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L’Art d’en parler – Rencontre avec Félicie Lacroix : “La création, c’est un style de vie”.

© Fé Studio

Peintres, graphistes, acteurs ou metteurs en scène… Chaque mois, Maze donne la parole à un jeune artiste, l’interroge sur ses inspirations et son processus de création et rapporte son point de vue sur la place de l’art dans la société actuelle. La poly-artiste Félicie Lacroix est à l’honneur du premier épisode de L’Art d’en parler.

Elle nous accueille, sourire franc et lumineux, au sein de son atelier. En plein milieu de la pièce, une longue table de travail déborde de feuilles, chutes de tissus et crayons au milieu de lampes et de machines à coudre. Dans un coin, un mannequin semble nous fixer, impassible. Suspendus à des cordes par des pinces à linge, des dessins sèchent à l’air libre, nous permettent d’entrevoir une courbe de couleur, ou encore l’ombre d’un corps tracé au crayon. Il se dégage de la pièce une quiétude apaisante, une tranquillité contagieuse. Tout à l’image de la propriétaire des lieux, parfaitement intégrée à son environnement.


Félicie Lacroix à 24 ans. Arrivée à Paris depuis Lyon pour ses études, elle a profité du premier confinement pour concrétiser sa passion : il y a un an, Fé Studio voyait le jour. Nous sommes partis à la rencontre d’une artiste inspirante, à la créativité en apparence si sereine. Comme le calme avant la tempête.

Plongée © Fé Studio
Maze : Bonjour Félicie  ! Pouvez-vous nous présenter votre studio  ? 

Félicie Lacroix : La première chose à savoir, c’est que c’est un studio multidisciplinaire. Fé Studio, c’est tout d’abord un espace pour que je puisse créer tout et n’importe quoi  : je fais de la photo, de l’illustration numérique et traditionnelle, différentes techniques d’impression telles que la linogravure. Je fais aussi de la couture et de l’animation, un peu de tout, donc. De la création pour le plaisir de créer.

Pour l’instant, on me contacte via les réseaux sociaux. Je suis en cours de création de mon statut pour pouvoir vendre mes oeuvres en tant qu’entreprise, ce qui devrait arriver dans le très court-terme. J’ai un site internet, et je compte également continuer à agir sur les réseaux. L’idée est de vendre mes créations, mais aussi de prendre des commandes, selon les envies des gens. Cependant, il y aura toujours une boutique avec des projets perso, d’illustrations etc. en plus des commandes. J’ai besoin de faire mes projets personnels quand même  ! Après tout, c’était le but à l’origine (rires). 

Maze : Votre studio se distingue par la pluralité des œuvres et des techniques qui y sont abordées  : pourquoi ne pas avoir privilégié une technique, une expression artistique en particulier  ? 

F.L : Je ne peux pas me limiter à une seule forme de création tout d’abord parce que je ne le souhaite pas. Ensuite, parce que toutes mes créations se nourrissent entre elles. Quand je crée quelque chose avec un medium particulier, cela va déclencher une idée pour un autre type de création. Par ailleurs, je déteste et j’ai peur de la routine. Le fait d’expérimenter des nouvelles techniques, des nouvelles manières de créer, mais aussi de remettre en question les techniques que je connais déjà en les utilisant d’une autre manière me permet de sortir de la routine, et de toujours grandir « créativement » parlant.  

La création, pour moi, c’est une manière de vivre, un style de vie  : ça va de la manière de s’habiller à la manière de cuisiner. C’est pour ça que j’aborde différentes disciplines, car mon style de vie n’est pas unique.

Maze : Qu’est-ce qui vous inspire à créer  ? 

F.L : Ce qui m’inspire… c’est compliqué, parce que c’est à la fois tout et rien (rires). C’est très compliqué à définir. A un certain moment je vais voir, entendre, sentir quelque chose, et ça va déclencher un processus dans ma tête. Ce sera par exemple une idée de création, et je vais me dire « ok je vais pouvoir utiliser telle technique, telle mise en scène ». Ou alors, une idée de visuel apparaîtra directement dans ma tête. Une fois cette idée ou ce visuel en mémoire, je ne vais pas faire pleins de croquis préparatoires comme d’autres artistes pourraient faire. J’ai une capacité de visualisation assez importante, donc tous les croquis préparatoires sont dans ma tête. C’est comme si pleins de choses bougeaient dans ma mémoire, et commençaient le travail dans ma tête.

