LITTÉRATURE

« Marie-Lou-Le-Monde » – Des surréalistes à Gainsbourg, la muse incandescente

© Le Tripode

© Le Tripode / Maïté Grandjouan

En ce mois froid de février, un roman aux images brûlantes et aux mots plein de lumière paraît chez les Editions Le Tripode. Marie-Lou-Le-Monde, première publication de Marie Testu ramène un peu d’été au cœur de l’hiver.

Marie-Lou-Le-Monde de Marie Testu se présente comme une histoire d’amour aux allures de long poème. Le lecteur y saute de page en page, emporté par la douceur de la langue et la puissance des images. Avec rythme et musique, il y découvre l’explosion d’un premier amour dans l’Aix-en-Provence des années 2000.

Autour de cette ivresse qui prend toute la place, la narratrice brosse le paysage du dernier été de sa jeunesse, celui qui clôture son année de terminale. Les odeurs de l’été dans le sud – « le steak le romarin le ketchup » – se mêlent au goût du whisky-coca et aux gestes des premières cigarettes. Les caresses des discothèques se fondent dans la musique et les cris de la nuit. Au milieu de toutes ces sensations qui partent dans tous les sens, une figure quasi mystique polarise tout autour d’elle et retient, magnétique, le regard de la narratrice : Marie-Lou. Celle qui commence et qui finit le roman. Celle qui est, comme le titre l’annonce, le monde entier.

La première fois qu’elle a peuplé / Mon sang / Elle s’est assise juste / Devant mon rang.

Marie-Lou-Le-Monde, Marie Testu, Le Tripode, 2021, p.11.

Souvenirs des surréalistes et de Serge Gainsbourg incarnés par Marie-Lou-Le-Monde

Les images du roman-poème qui fusent de tous les côtés partent toutes du même foyer, la figure sensuelle et enflammée de Marie-Lou. Celle-ci rappelle la femme aimée, chantée par les surréalistes – Breton, Eluard ou Aragon. Les « yeux de tigre » et les « jambes girafes » de Marie-Lou font délicieusement écho au poème « L’union libre » d’André Breton. Le poète y façonne le blason de la femme idéale, cette « femme à la taille de loutre entre les dents du tigre ».

D’ailleurs, Marie-Lou partage avec la muse de Breton « aux pensées d’éclairs de chaleur » cette incandescence presque divine et cette malléabilité analogique qui en fait la source des images poétiques. Les deux femmes, sans cesse métamorphosées par les mots des poètes, deviennent tour à tour végétales, animales ou cosmiques. Elles polarisent les regards et les désirs des narrateurs, des lecteurs et des autres personnages – tous fascinés par celles qui vivent par combustion instantanée. Le corps et l’esprit de ces femmes-muses deviennent un terrain de jeux pour les surréalistes comme pour Marie Testu qui y mêle des allusions plus récentes aux années 2000.

La Marie-Lou de Marie Testu rappelle aussi une autre muse poétique dont le nom partage les mêmes sonorités. Quelques décennies plus tôt, la Marilou de Gainsbourg parcourait les titres de l’album L’homme à la tête de chou et lui inspirait des images étonnantes, sœurs des analogies surréalistes. Qu’elle soit décrite dans un moment de masturbation dans « Variation sur Marilou » ou dansant le reggae dans « Marilou Reggae », la jeune fille embrase le feu sacré du chanteur.

Pourtant c’est dans le froid qu’elle finit, dans « Marilou sous la neige », assassinée par l’amant jaloux et enterrée sous le sol enneigé. La Marie-Lou de Marie Testu convoque les souvenirs de cette Marilou muse et mythe chez Gainsbourg en remplaçant la musicalité des chansons par celle des vers. Le roman-poème expose, comme l’album de Gainsbourg, des passages plus sombres où la mort et la fin agissent en leimotiv.

Marie-Lou a mis des paillettes sous ses pommettes / Plus hautes que les tours de Marseille / Et ses lèvres vanilles qu’elle claque / Puisent dans les sources ocre / Des dunes de sable du Maroc / Elle a mis à ses oreilles / Des anneaux plus grands que ceux de Saturne / Plus vifs que des cerceaux de gym, qui tombent / Sur ses épaules d’athlètes, sans effort / C’est le visage du monde c’est le monde en son / Visage.

Marie-Lou-Le-Monde, Marie Testu, Le Tripode, 2021,p.34.

Nostalgie de l’adolescence

Le roman-poème cristallise surtout les premières fois de l’adolescence – les premières cigarettes, les premières virées en boîte de nuit – et se construit comme un récit d’apprentissage sur la fin du lycée. La première fois au cœur du roman est celle du premier amour, de cette passion de jeunesse où sensualité et désirs s’éveillent en brasier ardent. La narratrice apprend à se laisser consumer par la puissance de ses émotions, puis par la mémoire de la personne qu’elle a aimée.

Le livre prend forme autour de deux périodes principales, symboles des craintes de toute relation amoureuse. Dans la première, elle s’immerge dans son amour pour Marie-Lou en frissonnant à l’idée de la perdre. La seconde révèle le départ de Marie-Lou et l’avènement d’un temps où ne survivent que les souvenirs. Ainsi, formes, effluves, couleurs et images se rejoignent dans une mosaïque merveilleuse que la narratrice respire comme l’odeur d’un âge d’or passé.

Ce soir on préfère ne pas parler / Marie-Lou ouvre une flasque de vodka cachée / On s’allonge sur l’herbe sèche on écoute / Le bruit de la nuit on espère / Secrètement que / Tout restera / Comme maintenant.  

Marie-Lou-Le-Monde, Marie Testu, Le Tripode, 2021,p.69.

Marie-Lou-Le-Monde de Marie Testu aux éditions Le Tripode. 13 euros.

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