MUSIQUE

Daft Punk, faits d’or et d’argent

© Daft Arts

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L’annonce de la séparation du groupe électronique français relève de l’impossible. Et pourtant, les Daft Punk ne sont plus. Hommage à ces artistes conscients d’une musique liée à leur destin et à celui d’une humanité tout entière, qu’ils auront fait danser et chanter comme rarement depuis le début du siècle.

Il y aura eu de la mise en scène jusqu’au bout. Dans la vidéo Epilogue, postée sur YouTube ce lundi 22 février 2021 et qui annonce leur séparation, les Daft Punk reviennent et s’en vont en même temps, symbole de leur éternelle omniscience dans le milieu de la musique, et pas que. Ils reviennent aux images d’Electroma, ce film désertique, magnifique, qu’ils réalisent en 2006, inspiré du Gerry de Gus van Sant, pour esquisser les contours de ce retour qui n’en sera pas vraiment un. Le casque argenté (Thomas Banglater) traine le pas, prenant petit à petit ses distances avec le casque en or (Guy-Manuel de Homem-Christo). Comme un premier air de séparation. Le second s’arrête, revient vers son compagnon, et active un détonateur qui le fera exploser. L’argent n’est plus, l’or est seul. S’ensuit un minimalisme éclatant  : la musique Touch issue du dernier album arrive, l’image montrant une main de chaque robot formant un triangle lumineux (leur symbole), l’inscription de la période de leur collaboration (1993-2021) et, enfin, casque d’or qui s’en va sous le soleil couchant.

Crépuscule éternel

La vidéo prend fin avec un geste brutal qui rappelle la fin des Sopranos, la série de David Chase : l’image et le son continuent dans leur harmonie, avec l’espoir que cela puisse continuer, mais une sèche coupe au noir signe la fin, réelle, de ce groupe. C’est un moment dramatique. Mais Daft Punk a raison d’annoncer sa séparation de cette manière. N’oublions pas les paroles de Touch, notamment ces mots qui sont répétés pendant presque trois minutes : « Si l’amour est la réponse que tu détiens, tiens-bon ». La réponse à cette annonce se trouve peut-être ici, du côté de l’amour, et certainement pas de son explosion, malgré le crépuscule. Nous revenons vers les Sopranos qui dans ses dernières secondes criait haut et fort la musique de Journey, Don’t Stop Believing (n’arrête pas de croire). Là n’est pas la fin, mais le début d’une prise de conscience de ce qui a fait vibrer notre amour pour eux, comme une participation, au niveau émotionnel, de leur éternité.  

14 janvier 2014, dernière apparition publique des Daft Punk aux Grammy Awards (© CBS)

De Homework à Random Access Memories, les Daft n’ont cessé de redimensionner toute une notion d’un crépuscule éternel. Leur dernier album met en garde face au dépérissement de la musique d’autrefois en lui redonnant un souffle qui, encore de nos jours, se baladent dans nos têtes et nos imaginations les plus folles. Human After All séjourne dans la frontière entre humain et robot, afin de prévoir qui des deux races verra en premier son propre crépuscule. Mais la recherche de la diversité dans ce qui relève de leur musique, face notamment au sublime et éclectique Discovery sorti en 2001, quatre ans plus tôt, rend la réflexion d’une extinction encore plus malléable, comme si la question du robotique, si complexe soit-elle, n’était qu’une part tout simplement humaine de l’existence, du potentiel. Puis, enfin, Homework restera la dernière œuvre majestueuse d’une techno et d’une house au crépuscule de leur légende, au-delà de sa sauvegarde contemporaine dans les boîtes de nuit, où elle est née.

La nuit tombée

Qui d’ailleurs, parmi la génération 90’ qui s’est déjà rendue en boîte de nuit, n’a jamais entendu un titre, un remix, un sample des Daft Punk ? Si la nuit devait tout de même tomber, malgré ce crépuscule éternel qui a forgé leur légende, leur musique, et leurs images, rendra grâce à l’existence. Nous pensons alors très fort à celles et ceux qui rêvaient de les voir en concert, le dernier en date restant leur apparition aux côtés de Stevie Wonder et Pharrell Williams à la cérémonie des 56e Grammy Awards, en 2014. Pour espérer accompagner la nuit aux sons des basses et des assemblages dantesques dont seul les Daft avaient le secret – à l’image de ce qui est peut-être le meilleur album live de tous les temps, Alive 2007. Une pensée également à celles et ceux qui, avant un éventuel concert, espéraient un retour en studio – des rumeurs récentes mais infondées parlaient d’une collaboration avec The Weeknd, partenaire d’un temps sur l’album Starboy de ce dernier, avec en prime une apparition majestueuse dans le clip I Feel It Coming (ce qui sera la toute dernière).

Et au-delà de la nuit, le jour se lève. Les Daft auront perpétué leur propre crépuscule, jusqu’à la tombée de nuit, dans le cœur d’un live lumineux ou dans l’obscurité toujours terrible d’une séparation. Mais le cycle constitué depuis maintenant 28 ans (et même plus) ne cessera que lorsque la musique sera morte. Les Daft étaient, comme tous les grands qui nous ont quitté ou se sont séparés, une idée de la musique : faite d’images et de valeurs tels que l’amour, la préservation ; un sens, incomparable, du langage parlé, chanté et dansé.

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