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Festival du Court-métrage de Clermont-Ferrand 2021 – Bilan female gaze

Mat et les gravitantes / Pauline Pénichout © La Fémis

Le 43e Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand Ferrand s’est déroulé jusqu’au 6 février dernier. Pour cette édition en ligne, après un retour sur la compétition nationale, dressons le bilan de ce palmarès 2021 ainsi que les coups de coeur des rédacteurs.rices.

Bilan du palmarès

S’il fallait dégager une ligne commune aux palmarès de cette édition virtuelle, c’est peut être la respiration incroyable insufflée par le female gaze qui se dégage des films primés, réalisés en écrasante majorité par des femmes. 

Female gaze : sœur-caméra

Les grands prix des compétitions nationales et internationales se distinguent ainsi par des propositions fortes, porteuses de messages incroyablement émancipateurs à l’égard des corps féminins et des regards posés sur ces corps, devant et derrière la caméra. La compétition nationale a ainsi couronné le court-métrage documentaire collectif porté par Pauline Pénichout, Mat et les gravitantes, qui plonge les spectateurices au cœur de l’expérience essentielle d’une réunion non-mixte au court de laquelle des jeunes femmes apprennent à utiliser un spéculum pour observer leur col de l’utérus.

Si le film est fort c’est à la fois parce qu’il montre le sexe féminin : lorsque le personnage principal s’examine à l’aide d’un miroir, la caméra bascule pour filmer le reflet de sa vulve dans le miroir, faisant adopter au spectateur.rices l’angle de vue de Mat sur son propre sexe, et parce qu’il montre des femmes en train de découvrir leur sexe et de produire des discours sur cette expérience, avoir des débats collectifs sur le sentiment que leur procure cette connaissance du corps. 

Dans un tout autre registre, le prix spécial du Jury, Palma, de la réalisatrice belge Alexe Poukine, dessine avec tendresse le week-end chaotique de Jeanne, une mère au bord de la crise existentielle, partie à Majorque avec sa fille. La réalisatrice, qui a reçu le prix d’interprétation féminine pour le rôle de Jeanne,  jette un regard tendre et juste sur l’amour et la cruauté de la relation mère-enfant. Et si  Jeanne peine à cacher son agacement et finit même par fuir, une nuit, laissant sa fille seule pour se retrouver face à la mer, c’est finalement pour mieux se libérer du poids que peut parfois représenter la maternité, et revenir. 

La compétition Internationale a quant à elle distingué le court-métrage puissant et rude de la réalisatrice slovène Katarina Resec, Sestre, qui suit le quotidien de trois amies, au cœur d’une cité. La caméra reste au plus près des corps nerveux de ce trio de jeunes femmes, soudé par la promesse de rester vierge, qui affront la violence du sexisme et des agressions physiques commises par les garçons de leur quartier. Des scènes de bagarres, où la réalisatrice filme avec crudité les corps des filles qui se battent avec les garçons qui les provoquent, aux scènes de club, où ces mêmes corps se frôlent toujours avec la tension planante des violences sexistes, le corps collectif féminins ne se sépare jamais. Une image sororale puissante qui prend encore une autre dimension lorsque les trois filles sont secourues par une femme trans, qui assiste de la fenêtre de son appartement à l’attouchement de l’une d’entre-elle et parvient à faire fuir les garçons, concluant ce court sur un message d’adelphité marquant.  

Du côté du Labo, le palmarès a mis en avant cette année des films travaillés par l’obsession de l’image comme emprunte des luttes. Gramercyde Pat Heywood et Jamil McGinnis, Grand Prix de la compétition Labo, entraîne les spectateur.ices, dans le sillage d’un jeune natif de New Jersey, de retour dans sa ville natale. Illuminé par un travail somptueux du noir et blanc et du clair-obscur, Gramercypeint avec sensibilité la tension que cristallise la lutte de Shacq contre sa dépression et l’étrangeté du retour dans son milieu d’origine.

L’image comme mémoire vive  

Le prix spécial du Jury a quant a lui été décerné au vibrant Santiago 1973-2019, documentaire expérimental qui documente les luttes chiliennes des années 70 à aujourd’hui, où la réalisatrice, Paz Corona, utilise le splitscreen pour faire dialoguer les images de résistances et celles des violences de la répression policières. Enfin le prix du public a récompensé Maalbeek d’Ismaël Joffroy Chandoutis, qui tente, dans un geste de cinéma bouleversant de construire les images manquantes qui ont échappées à l’une des rescapé.e.s de l’attentat du métro de Bruxelles. Et le film mérite le prix des effets visuels Adobe dont il a également été récompensé, puisque son réalisateur parvient à nous troubler profondément avec ces images, presque pointillistes, qui surgissent pour habiller la voix-off de la jeune femme, dessinant l’ombre d’un wagon, les contours de la rame de métro, et qui tentent de recréer l’emprunte de  ce moment insaisissable où le souvenir du réel est chassé par le souffle de l’explosion. 

