tous retrouvé chez nous, la tournée s’est arrêtée. Donc forcément ça a suscité un manque énorme, beaucoup de nostalgie, de mélancolie, d’interrogation.

Flore  : De frustration aussi.

Charles  : C’est un album qu’on a continué à travailler pendant le confinement, comme le morceau Submarine qui a été composé pendant ce confinement. Tout ça c’est fait dans un autre contexte où il y avait plus de peurs. Sinon globalement sur les émotions, je dirais qu’on s’est inspiré de notre quotidien, de choses beaucoup plus terre à terre, moins hors sol qu’avant. Plus du tout dans le fantasme d’une héroïne dans un film de contre-espionnage, on est beaucoup plus dans le ressenti, l’observation et ça se ressent beaucoup plus dans les textes.

Flore : C’est un album qui parle beaucoup plus d’émotion qu’avant. Auparavant, les paroles étaient plus évasives, je jouais plus sur leurs sonorités. Ici, on est beaucoup plus dans l’intimité. Ça peut être des émotions très triviales comme avec Voodoo, morceau qui parle de la honte qu’on peut avoir lorsqu’on danse au milieu d’autres personnes, quand on est pas à l’aise avec son corps et ses « dad’s move » de danse. (rires) Puis tu as des morceaux beaucoup plus profonds, plus personnels. C’est la première fois que j’écris des paroles où je parle de choses qui me sont arrivées, des émotions très intimes même si grâce à la musique ça a toujours un côté un peu universelle. L’émotion, elle se ressent plus dans les morceaux, même si la musique de l’Impératrice a toujours eu beaucoup d’émotions, mais c’est vrai que les paroles c’était quelque chose qui pour moi ne véhiculaient pas trop d’émotions jusqu’à présent. C’est quelque chose qu’on a vraiment voulu changer sur cet album.

Apparemment il n’y a aucun remède pour ce syndrome du cœur brisé, si vous pouviez en créer un, ça donnerait quoi  ?

Flore  : Est-ce qu’on voudrait vraiment créer un remède ? Un remède au Covid, on aimerait bien (rires), mais un remède au cœur brisé je pense que beaucoup de choses perdraient de leur sens, est-ce que l’Amour même aurait un sens ?

Vous avez encore une fois travaillé avec Renaud Letang, comme sur Matahari, mais vous avez aussi travaillé sur ce nouvel album avec l’Américain Neal Pogue (Tyler the Creator, Outkast, Earth Wind and Fire, Stevie Wonder…) pour le mixage et Mike Bozzi pour le mastering (Kendrick Lamar, Anderson .Paak, Childish Gambino,…). Qu’est-ce qu’ils vous ont apporté de plus sur cet album ? Et pourquoi ce choix ?

Charles : Déjà, l’un ne va pas sans l’autre car Neal Pogue travaille quasiment qu’avec Mike Bozzi sur ses mixes. En général, c’est très complémentaire. Neal c’est vraiment sa touche californienne qu’on voulait et qui nous a plu. C’est un mec qui musicalement à une histoire assez incroyable, il vient d’Atlanta et il a vraiment existé en même temps qu’OutKast car il a fait toute sa carrière avec eux. Puis, il a bossé pour énormément d’artistes qu’on aime comme Janelle Monae, Tyler The Creator, Stevie Wonder et Earth Wind And Fire. Il y a eu cet album génial de TLC aussi. Il a vraiment fait tout ce qu’on aime, tout ce qui nous inspire. Puis on a conçu cet album comme un « album rupture » sur ce qu’on a pu faire avant, on s’est dit que c’était la bonne personne. Typiquement pour la travail qu’il a fait sur IGOR de Tyler. C’est un album où les formats sont hyper variés, on a jamais une minute pareil. On s’est dit qu’il comprendrait vraiment ça. On avait un besoin de changement aussi. Et vu qu’on a exploré des sonorités plus américaines c’était vraiment la meilleure personne.

Puis Mike Bozzi c’est un orfèvre du mastering, il a cette pâte ou tu fais un peu saturer le morceau. C’est ce que t’entends un peu partout aujourd’hui et ce que tout le monde essaye de faire. Un morceau très clean qui va sonner très brut.

Vous avez coécrit Fou et Hématome avec Fils Cara. Qu’est-ce qui vous a attiré chez cet artiste ? Et comment la rencontre s’est faite ?

Flore : La rencontre s’est faite car tout simplement il fait partie de la grande famille Microqlima. C’est quelqu’un, comme tous les artistes du label, qu’on côtoie, qu’on croise beaucoup. Et Marc, c’est vrai que j’ai travaillé avec lui pour ces deux titres parce qu’au début j’étais un peu bloquée sur les paroles, c’était assez compliqué. Puis il a complètement débloqué la situation. J’ai travaillé avec lui de façon assez intuitive. J’avais mes « yaourts » déjà prêt, donc les mélodies écrites en sons qui ne veulent rien dire. J’avais des rimes, des sonorités que je voulais déjà garder et lui s’est greffé dessus. C’est quelqu’un de très efficace car ça va très vite dans sa tête alors que moi je suis très longue pour écrire des paroles. Il m’a appris à me décomplexer par rapport au rimes et à mon écriture en général. Ça m’a beaucoup aidé car tous les autres titres je les ai écrit seule. Lui il dit qu’il a fait un travail maïeutique avec moi mais il a fait un peu plus que ça. Par exemple, Hématome c’est un morceau qu’on a vraiment co-écrit car il a écrit une grosse partie du couplet.

Vous faites une superbe reprise de Michel Berger, Tant d’amour perdu, pour vous il représente quoi Michel Berger ?

David Gaugué  : Beaucoup de travail !

