LITTÉRATURE

« Rumeurs d’Amérique » – Un écrivain francophone sur la côte Ouest

© Photo Sébastien Micke

Dans son nouvel ouvrage Rumeurs d’Amérique, Alain Mabanckou cherche à figer deux histoires, la grande et la petite, la personnelle et l’universelle. Entre portrait d’une société aux lentes mutations et témoignage d’une année 2020 quelque peu exceptionnelle, le récit constitue une véritable invitation au voyage. 

Installé aux États-Unis depuis quelques années, Alain Mabanckou revient dans ce livre sur la dernière étape de sa vie de transhumance. Né au Congo, il étudie en France avant de partir pour Los Angeles. À l’image de la vie de son auteur, ce récit se place sous le signe de l’échange et du partage. Un échange téléphonique, une rencontre, une promenade ou encore un lieu sont les éléments du quotidien qui inspirent l’auteur francophone. C’est depuis la côte Pacifique qu’il transmet ses rumeurs, constituées en chapitres thématiques qui parcourent les cultures, les habitudes et autres aspects de la vie en Amérique.

Plus que tout, l’auteur cherche à rendre compte, dans un monde désormais marqué par le mouvement Black Lives Matter, des modes de vie de la communauté noire sur différents continents. En partant à la rencontre de ses «  frères », en fréquentant le quartier appelé «  Little Ethopia », Alain Mabanckou se fait le porte-parle francophone des Noirs d’Amérique.

« Ici, je me suis fondu dans la masse, j’ai tâté le pouls de ceux qui ont ma couleur, et de ceux qui sont différents de moi, avec lesquels je compose au quotidien. » 

Alain Mabanckou

Un petit guide de la côte Ouest

Au fil des pages, le roman ressemble parfois à un guide touristique de la ville de Los Angeles. Alain Mabanckou partage avec son lecteur, en même temps que ses invités, ses meilleures adresses par quartier. C’est ainsi qu’on découvre The Last Bookshop par exemple, une librairie originale qui met en valeur ses étalages par une disposition artistique de ses livres. On y découvre également des noms de restaurants, de boîtes de nuit ainsi qu’une géographie assez précise de la ville.

Outre les lieux et la géographie de la côte Ouest, l’auteur fait le portrait de la culture américaine. Celui-ci passe par la description de la musique, notamment avec des réflexions qui cherchent un sens communautaire à l’émergence du rap ou encore aux attitudes des passants à Santa Monica. Dans cette volonté de peindre fidèlement la culture américaine, Alain Mabanckou va jusqu’à analyser le fonctionnement de leur politique. En effet, il questionne le système des grands électeurs et cherche le sens ultime de la démocratie telle qu’on l’entend outre-Atlantique.

«  Sur Twitter, Trump est persuadé qu’il n’est pas le président de l’Amérique, un espace trop restreint pour lui, mais de la planète entière, et il veut le lui faire savoir. Trump est le personnage parfait pour un romancier.  » 

Alain Mabanckou

Célébration de la diversité 

Une des volontés de l’auteur, dès les premières pages, est d’insister sur la diversité du peuple américain. Ce propos constitue en réalité la continuité de son argument sur la littérature francophone. Tout au long de son livre, Alain Mabanckou semble chercher à justifier le choix de son sujet et de sa langue d’écriture. Pour ce faire, il construit sa légitimité en écho à l’histoire de son pays d’accueil. Il n’hésite pas à faire référence aux plus grands noms du cinéma hollywoodien et de rappeler leurs origines internationales.

« [Je] me dis qu’une bonne partie de la littérature moderne a été écrite par des individus qui ont, pour des raisons politiques, linguistiques ou simplement de ” tranquillité d’esprit “, ont élu domicile hors de leurs frontières natales, et que je ne fais pas autre chose. » 

Alain Mabanckou

À travers la description de divers épisodes du quotidien, l’auteur interroge la question de la mémoire. Dans un pays de l’immigration, Alain Mabanckou cherche à redonner leur place à certains acteurs de l’histoire. C’est ainsi qu’il profite d’une promenade au Biddy Mason memorial park pour faire le récit de la vie de Biddy Mason, ancienne esclave devenue sage-femme.

D’autres figures célèbres prennent une place importante dans le livre, comme Cassius Clay. Une affiche du boxeur installée sur la balcon où Alain Mabanckou écrit ce livre fait office de guide spirituel dans le geste de création. Toutes ces figures sont autant de modèles et d’inspiration pour notre auteur. Elles permettent de questionner la mémoire et l’identité tout en inscrivant sa continuité et son appartenance extra nationale à une histoire universelle.

Retour sur une vie de transhumance  

Le statut particulier d’Alain Mabanckou lui permet d’avoir un nouveau regard sur le monde. Sa vie, déroulée sur trois continents, lui octroie une légitimité spécifique. Il remarque la différence des enjeux qui meuvent les communautés noires. Quelques chapitres sont dédiés au phénomène congolais de la Sape par exemple, lors desquels l’auteur rend compte du sens que les jeunesses congolaises donnent à l’habit. En parallèle, se dresse le portrait de la misère des peuples immigrés à Los Angeles. Enfin, le souvenir relaté d’une précédente relation permet de dire le fossé qui semble séparer les Noirs d’Amérique et les Noirs de France.

«  Son plus grand choc fut cependant de noter que les Noirs de France ne se saluaient pas lorsqu’ils se croisaient, contrairement aux Noirs américains qui, par un signe complice de tête et du regard, réaffirment ainsi leur appartenance à un peuple dont le passé incite à poursuivre la lutte contre des injustices de plus en plus subtiles.  » 

Alain Mabanckou

Ce triple regard de l’auteur lui permet également de trouver des articulations culturelles entre son pays d’origine et sa terre d’accueil. Ainsi traite-t-il des différentes conceptions de la mort sur les deux continents. À Los Angeles, la culture des films d’horreur et de la célébration d’Halloween se confrontent aux contes et traditions congolaises. Alors que le Suicide Bridge fascine les Américains, Alain Mabanckou confie une phobie des ponts inhérente aux croyances du Congo.

Pourtant intégré dans son nouveau monde, l’auteur confie toutefois les difficultés identitaires qu’il rencontre. Sa position entre les trois continents sont autant une richesse que le signe d’une forme errance identitaire. Rumeurs d’Amérique est le récit d’un écrivain élevé socialement et qui dit pourtant sa filiation avec l’histoire et ses frères.

«  Quand je me rendais à Inglewood – l’agglomération californienne comptant le plus de Noirs –, les «  sœurs  » et les «  frères  » me prenaient pour un «  nègre bourgeois  » pactisant avec les Blancs. Inversement, les Blancs de mon voisinage estimaient que j’avais de la chance d’avoir échappé au destin des Africains-Américains victimes du désœuvrement, livrés à la délinquance et au crime.  » 

Alain Mabanckou

Rumeurs d’Amérique, Alain Mabanckou, Éditions Plon, 19€

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