Maalbeek d’Ismaël Joffroy Chandoutis © Films Grand Huit  Films à Vif

Du côté de l’animation, le prix du meilleur film a été cette année décerné au très loufoque Affairs of the Art de Joanna Quinn, qui met subtilement en abîme l’art du crayon à travers les pérégrinations d’une cinquantenaire, artiste déçue qui se désespère d’avoir abandonné sa vocation pour un ménage médiocre. La sélection Canal+ Family a quant à elle distingué deux très beaux courts-métrages qui interrogent la force de l’amitié et de l’amour. Le coup de cœur de la sélection est ainsi allé à Tobi and the Turbobus de Verena Fels, qui croque avec tendresse les aventures d’un jeune loup qui va découvrir que les amitiés sont plus belles lorsqu’elles sont réciproques. Enfin, la mention spéciale du jury est allée à L’Odyssée de Choum de Julien Bisaro, petit bijou de finesse onirique qui suit les aventures d’une petite chouette intrépide partie en quête d’une maman.  

Laurine Labourier


L’ Odyssée de Choum de Julien Bisaro © Les Films du Préau

Du côté de la compétition internationale

La Compétition Internationale comptait cette année 78 propositions, divisées en 14 programmes, aux mises en scènes et sujets toujours plus riches et variés. Parmi tous ces courts-métrages, les mentions spéciales octroyées par le Jury ont été attribuées à Angh de Theja Rio, Masel Tov Cocktaildes allemands Arkadij Khaet et Mickey Paatzsch, venu du Brésil Portugal Pequeno de Victor Quintanilha, l’œuvre autrichienne Fabiu par Stefan Langthaler et Hilum, du réalisateur Philippin Don Josephus Raphael Eblahan.

Teaser – Portugal Pequeno from Lua Ebisawa on Vimeo.

On notera également Badarende Jonatan Etzler, auquel fut attribué le Prix du Rire Fernand Raynaud ; Dalej Jest Dzien, film polonais de Damian Kocur qui reçut l’European Film Awards ; et Al-Sit de Suzannah Mirghani (Qatar, Soudan) qui gagna le Prix Canal + / Ciné +.

Le Prix Étudiant a été décerné au lumineux Hilum (Remède). Don Josephus Raphael Eblahan partage ici le périple de Mona. Elle vit dans un village rural des Philippines et s’entraine à devenir endeuillée professionnelle, sous les conseils de sa mère. Mais Mona n’arrive plus à verser de larmes, elle décide donc d’aller voir un chaman pour tenter de se guérir. Il émane d’Hilumune mise en scène singulière, des photographies aux couleurs et cadrages éblouissants, et une histoire touchante, inédite.

Hilum – Official Trailer (2021) / Festival de Clermont-Ferrand from Don Josephus Raphael Eblahan on Vimeo.

C’est l’hilarant court Affairs of the Art de la grande Joanna Quinn (UK) qui repart gagnant de la catégorie « Meilleur Film d’Animation ». L’histoire d’une famille farfelue dont chaque membre possède des troubles obsessionnels, comme le père, par exemple, ouvrier d’usine et obsédé par le dessin. God’s Daughter Dances (Fille de Dieu danse) de Sungbin Byun (Corée du Sud) a été récompensé par le public. On y suit le parcours émouvant d’une danseuse transgenre qui reçoit un appel de l’Administration pour assister à l’examen du service militaire. Ce film unique est le triste reflet d’un mal et problème social touchant de nombreux pays, si ce n’est pas la terre entière.

The Trees, de Ramzi Bashour (USA, Liban), explore le chagrin, le deuil, et l’environnement, illustré par ce chercheur en sciences qui, une fois rentré dans sa campagne libanaise pour assister aux funérailles de son père, découvre un agent pathogène qui infecte des arbres. Un jeu d’acteur et une mise en scène incroyables, récompensés par le Jury qui octroie au court son Prix Spécial.

