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FLASHBACK — 15 ans après : « Whatever People Say I Am, That’s What I Am Not » des Arctic Monkeys

Il y a quinze ans, le 23 janvier 2006, les Arctic Monkeys sortaient leur premier album et s’imposaient dans un paysage rock alors en pleine renaissance.

Il y a bientôt trois ans, lorsque les Arctic Monkeys sortaient leur sixième album, Tranquility Base : Hotel + Casino, si la critique était quasi unanime quant à la qualité de l’album, les fans, eux, restaient divisés. Mécontentement face à un album de piètre qualité ? Ou nostalgie d’une époque où le groupe anglais ne se préoccupait pas tant de la netteté de la production et ne s’embarrassait pas d’une multitude de synthétiseurs à la couleur sonore rétro léchée ? Nous optons plutôt pour la deuxième proposition. Il est vrai que sur le dernier album, le rock des Arctic Monkeys tel qu’ils le pratiquaient à leurs débuts semble avoir disparu.

Quinze ans, donc, nous séparent de la sortie du premier album des quatre garçons dans le vent de Sheffield, Whatever People Say I Am, That’s What I Am Not. L’origine du titre permet déjà de donner un avant-goût de ce que promet le disque : il s’agit d’une citation extraite d’un livre d’Alan Sillitoe, Saturday Night and Sunday Morning, chronique de la working-class des années 1950 et de ses soirées dans les pubs.

Année 2004, Sheffield. Dans les banlieues nord de la ville, après avoir donné quelques concerts dans les alentours, quatre garçons, bercés par le retentissant premier album des Strokes, Is This It ?, ou encore Pulp et bien sûr Oasis, enregistrent 18 démos qu’ils distribueront gratuitement à la fin de leur concert. Ainsi naîtra Beneath the Boardwalk, compilation de morceaux gravés, nommée en référence à la salle où se produisait alors le groupe.

« I don’t think everyone would have bought it you know »

Alex Turner, passage des Arctic Monkeys à Tarata, 15 mars 2007

Mais cette compilation va constituer une sorte de proto-phénomène internet. Si les années 2010 ont été la décennie des artistes découverts, propagés voire confirmés par la toile, au milieu des années 2000, ce n’était pas encore la norme. D’autant moins quand la musique est répandue par des fans téléversant les morceaux depuis des démos gravées sans que les artistes soient impliqués.

« Bigger than the Beatles »

Le phénomène prend alors de l’ampleur. On s’échange par mail, MySpace ou CD pirates les démos de ces curieux singes en hiver. Quelque singles plus tard, le 23 janvier 2006, paraît Whatever People Say I Am, That’s What I Am Not. Un titre à rallonge et treize morceaux dont la plupart sont des ré-enregistrements professionnels de ceux présents sur Beneath the Boardwalk. Si la plupart des chansons sont déjà connues des fans, cela n’empêche pas le groupe de battre le record britannique de ventes pour un premier album (120 000 copies). « Bigger than The Beatles », titrera The Times.

Pourtant, certains fans sont quelque peu déçus. Les morceaux sonnent trop propres par rapport aux démos du début. Certains regrettent que l’énergie, le grain un peu crasse, l’urgence des chansons scandées par Alex Turner ne se retrouvent pas autant dans ce premier album. Ces critiques seront cristallisées par Tim Jonze de NME qui, sans renier la qualité de la musique des Arctic Monkeys, considère que la production plus soigneuse des morceaux n’ajoute pas « plus de vie » aux démos déjà connues.

Si ces considérations peuvent être légitimement comprises, notamment par le fait que l’album ne peut véhiculer que peu de nouveauté pour les initiés, il reste pourtant une œuvre importante de la musique des années 2000.