Hagni Gwon  : C’est un artiste qui nous a rassemblé. On a pu faire un projet avec L’EMB, l’espace Michel Berger, qui est une salle à Sannois. Et c’est ce qui nous a permis de découvrir l’artiste en tant que groupe. Après je connais pas tous les liens personnels qu’on les autres avec Michel Berger mais ce projet nous a permis de découvrir tout un panel de ses chansons car on nous avait demandé pour ce projet de réarranger ses musiques à notre sauce. Et donc dans le lot il y avait le titre Tant d’amour perdu, un peu moins connu dans le catalogue de l’artiste, et on a eu une attirance particulière pour ce morceau.

Charles  : C’est aussi une histoire de cœur brisé, car ce morceau c’est une énième réponse à Véronique Sanson. On connaît un peu cet échange caché qu’ils ont pu avoir en écrivant des morceaux qui secrètement s’adressaient à l’un et à l’autre. C’est un titre très touchant sur un gars qui est perdu dans une ville et qui se perd dans son dédale de sentiments. C’est assez beau et encore plus dans son instrumentation car on connaît cette passion qu’avait Michel Berger pour les arrangements et la musique nord-américaine, le groove, le funk, il était complètement obnubilé par ça. C’est le premier à avoir voulu ramener ça en France et vraiment l’instaurer d’où le fait qu’il était très bon dans la disco. Puis on s’est demandé ce que ça pourrait donner une version un peu plus hip hop tout en conservant l’émotion intacte de ce titre.

Flore  : En plus, j’ai l’impression que le morceau de base sonne hyper bien, que l’arrangement nous correspond et fait assez Impératrice. Du coup, c’était une difficulté de réarranger le morceau sans que ça ressemble trop à l’original.

Hagni  : On peut même préciser qu’on avait fait une première version pour ce projet du coup, et on est reparti de ce travail avec toutes les influences qu’on a eu après la tournée. Ça nous a permis de le retransformer à nouveau et c’est rare d’avoir une musique qui évolue deux fois comme ça.

Bon, parlons concerts ! Vous avez prévu un live le 5 novembre au Zénith à Paris. Vous y croyez ?

Tom Daveau : À fond ! (rires du groupe)

Quelles chansons vous avez hâte de jouer sur scène devant un public ?

David  : Déjà tous les nouveaux morceaux, mais je pense qu’on essaye de pas trop se projeter pour ne pas avoir trop de faux espoirs on espère. Je pense que les gens apprennent à ne pas trop se projeter car sur le long terme en ce moment c’est compliqué.

Sur le titre Peur des filles, on y voit un investissement particulier dans ce clip. Ce n’est pas la première fois qu’on vous dit que votre musique est très cinématographique. Ça ne vous fait pas rêver le 7ème art ? Que ce soit à la direction ou de composer une musique de film ?

Charles  : On a découvert un talent d’acteur incroyable chez Achille. (rires) Achille chef de file des Soap Movie, il pourrait gagner un «  Soapy award  » je pense comme Joey dans Friends (rires). On nous a déjà proposé plusieurs choses dans ce genre,  pas une grosse B.O, mais un gars qui s’appelait Quentin quelque chose…

Flore  : Il s’appelait Tar.. Taran..

David  : Il y avait marqué Quentin T. On est pas allé plus loin. (rires)

Charles  : Non mais on a eu des propositions mais c’était jamais le bon timing. Des agences qui s’occupent de ce genre de chose sont venues vers nous pour notre musique car elle sonnait musique de film. Nos morceaux ont déjà été utilisé dans des films, des séries mais c’est vrai qu’à terme j’aimerai beaucoup qu’on puisse faire ça. Un des plus gros fantasme serait de faire la B.O d’un film de Quentin Tarantino.

Sur votre pochette on voit une représentation moderne, fait par Ugo Bienvenu, des trois moires. Il y la fileuse, qui tisse la vie, la réparatrice qui la déroule et l’inflexible qui la coupe. Pourquoi cette représentation ?

Flore  : Parce que ce sont les femmes qui décident de la vie. (rires)

Charles  : Disons que tout est relié aux moires. Il y a des divinités un peu obscures qui décident du destin des Hommes, des dieux. Nous, à la base, on était toujours dans ce concept de rupture dans la continuité donc on a décidé de couper le fil – ce qui ramène aux moires. Ce qui est amusant c’est la façon dont ça renvoie un peu à quelques ingrédients de chaque morceau et au concept de l’album qui est ce phénomène de rupture dont j’ai parlé avant. Que ce soit les morceaux qui vont s’arrêter très brutalement pour partir sur autre chose et revenir, ou dans les paroles qui vont parler de choses, de thèmes beaucoup plus sensibles. L’idée des moires vient d’Ugo pour regrouper tout ça et aller plus loin dans ce concept de poupées russes.

Hagni  : Puis il y a eu un vrai coup de cœur sur l’idée. C’est plus élégant que la faucheuse. (rires)

Charles  : C’est toujours quelque chose qu’on a fait. On a toujours personnifié un sentiment, un concept. Il y a toujours un storytelling derrière comme sur Odyssée qui est l’histoire de l’impératrice Théodora ou Matahari avec l’espionne. Ça nous permet de se plonger dans un univers et se raccrocher à quelques références sans être trop perdu.

D’ailleurs dans le clip de Peur des filles on y voit un festin cannibale. Du coup si L’Impératrice était un plat ce serait quoi ?

Flore  : Un tataki de poulpe du coup ? (rires)

Charles  : Je pense qu’on peut tous mettre nos ingrédients dedans.

David  : Entrée, plat, dessert dans le même truc un peu.

Charles  : Je dirais un pain surprise en fait.

Flore  : Avec la tête de Tom dedans. (rires)

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