LITTÉRATURE

« La constellation Rimbaud » – Tout autour de la comète

La constellation Rimbaud
© éditions Grasset

Le sujet semblait épuisé après plusieurs biographies, podcasts et autres émissions télé. Mais le récipiendaire du Goncourt de 1990, Jean Rouaud, publie un nouvel ouvrage consacré à Arthur Rimbaud : La constellation Rimbaud. Un livre tendre et précis, qui nous montre combien le gamin d’Une saison en enfer n’a pas fini de faire parler de lui.

La comète, c’est lui  : Arthur Rimbaud, gamin génial et insolent qui toise le monde de son regard pervenche. Le gamin de Charleville, «  la ville la plus ennuyeuse du monde  ». Le fils de la Mother (Vitalie Cuif de son vrai nom). L’élève d’Izambard qui, tout jeune, écrit déjà des vers dans un latin impeccable. L’amant de Verlaine. Bref. Arthur Rimbaud. Celui que l’on étudie dans les classes. Celui dont le visage est tagué sur les monuments du monde entier. Celui qui inspire encore Patti Smith et Nicolas Sirkis. Ou celui que Frédéric Martel qualifiait encore récemment de «  plus grand poète que la France ait connu.  » 

Ce même Arthur déchaînait les passions il y a quelques mois encore. Une pétition proposait de le déterrer de son tombeau de Charleville-Mézières, pour lui faire passer l’éternité aux côtés de Simone Veil, Marie Curie, et tous les autres «  grands hommes  » à qui la patrie doit reconnaissance. 

Des personnages et des lieux

C’est ainsi que Jean Rouaud présente ce nouveau livre sur l’enfant de Charleville. Pour ne pas ennuyer des lecteurs las de cette surabondance d’informations sur le poète, il met en œuvre un procédé innovant – fruit de centaines d’heures d’enquêtes et de travail. Il s’agit de la Constellation, un annuaire chronologique d’une précision vertigineuse. Elle retrace la vie de Rimbaud à travers le prisme de toutes les personnes qui ont croisé sa route un jour.

Un livre ambitieux qui revient d’abord sur l’enfance, et par conséquent sur les personnages déjà connus : la mère dure-à-cuire, le frère ivrogne, les sœurs. Vitalie la sœur morte et Isabelle celle qui vit encore. Le professeur Izambard.

Il y a les habitués et d’autres que l’on découvre avec l’ouvrage  : le prêtre de l’Église dans laquelle la Mother traînait ses enfants chaque dimanche. Ernest Delahaye, camarade de classe et complice. Sans oublier le père, éternel absent, mais dont le passé de soldat, toujours en vadrouille, n’aura de cesse d’habiter l’imaginaire du jeune Rimbaud. 

«  Non qu’Ernest Delahaye ait vu mieux que d’autres. L’extraordinaire talent de son ami sautait aux yeux, dérangeait, bousculait, nul ne l’a approché, même furtivement, sans en ressentir dans un même mouvement l’évidence et l’effroi, mais Ernest Delahaye, fasciné, s’est accroché humblement à la comète, et la comète l’a accueilli dans sa traîne.  » 

Jean Rouaud, La constellation Rimbaud

Vers Charleville et au-delà 

La constellation est aussi composée de toutes les terres foulées par le poète. Charleville, bien sûr. Mais aussi Douai, où il écrira les fameux Cahiers. Sans oublier Paris, capitale des intellectuels où Paul Verlaine l’invitera à le rejoindre. C’est lui qui fera publier les œuvres rimbaldiennes pour la première fois. Bruxelles, Londres, où les deux poètes et amants s’exilent après les évènements de La Commune. Et puis toutes les terres d’Afrique et du Moyen-Orient que parcourt Rimbaud ensuite. Cette période méconnue, où il a troqué sa casquette de poète pour celle de commercial polyglotte. Ou de globe-trotter en éternelle soif d’ailleurs, on ne sait plus bien. 

