LITTÉRATURE

« Le Tumulte de Paris » – Pourvu que ça dure

Crédits : Editions La Fabrique

Enchaînement de tableaux urbains, Le Tumulte de Paris mélange les observations passagères, les remarques historiques et les commentaires de promenade. Le quartier latin et Belleville font battre le récit d’Eric Hazan, tour à tour ancien et nouveau moteur du tumulte.

« Ce livre a été entrepris pour défendre Paris dont on dit aujourd’hui tant de mal. » Voilà l’objectif de l’auteur. Historien, fondateur des éditions de La Fabrique et militant de gauche, Eric Hazan profite de cet ouvrage pour se transformer en badot de la capitale. Son récit prend néanmoins pour modèle les Tableaux de Paris écrits par Louis Sébastien Mercier en 1788.

Palabres d’un promeneur solitaire

Ouvertement peu retravaillés ni organisés, les tableaux que décrit Eric Hazan ne s’articulent pas entre eux et baladent le.la lecteur.ice. Il évoque, pêle-mêle, l’indicateur de richesse que représente le taux de bar-tabac d’un quartier, l’importance culturelle de Belleville, le militantisme tiède des bobos, l’aliénation des jeunes, les dangers esthétiques de la végétalisation, etc. L’analyse historique fournie permet de percevoir Paris comme un conglomérat de petits villages mais la tonalité de l’ensemble rebute un peu.

Si l’auteur a pour but sincère de promouvoir la diversité nécessaire à l’œuvre dans la ville, il est difficile de passer outre l’agressivité passive de certains passages. Par exemple, il consacre un tableau entier à l’attaque d’une femme avec laquelle il est en désaccord. Plutôt que de déconstruire ses arguments, il préfère l’insulter  : « Vidal-Naquet disait : ” Ce n’est pas parce qu’on change de trottoir, qu’on change de métier. ” » Au-delà de son caractère putophobe, le propos n’a pas de vrai rapport avec le but du livre. Ce passage laisse perplexe. Malgré les nombreuses connaissances qu’il convoque, Eric Hazan incarne – par volonté ou par défaut – l’oncle en bout de table qui donne son avis sur tout avec assurance et précipitation.

« Comme l’obésité, le tabagisme est un marqueur de classe. Il est d’ailleurs rare que les bureaux de tabac, où sévissent aussi souvent le PMU, le Loto et la Française des jeux, soient des établissements chics – comme la Civette, face à la Comédie-Française, où les conseillers d’Etat vont sans doute acheter leurs havanes. »

Le tumulte de Paris, Eric Hazan

Une ville pour les hommes par les hommes

Pour appuyer son propos, il rassemble plusieurs auteurs, philosophes, architectes et politiciens : Nous devons à Jean-Paul Sartre le quartier latin, à Dominique Perrault la rénovation « hideuse » de l’île de la Cité et à Alexandre Brongniart le dessin de la Bourse de Paris. Les hommes prennent toute la place, dans la ville comme dans le récit. Eric Hazan dénonce tout de même le nombre incalculable de rues portant le nom de meurtriers colonialistes et autres figures françaises honteuses. Il souhaite qu’à l’avenir les plaques soient dédiées aux femmes illustres trop longtemps invisibilisées par les historiens.

Mais la frustration demeure. Trop peu d’autrices, de politiciennes, d’artistes, de militantes sont présentes dans ces tableaux. Certes, Simone de Beauvoir, Camille Claudel, Marguerite Duras et la résistante communiste Danielle Casanova sont évoquées. Certes. Pourtant, plein d’autres femmes ont participé – et participent encore – au tumulte de la ville. Pourquoi ne pas avoir parlé d’Olympe de Gouges, de Gertrude Stein, de Joséphine Baker, d’Edith Piaf ? Pourquoi ne pas mettre en lumière les actions des colleureuses, d’Assa Traoré et du collectif Adama, de NousToutes ?

« J’ai une proposition pour rendre à la Cité sinon sa splendeur ancienne, du moins quelque chose de son esprit d’autrefois. On commencerait par détruire la Préfecture de police, vilain bâtiment plein de mauvais souvenirs. (…) On ferait travailler des gens qui connaissent le métier, les ouvriers du 93 et d’ailleurs, on laisserait libre cours à l’inventivité populaire, guidée par des architectes modestes et respectueux des idées des autres (il y en a). »

Le tumulte de Pairs, Eric Hazan

Le tumulte de Paris a été écrit pour déconstruire l’idée selon laquelle Paris ne serait qu’une capitale muséifiée et bourgeoise. Paris appartient à ses habitant.es. Paris peut être à taille humaine. Elle bouge et bouillonne. Cependant, il est difficile de recevoir certains de ses propos tant leur caractère assertif envahit l’espace. S’il rend honneur à la mixité motrice de la ville, Eric Hazan tombe parfois dans l’exotisation des individus ce qui confère à son texte un air obsolète.

Le tumulte de Paris, Eric Hazan. Editions La Fabrique, 12 euros.

Etudiante en master de journalisme culturel à la Sorbonne Nouvelle, amoureuse inconditionnelle de la littérature post-XVIIIè, du rock psychédélique et de la peinture américaine. Intello le jour, féministe la nuit.

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