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LUNDI SÉRIE – « Six Feet Under » : Mourir pour la vie

© HBO

Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au «  petit écran  » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format pourra vous permettre de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites.

Retour aujourd’hui sur Six Feet Under d’ Alan Ball, grand classique de la chaîne HBO au cours des années 2000. Connue pour nous avoir offert l’une des plus grandes conclusions de série de tous les temps. Cadeau sous forme d’hommage pour fêter son vingtième anniversaire.

La question de la mort est centrale dans les séries. Elle les a toujours survolées, avant de les toucher en plein coeur. Sur ce temps long, comme l’effet d’une vie passée, la mort finit par frapper les personnages et le récit. Effectivement, les exemples les plus prenants sont ces séries qui prennent conscience de leur propre mort. L’ intégralité de la dernière saison de Lost  détricote petit à petit chaque partie de la vie des personnages (réelle ou imaginée). La série parvient alors à une certaine idée de la mort – que nous ne révèlerons pas ici.

Ainsi, face à sa mort, la série ne doit jamais arrêter de vivre sa vie, avec ses spectateurs. Au fond, c’est le plus grand effet de réel que peut apporter un tel récit. Prendre conscience de la fin d’une série, c’est aussi prendre conscience d’une fin en nous. Car sa durée, ses enchainements, son mécanisme et son cycle rendent compte de sa propre existence. 

Et c’est à cela que joue Six Feet Under, sur deux pôles intimement liés. Consciente de sa propre mort, la série joue la carte de l’existentialisme. Alors les personnages de Nate, Claire, David et Ruth Fisher, la famille qui nous tiendra en haleine tout du long des 63 épisodes, se posent toujours la question de ce qu’ils ont fait (et de ce qu’ils font) de leur vie.

C’est donc comme un état d’âme tournant en rond dans une existence qui fait du surplace. Mode opératoire ultra-sentimental ajouté à la punchline du récit. L’art sériel ne tentera pas de sitôt de le reproduire tant elle appelle l’angoisse sa propre mort. Nous suivons alors la vie de cette famille, propriétaire d’une entreprise de pompes funèbres. Ils accueillent les morts, prennent soin d’eux (« show some respect ! ») et de leur famille qui traverse le deuil. Face au désir de la vie des personnages, se heurte toujours la réalité professionnelle et morale de la mort. Un poids souvent insoutenable. La vie et la mort cohabitent, et c’est ainsi que se déploie le récit, émotionnellement gigantesque, de Six Feet Under.

David et Nate Fisher, réunis dans la mort, et pour vivre ensemble (© HBO)

De l’importance de vivre

La mort, dans Six Feet Under, jaillit partout. D’abord dans la maison des Fisher, le lieu à travers lequel elle réédite sa présence et sa performance (les cérémonies d’adieux, toujours hautes en couleurs). Chaque début d’épisode commence par une mort : banale, accidentelle, grave, ridicule, pouvant être empêchée ou non. Il est donc intéressant de constater que dans cette série où les personnages tournent autour de leur vie respective et collective sans y trouver une échappatoire satisfaisante, la mort vient toujours se faire le témoin d’une instantanéité, qui n’est pas préjudiciable, déprimante, définitive.

La mort vient combler l’idée de vivre sa vie. C’est un ressort, une pulsion, une formidable raison, au fond, d’être vivant. La série est toujours vivante même si la mort rôde toujours. Et bien au-delà de quelconque iconographie ou personnalisation, la constante comme le jaillissement de ce qui pourrait être terminal va illuminer la vie des personnages. La série ne cèdera qu’une fois à cette tentation de représenter la mort autrement que par une mort. Elle est au personnage ce que la série est aux spectateurs : une formidable raison de vivre.

L’expression selon laquelle on pourrait «  vivre une série  » n’aura peut-être jamais été aussi juste que dans Six Feet Under. Car à ce paramètre de la vie irrégulière, parfois impropre et régressive des personnages, vient s’ajouter une lumière. Le grand frère Nate, qui ne voulait pas faire partie de l’entreprise familiale, revient à Los Angeles pour Noël. Mais la mort de son père en ce jour de fête le conduira à revenir sur sa décision antérieure. Il va collaborer avec son frère David, déjà dans le business depuis son plus jeune âge.

Dans Six Feet Under, il faut donc mourir, ou même subir une mort aux alentours, pour vivre sa vie. Et c’est le même adage au-delà de l’écran : pour lancer l’épisode suivant, il faut bien que le précédent se termine. De nos jours, cela ne paraît plus trop avoir de sens avec les plateformes et les services de replay. Mais les Fisher nous ont appris que la mort va bien au-delà de l’instant de la mort. Elle va vers les cérémonies à travers des paroles réconfortantes. Mais surtout elle sème en nous une graine qui, comme le dira Nate, doit nous permettre de rendre la vie importante. Si Damon Lindelof pose le paradoxe de l’œuf et de la poule pour résumer le mystère de la vie, Six Feet Under pose celui-ci : qui vient en premier, la mort ou la vie  ?

“You can’t take a picture of this, it’s already gone” (© HBO)

Mourir pour toujours

Dans la logique des épisodes, oui, la mort vient toujours en premier parce qu’elle ouvre chaque épisode. Mais dans la logique de la vie, de ce courant qui va d’un point A à un point B, elle semble presque paradoxale du fait de sa présence logique (nous y arrivons) et de son absence. Les contrepieds sur la représentation de la mort et, en même temps, de ce qui est vivant sont nombreux. La simulation de la mort de Nate qui ouvre la saison 3, constitue un véritable entre-deux que les pulsions de vie ou de mort ne sauraient résumer.

C’est une zone grise dont la série prend conscience à cet instant précis de son développement. Elle sera exploitée à plusieurs reprises jusqu’au dernier épisode et sa dernière scène, considérée comme le plus grand final de série jamais réalisé. Nous pensons alors à une série comme The OA où la fabrique de la mort – à partir des expériences de mort imminentes et des expérimentations autour d’elles – rendait la vie plus épurée, conduisant le personnage principal vers un but simple mais ultime : retrouver son amour.

Pour David, il fallait aimer Keith passionnément. Pour Nate, lui, fallait se délier de cette idée que la vie se devait d’être cartographiée pour espérer lui donner un sens. Quant à Claire, il fallait accepter que le monde ne tourne pas autour d’elle. Elle devait en faire partie de la manière qui lui semblait la plus saine. Alors que pour Ruth, il fallait essayer d’obtenir ce qu’elle voulait, générer puis annuler toute déception, avant de se dire que ça en valait vraiment la peine. Et enfin, pour Brenda, la femme de Nate dont l’appartenance à la famille sera parfois remise en cause, il ne fallait pas changer, mais progresser au nom du bien commun.

Il y a parfois l’idée du bien et du mal, une forme manichéenne annulant toute idée d’un art de vivre auquel l’art sériel doit se lier pour faire du temps long une formidable occasion de vivre sa vie. Ainsi nous pouvons résumer Six Feet Under comme une image mettant en mouvement ce qui se passe entre la vie et la mort. C’est une prise de conscience soudaine, comme la mort, mais (re)génératrice, comme la vie. Elle mène non pas vers un but à atteindre, mais un souffle à conserver, avant le dernier, pour le rendre éternel.

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