« Don’t believe the hype »

L’intérêt de Whatever, c’est l’ambivalence qui y réside. D’un côté, une musique garage enlevée, qui, bien qu’efficace et de bonne facture, n’innove pas particulièrement au regard des albums de ses prédécesseurs, notamment ceux de The Strokes ou de leurs compatriotes The Libertines. De l’autre, des textes eux aussi empreints d’une certaine ambivalence. Alex Turner aborde majoritairement ce que l’on peut attendre d’un jeune de la classe moyenne d’à peine 20 ans dans le nord de l’Angleterre du début des années 2000 : les soirées en boîte de nuit et tout ce qu’elles peuvent comporter : les espoirs douchés de passer une soirée satisfaisante (The View From The Afternoon), la resquille du taxi (Red Lights Indicate Doors Are Secured), ce videur « totalitaire » qui ne veut pas vous laisser rentrer (From The Ritz to The Rubble). Pourtant, sa plume porte déjà ce qui sera la griffe des Arctic Monkeys. Convoquant le traditionnel sarcasme anglais, elle mêle une certaine poésie tout en étant ponctuellement grivoise voire insultante. L’un des titres phares de l’album, When The Sun Goes Down, est le symbole même de cette écriture élaborée dans lequel le groupe décrit la prostitution à Sheffield. Après avoir relevé ironiquement que la jeune fille ne prend pas la carte bleue, Turner y lâche une insulte cinglante à l’intention de son proxénète (« He’s a scumbag don’t you know  ») .


Ainsi, au-delà des futiles chroniques de la nuit, le groupe en profite pour décrire la réalité qui l’entoure de manière brute : la prostitution donc, mais également l’alcool auquel la jeunesse est confrontée (Riot Van), les gens qui ne croient pas en leur succès (Perhaps Vampires Is A Bit Strong But…) ou encore le sarcasme à l’encontre des groupes du coin qui ne leur arrivent pas à la cheville (Fake Tales of San Francisco). L’album se conclut sur un titre enregistré en une prise, A Certain Romance, dans lequel se mêlent le mépris et la compassion à propos des lads à l’esprit un peu étriqué avec qui l’on a grandi mais que l’on trouve ringards. Au-delà des titres de l’album, cet univers réellement urbain, saisi sur le vif, se ressent également dans les faces B — qui occupent une place importante dans la discographie des Arctic Monkeys de manière générale, ainsi que dans les photos qui accompagnent l’album.

La musique qui émane de « Whatever », et ce qui en fait tout son intérêt encore aujourd’hui, est poétique et populaire, et ainsi assez universelle, du moins pour la classe moyenne provinciale des années 2000. Une urgence assez désinvolte point de ce disque, qui n’est pour autant pas dénué d’une certaine réflexion.

Par ailleurs, ce disque est également une pièce importante dans l’histoire du rock. Si on peut le considérer comme un cousin des projets de The Streets, similaires par les thèmes abordées, l’accent cockney, et le style vestimentaire, les Arctic Monkeys, avec « Whatever », ont également inspiré d’autres jeunes artistes qui à leur tour toucheront et façonneront le rock. Nous nous sommes demandés quels groupes pouvaient en être les héritiers. Florilège subjectif.

The Fratellis – Costello Music (2006)

Le groupe écossais The Fratellis amène avec cet album une musique de bar ou, c’est selon, de stade, avec des chansons que l’on chante en cœur une pinte à la main. Des hymnes entêtantes comme Chelsea Dagger qui permettront à l’album de se classer numéro deux dans les charts anglais et d’être triple disque de platine.

The Wombats – A Guide To Love, Loss and Desperation (2007)

Le premier album de The Wombats est un opus rock énergique. Les singles Kill The Director et Let’s Dance To Joy Division ne pourront que vous convaincre de la puissance de cet album très dansant et conçu pour les concerts.

Cage The Elephant – Cage The Elephant (2008)

Cage The Elephant, groupe américain installé à Londres avant la sortie de ce premier album, amènera une nouvelle force punk rock dans la scène anglaise. Ce sont les singles In One Ear et Ain’t No Rest For The Wicked qui leur permettront de s’imposer face à la rude concurrence londonienne.

Miles Kane/The Rascals – Rascalize (2008)

The Rascals est l’un des premier groupe de Miles Kane, grand compère d’Alex Turner avec qui il créera le super groupe The Last Shadow Puppets. Cet unique album démontre bien l’influence des Arctic Monkeys sur le jeune Miles Kane avant qu’il ne se lance dans une carrière solo. Des morceaux comme Rascalize ou I’d Be Lying to You nous montrent ce renouveau britpop en pleine effervescence à cette époque au Royaume-Uni.

RENNES-SUD

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