Pour clore cette Compétition Internationale, le flamboyant court Sestre, réalisée par la slovaque Kukla – Katarina Resek – repart avec un Grand Prix très mérité. Dans la Slovénie des temps modernes, trois jeunes meilleures amies n’acceptent pas les règles qui leur ont été données simplement en étant nées femmes. Elles sont sportives, aiment se battre, et un jour la situation tourne mal. Elles sont alors sauvées par une femme transgenre. Une œuvre saisissante, charismatique, qui explore l’identité de genre, l’amitié, et l’amour de manière honnête et terriblement poétique. Sestre, à voir et revoir. 

SESTRE from Atalanta on Vimeo.

Leelou Jomain

Les coups de cœur des rédacteur.rice.s

Santiago 1973-2019 de Paz Corona

Compétition labo (prix spécial du jury). Une dénonciation claire et forte du pouvoir chilien, par la multiplication des perspectives et des prises de vues : vidéos prises à la volées, archives, ré-agencées entre une époque et une autre. Par le montage, est rendu cohérent une vision des événements : là où le fil d’actualité met au même niveau sous semblant d’égalité les images dans un absurde enchaînement, sous cette forme volontaire, le biais éclaire de sa limpidité.

Marin Pobel

Homemade Teaser – Labo 2021 – “Santiago 1973-2019” from ClermontFd Short Film Festival on Vimeo.

Traquer de Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert

Compétition labo. Un portrait intriguant d’un certain milieu de la chasse, superposé à la relation silencieuse d’un chasseur et de sa cousine, entre vie de campagne et vie urbaine. Le sculptage du temps qui passe dans l’attente du coup qui peut-être partira, dans la campagne brumeuse, entre les pas mesurés, est époustouflant. Une exploration digne d’être observée, nuancée, au-delà des portes enfoncées.

Marin Pobel

TRAQUER (Hunting down) Extrait (2020) from Noëlle Bastin & Baptiste Bogaert on Vimeo.

Which is witch ? de Marie Losier

La scène finale du documentaire expérimental Felix in Wonderland avait fait office de teaser. Marie Losier nous emmène cette fois-ci à la rencontre de Louis II de Bavière, congelé mais conscient, réanimé par trois créatures féériques. Une plongée dans l’univers déjanté de l’acteur principal Felix Kubin, compositeur allemand de musique électronique. Marie Losier maîtrise sublimement l’art du collage, transportant le spectateur dans un pays enchanteur, à la frontière entre le vivant et l’au-delà.

Yoann Bourgin

© Ecce Films – Mathilde Delaunay

Bruits blancs de Thomas Soulignac

Et si les esprits donnaient de leurs nouvelles ? C’est en tout cas ce dont est convaincu un petit groupe de fidèles, dont les membres cherchent à retrouver le goût à la vie à travers les signes. Ils se retrouvent pour enregistrer leur voix sur magnétophone et écouter les bruits qui s’interposent entre leurs paroles. Le court-métrage interroge l’interprétation subjective de chacun, et leur capacité à croire en une chose invisible. Comique et légèrement décalé, le film montre que le retour à la réalité apporte certainement plus de consolation. Disponible sur MyCanal.

Yoann Bourgin

Complex Subject de Olesya Yakovleva

La jeune réalisatrice russe Olesya Yakovleva présentait Complex Subject (Sloznopodchinennoe de son titre original) sur le programme marché du festival. Déposé par Vostok Distribution dans la catégorie « When Russians Do Shorts », ce court avait également été sélectionné en 2019 par la Cinéfondation. On suit langoureusement Eugene qui vient tout juste de quitter Saint-Pétersbourg pour s’installer dans une ville de province. Ce mystérieux professeur, quelque peu morose, a plutôt l’allure d’un étudiant, et ne laisse pas indifférent·e·s les habitant·e·s qui croisent son chemin. Bientôt, ses élèves, et collègue, vont vouloir se rapprocher de lui. Ces attractions, brutes et exubérantes, sont pourtant bien maladroites. L’altruisme et les bonnes intentions d’Eugene ne semblent pas être interprétées de la bonne manière, et bouleversent finalement ce trépident petit monde. Une œuvre fictive où s’y révèle une photographie lumineuse et éclatante, emplie d’une grande délicatesse.

Leelou Jomain

SLOZHNOPODCHINENNOE (Complex Subject) teaser, Olesya Yakovleva, 2019 from Olesya Yakovleva on Vimeo.