L’étoile filante

La singularité de cette enquête réside dans la compassion pour ses personnages et l’affection de Jean Rouaud pour le poète. Nous sommes invités à mépriser avec l’auteur les médiocres du cercle de Verlaine – d’ailleurs oubliés par l’Histoire – qui sous-estimaient le gamin de Charleville. De la même manière, le texte fait preuve de compassion pour Isabelle, la sœur dévote de Rimbaud, longtemps critiquée pour avoir tenté de cacher les aventures homosexuelles de son frère.

Contrairement à beaucoup de textes sur la vie de Rimbaud, celui-ci ne s’arrête pas au moment où il déclare en avoir fini avec cette «  fantaisie  » qu’est la poésie. Jean Rouaud accompagne et commente cette vie menée par Arthur, même lorsque celui-ci choisit de n’être plus le Rimbaud poète. Il suit ses errances en Afrique, au Moyen-Orient, où Rimbaud déserte l’armée française et tente simultanément de s’engager dans la marine américaine – sans succès. 

Il s’intéresse à cette époque moins connue de son existence. Celle de commerçant au détail, souvent caricaturée par ceux qui prétendent qu’Arthur était devenu marchand d’armes. En réalité, il vend des produits qui varient selon les opportunités. Sa principale caractéristique pendant cette période est son talent pour les langues. Il en parle alors une bonne dizaine. Il n’écrit plus, mais autour de lui on sait quand même qu’il s’agit d’un génie. 

L’auteur revient également sur une question. Celle que tous se posent, quand à seize ans, le jeune Rimbaud décrète en avoir fini avec la poésie. Une interrogation centrale qui n’est pas sans rapport avec l’ambiance du monde littéraire de l’époque. 

«  Il faut être résolument moderne  »

Quelques années avant qu’Arthur ne déclare qu’il faut «  être résolument moderne  », Gustave Flaubert fait le choix de renoncer à ce «  cancer du lyrisme  » pour écrire un roman du réel. Quelque chose de terre-à-terre, «  à la Balzac  », quelque chose de vrai. Le lyrisme et la poésie sont officiellement dépassés, devenus incapables de rendre compte du monde qu’ils observent. C’est ainsi que naît Madame Bovary et qu’avec elle, la littérature entre dans une nouvelle ère.

Mais puisque le lyrisme est devenu verbiage inutile, que la prose doit maintenant se conformer à la stricte réalité, à quoi bon écrire  ? 

«  La poésie de Rimbaud prenait appui sur des images empruntées à la vie courante, ne faisant pas mystère, les pauvres à l’église on les voit, et le forgeron haranguant le peuple, et le Cabaret vert et sa servante plantureuse, et le dormeur du val et ses deux trous rouges du côté droit. C’est par cet artifice du vers mesuré, rimé qu’on évite le décalque littéral du réel, ce miroir que Stendhal promène sur une grande route et qui est selon lui la marque du roman. Sans cet artifice le roi-poète est nu, sans qualification, sans emploi.  » 

Jean Rouaud, La constellation Rimbaud

La réalité telle qu’elle est, on la voit en regardant autour de soi. Et Jean Rouaud répond à la grande question  : la poésie est morte et la littérature ne sert plus à rien. On en aura vu souvent des biographies d’Arthur Rimbaud. Mais rarement des aussi sincères. 

«  Raconter les mêmes choses en étant privé de cette armature prosodique, on devient Flaubert qui lutte contre la pression du réel en rêvant d’un livre qui ne tiendrait que «  par la seule force interne de son style  » ou, bradant toute ambition lyrique, prenant sur son dos de copiste d’enseigner «  l’amère science de la vie  », on devient Zola, béat devant les expériences du biologiste Claude Bernant et concluant  : «  Nous sommes des savants.  » Traduction  : on n’est pas des poètes.  » 

Jean Rouaud, La constellation Rimbaud

La constellation Rimbaud, de Jean Rouaud, paru chez Grasset. 18 euros. 

Journaliste

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