Après quand je passe à la création c’est déjà relativement réel, concret. Je commence, et le premier dessin que je fais sera très probablement le dessin final. Après tout se joue dans le processus, dans la technique que j’utilise.

Maze : Et qu’est-ce qui caractérise ce processus de création ?

Dans ma création, le processus est aussi important que le résultat  : plus créatif est le processus plus intéressant sera le résultat. Plus le processus te ressemble et te correspond, plus le résultat va suivre et être un reflet de toi. A l’inverse si tu es trop focalisé sur un résultat précis, le processus ne va pas être spontané. Le résultat sera plat. C’est pour ça que je laisse beaucoup de place à l’expérimentation dans ma création, et au hasard aussi.

Ma création est vivante, je vais créer au moment présent et s’il y a un accident, un outil qui se renverse ou une impression qui se décale, ça fait partie du processus, je l’accepte et je travaille avec. Même si le résultat n’est pas exactement ce que j’avais imaginé, j’accorde une grande place au hasard, qui rend la création, selon moi, plus authentique et plus belle. Les accidents font partie intégrante de mon art. 

Maze : À quel moment avez-vous décidé de faire de l’art votre métier  ? 

F. L : Depuis petite, j’ai toujours su que je voulais faire un métier artistique, je n’ai jamais eu d’autres idées ni envies. Au début, quand j’ai dit à mes parents que je voulais être artiste-peintre ils ont pris peur (rires). Finalement j’ai fait des études d’arts appliqués, obtenu un diplôme de directrice artistique, et aujourd’hui mon studio, qui n’est cependant pas encore mon activité principale. J’ai un CDI en tant que Brand designer, mais à terme, j’aimerais faire de mon studio mon activité principale. Je voudrais vivre de ma création, travailler uniquement pour moi.

Mais en réalité, vivre de son art est compliqué en termes de revenus. Le fait d’avoir un CDI à côté me permet une plus grande sécurité dans mes créations. C’est contraignant, parce que j’ai moins de temps pour créer, mais au moins j’ai un revenu stable qui me permet un espace de création libre et non soumis à la pression de me faire vivre. 

Sunday Mood © Fé Studio
Maze : Pourriez-vous nous décrire votre studio en quelques mots. Quel message portez-vous, et qui vous distinguerait des autres  ?

J’ai peut-être une vision biaisée, en tant qu’artiste, mais je pense que chaque artiste est différent. Chacun a sa vision et sa façon d’aborder son art. Cependant je pense que c’est une vision d’artiste qui n’est pas forcément objective (rires). J’ai évidemment des projets plus longs, comme de l’animation par exemple, qui vont peut-être faire que je vais me distinguer, et que mon studio va prendre de l’ampleur, mais sur le papier je n’ai pas de stratégie. Chaque art est unique selon moi.  

Ce studio, comme je l’ai dit au début, c’est le plaisir de la création. Je ne pourrai pas dire que je suis porte-parole de tel ou tel message parce que je ne me considère pas du tout de cette manière. De plus, cela varie selon mes créations. Il peut y en avoir une qui ramène à tel sujet, et une autre à un tout autre. Je ne pense pas que le studio en général porte un message clair. Pour moi c’est juste le plaisir de créer, de partager ma vision du monde. Je le vis comme ça, je le ressens comme ça, et ça transparaît dans mes créations.

En revanche j’ai quand même de fortes valeurs et convictions, et cela se voit beaucoup dans mes créations. Par exemple, quand je fais de la couture je fais beaucoup d’upcycling, ou alors je reprends d’anciens vêtements qui vont être la base de nouvelles créations, ce qui va avec mes convictions écologiques. 