Kanya de Apoorva Satish

Kanya est excellente nageuse et a une jolie carrière devant elle. Ses projets s’effondrent pourtant lorsque ses premières règles arrivent. Née dans un foyer traditionnel indien, sa famille lui demande alors d’accepter son statut de femme et ses contraintes. Kanya s’y tiendra-t-elle ? Cette subtile odyssée aquatique et fictive, réalisée par la Tchèque Apoorva Satish, explore de manière intime le conflit intérieur d’une adolescente en période de puberté dans une société archaïque et patriarcale.

Leelou Jomain

KANYA (Trailer) 4K from Celluloid Drapers on Vimeo.

Nous ne sommes pas encore morts de Joanne Rakotoarisoa

Trente-quatre minutes pleines de sensibilité pour le court-métrage Nous ne sommes pas encore morts, réalisé par Joanne Rakotoarisoa et sélectionné en Compétition Nationale. On s’embrase aux côtés d’Oles et de ses ami·e·s, qui passent une dernière soirée en compagnie de Katya, avant son départ pour l’Allemagne. Une immersion à fleur de peau dans la vie de jeunes Ukrainien·ne·s confronté·e·s à des choix difficiles. Quels sentiments dévoiler ? Masquer ? Oles se soumettra-t-il au régime ? Ou préférera fuir le pays ? Les rêves et espoirs surgissent ou disparaissent…

Leelou Jomain

NOUS NE SOMMES PAS ENCORE MORTS – TEASER (FR SUBS) from Joanne Rakotoarisoa on Vimeo.

Sestre de Katarina Resec et Mat et les gravitantes de Pauline Pénichout

Pourtant diamétralement opposés dans leur proposition esthétique, le documentaire et la fiction se rejoignent ici dans la force qui se dégage de la rencontre des corps féminins et du collectif. C’est la même énergie émancipatrice vibrante qui exalte des images des corps combattant et dansant des filles de Sestre et de celui des ami.e.s et des inconnues, réunie.s dans le salon d’un squat, prêtes à se réapproprier leur sexe et leur corps dans Mat et les gravitantes.  

Laurine Labourier

Fille bleues, peurs blanches de Marie Jacotey et Lola Halifa-Legrand 


Filles bleues, peur blanche fait parti de ces pépites pop que réserve chaque année à Clermont-Ferrand la sélection produite par Canal +. En effet, c’est avec une trame simple, une jeune femme part en week-end chez les parents de son amoureux pour la première fois, et une animation au crayon sobre mais terriblement aguicheuse que le film envoute ses spectateur.rices. Alors que Flora commente la beauté du paysage qui défile sous ses yeux dans la voiture, Nils évoque le bois où il a vécu son premier baiser et c’est là que tout dérape. Les doutes amoureux de Flora se matérialisent alors sous la forme d’un groupe d’Amazones,  toutes les femmes que Nils a aimé avant elle, qui la kidnappent. L’héroïne plonge alors dans les limbes du souvenir amoureux de son petit ami, dont elle ressortira victorieuse, non sans égratignures. 

Laurine Labourier

Migrants de Zoé Devise, Lucas Lermytte, Antoine Dupriez, Aubin Kubiak, Hugo Caby

Migrants soulève une question essentielle, et une inquiétude lancinante qui semblait traverser cette année toute la sélection jeunesse : Comment évoquer avec les plus jeunes les violences qui traversent nos sociétés ? Dès les premières images l’esthétique douce et attrayante (une maman ours et son ourson dont les corps sont fait de tricot apparaissent sur une banquise) contraste avec la crudité du message délivré aux jeunes spectateur.rices : la maman ours et son ourson sont arraché.e.s à leur habitat naturel par le réchauffement climatique. Arrivé.e.s sur la terre ferme, dans une forêt, ces derniers découvrent alors qu’il existe d’autres espèces d’ours que la leur ( les ours bruns). L’expérience de l’altérité va alors se faire dans la violence, puisque ces derniers chassent la mère et son ourson.  Mais le film se perd un peu en chemin, oubliant quelque peu ses petit.e.s spectateurices, puisque ces dernier.ère.s auront sans doute du mal à comprendre (le court-métrage est muet) pourquoi des ours bruns habillés en CRS renvoient la maman et son ourson d’où ils viennent à la fin du film. Une court-métrage qu’il vaudra mieux voir en famille ou accompagné d’un adulte, puisque c’est aussi le rôle du cinéma, de faire dialoguer les générations et d’éveiller les consciences.  

Laurine Labourier

Migrants | Trailer | 2020 from PÔLE 3D on Vimeo.

 

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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