Maze : Nous vivons aujourd’hui une période assez inédite, qui rend certain le futur de la sphère artistique. Comment avez-vous appréhendé cette période, et qu’en pensez-vous maintenant  ? 

Je suis assez partagée sur le futur de l’art. D’un côté, l’art traverse une mauvaise passe, et j’ai peur que ça revienne à un côté très élitiste de la discipline, où tout le monde ne pourra y avoir accès, et où les restrictions vont aller contre sa démocratisation, et donc sa définition aussi.

D’un autre côté, c’est hyper dur de créer en cette période. Je l’ai vu en tant qu’artiste, pendant le premier confinement c’est très dur de créer car il ne se passe rien, on n’est pas stimulés. Mais on a besoin d’artistes. Pour moi, un artiste, n’importe lequel, est un témoin de la société, de ce qu’il s’y passe. Il est le porte-parole chargé transmettre sa vision du monde et de l’époque aux générations futures.

C’est important de créer à ce moment-là pour que l’on puisse se souvenir de cette époque, de comment les gens l’ont vécue, et qu’on ait les témoignages de ce qui est arrivé. C’est sur le très long-terme, mais c’est primordial, ces témoignages artistiques. 

Maze : Comment surmonter cet obstacle à la création ?

Pour ma part je ne fais pas partie de la catégorie la plus impactée. Personne ne m’a interdit de créer à cause de la situation. C’est juste que tu crées moins, tu es moins stimulé, tu as moins d’inspiration. Mais en même temps tu crées différemment, tu t’adaptes. Je ne sais pas si tous les artistes fonctionnent comme ça, mais pour moi il y a deux niveaux d’inspiration  : l’inspiration extérieure, par la société, le monde, et l’inspiration intérieure, de toi, de comment tu vis et ressens les choses.

Le fait d’être dans cette situation où il y a moins d’inspiration extérieure, ça t’invite à te tourner vers toi et à davantage t’interroger sur comment tu vis les choses, comment tu vas créer dans cette situation d’introspection. C’est un autre type d’inspiration, il faut juste s’en rendre compte et faire ce travail intérieur. Cela peut être très dur, mais cela peut mener à une autre forme d’art, qui finalement illustre notre vie à ce moment précis. 

Maze : Pouvez-vous nous décrire, avec vos mots, le processus de création de l’une de vos illustrations préférées ?

F.L : Je vais essayer ! Voici le processus qui accompagne la linogravure intitulée Clumsy (ci-dessous).
“Dans mes illustrations, les éléments sont dessinés en volume, mais la profondeur générale est faussée. Tous les plans se confondent (comme ici avec les tiges des fleurs et le sol qui transparaît dans certaines parties du vase). Ce jeu de superposition me permet de donner plus d’importance aux formes, aux pleins et aux vides, et d’aller à la recherche d’une clarté graphique pour que l’illustration reste lisible. Tous les éléments sont aussi mis aux même niveaux et deviennent part d’un motif. 

Les motifs sont très importants dans ma façon de dessiner. Je les considère comme des nuances et ils me permettent d’aller plus loin que les couleurs et les formes. Ils participent eux-aussi à la recherche d’équilibre entre pleins et vides. Souvent, ils sont le lien entre différents éléments de l’illustration et apportent du mouvement (comme ici l’eau).

Ces deux aspects de mes illustrations sont représentatifs de la façon particulière dont je voie ce qui m’entoure. Tout comme les couleurs qui s’imposent à moi en même temps que l’idée du dessin et qui se limitent à 2 ou 3 par illustration. Leur répartition est à chaque fois pensée afin que le regard soit dirigé.”

Clumsy © Fé Studio

“La passion est encore ce qui nous aide le mieux à vivre”, disait Zola. Fé Studio est évidemment né d’une passion, mais aussi de la certitude de vouloir vivre de l’art. La certitude d’un mode de vie dont témoignent ces créations lumineuses, qui voient le jour dans l’atelier dirigé d’une main passionnée par Félicie, l’artiste.

Félicie Lacroix. Fondatrice de Fé Studio. Comptes Instagram : @fe.studio_, @felicie_lacroix

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