LITTÉRATUREPetite maison, grandes idées

Petite maison, grandes idées #9 – Éditions Premier Parallèle

© Premier Parallèle

Une fois par mois, la rubrique littérature de Maze vous présente une maison d’édition peu connue mais dont les richesses méritent le détour. Ce mois-ci, rencontre avec Amélie Petit, directrice et co-fondatrice des éditions Premier Parallèle.

Les éditions Premier Parallèle ont été fondées il y a cinq ans par Amélie Petit, éditrice, et Sophie Caillat, journaliste. Quarante-trois (bientôt quarante-cinq) livres plus tard, nous rencontrons Amélie Petit, désormais seule à la tête de cette maison d’édition indépendante dont le mot d’ordre consiste ne pas publier plus d’une dizaine d’ouvrages par an.

« Essais, récit, sciences humaines » peut-on lire sur votre site web. Pourquoi ces genres-là particulièrement ? Quelle place prend la fiction parmi ces grands piliers ?

Il est vrai que nous avons fait le choix affirmé de ne pas publier de fiction mais certains de nos textes sont résolument littéraires. Je pense par exemple aux livres d’Olivier Haralambon ou au livre collectif que nous venons de publier, Pourquoi lire, dans lequel on retrouve de nombreux auteurs de littérature. Outre le fait qu’on ne peut simplement pas tout faire et qu’il est plus raisonnable, quand on se lance, d’avoir une ligne éditoriale plus ou moins précise, il m’a toujours paru très difficile de trouver de très bons manuscrits de fiction – peut-être à tort. Par ailleurs, j’ai moi-même suivi des études de philosophie et j’ai adoré travailler, parfois dans la douleur, la précision de la pensée, le fait d’être amenée à douter, à se contredire soi-même. La plupart de nos livres proposent une pensée en train de se faire. Ça peut procurer de grandes émotions, autant qu’un roman  !  

Nous avons tout de même fait une entorse au règlement en 2016, en publiant dans un volume collectif, En compagnie des robots, une nouvelle de science-fiction, «  Le robot et le bébé  », écrite par le chercheur en intelligence artificielle John McCarthy. Il n’est pas dit que ça ne se reproduira pas  : nous suivons les auteurs de la maison, (à peu près !) où qu’ils nous emmènent.

© Premier Parallèle

Vous faites le choix de ne publier que huit à dix livres par an. Est-ce qu’une grosse sélection s’effectue au niveau du nombre de manuscrits reçus ?

Nous recevons beaucoup de manuscrits. Souvent, ils ne correspondent pas à la ligne éditoriale  ; mais on nous envoie aussi de très bons textes que l’on choisit pourtant de ne pas publier, pour des raisons qui sont propres à la vie de la maison  : le programme est fait, quelque chose dans le ton ne convient pas à l’esprit de Premier Parallèle, nous avons un projet portant sur un sujet similaire, le texte est trop académique, trop léger… Un nombre considérable de critères entre en jeu. Par ailleurs, nous assistons la plupart du temps à la naissance d’un projet et suivons les textes du début à la fin. Le travail d’édition correspond à un long dialogue avec l’auteur.rice, qui peut durer des mois, parfois des années.

Vos auteurs s’interrogent beaucoup sur le futur de nos sociétés – Zoocities de Joëlle Zask, Est-ce déjà demain ? de Ivan Krastev, dans les plus récents. Ielles questionnent les promesses de nos sociétés futures, pourtant touchées par la pandémie de Covid-19. Est-ce un thème qui vous semble important à publier aujourd’hui ?

Ce qui m’intéresse, c’est le fait que ces auteurs voient des choses que je ne vois pas. Voilà qui est proprement fascinant – et qui pousse à l’humilité. C’est très frappant avec Joëlle Zask, par exemple. Lorsqu’elle m’a proposé son premier livre sur les mégafeux, j’en avais à peine entendu parler. Je me suis d’abord demandé pourquoi une philosophe travaillait sur un tel sujet. Puis j’ai compris l’importance du phénomène, et surtout la richesse de la réflexion qu’elle en tirait. Idem avec Zoocities. Plus de six mois avant le premier confinement, elle me dit qu’elle s’intéresse depuis un moment à ces bêtes sauvages qui s’installent dans les villes du monde entier. J’ai dû la regarder un peu interloquée.

De la même manière, Ivan Krastev a très tôt parlé de la pandémie en des termes beaucoup plus surprenants que ce qu’on entend encore souvent aujourd’hui. À mes yeux, son petit livre – écrit entre avril et mai – me paraît plus juste qu’une grande partie de ce qu’on peut lire sur le sujet plusieurs mois après. Pourquoi  ? Peut-être parce qu’il a la fraîcheur du premier regard. Mais surtout parce que ses outils intellectuels ne sont pas les nôtres, en tout cas pas les miens  : ils sont ceux d’un politologue bulgare qui a vécu en premier témoin la chute du mur de Berlin. Pour répondre à votre question – je vois bien que je me suis éloignée  ! –, ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant la capacité visionnaire des auteurs de la maison que leur capacité à rendre sa vue au lecteur  ! Mais ça va bien souvent de pair.

Vous êtes aussi l’éditrice de Laureen Ortiz et son Porn Valley, une enquête sur l’autre grande industrie filmographique californienne : la pornographie. Quels sont vos liens avec le milieu du journalisme, et plus précisément celui du reportage ?

Nous avons publié plusieurs récits journalistiques, dont celui de Laureen Ortiz, et nous continuerons à le faire. Au printemps paraîtra un nouveau livre de Sophie Bouillon, Manuwa Street, qui porte sur Lagos, la fascinante capitale économique du Nigeria dans laquelle elle vit. Le livre raconte l’année qui vient de s’écouler. C’est un texte très fort. Chaque fois que je le lis, je peine à conserver mon regard critique d’éditrice  : je suis immédiatement absorbée par le récit. Ce sont des livres qui, eux aussi, nous montrent la diversité des manières d’être au monde. Avec Laureen, on file à toute berzingue, en voiture, dans la moiteur de la «  Porn Valley  » qui se trouve exactement de l’autre côté d’Hollywood  ; Sophie, elle, nous installe sur un tabouret dans sa rue de Lagos et nous propose de regarder ce qui se passe.

Vous avez créé en mars 2020 le blog laboratoire Parallèle, sur lequel contribuent auteurs et amis de la maison depuis le début du premier confinement. « Le format du blog permet de penser en marchant, de manière très libre, parfois expérimentale  » écrivez-vous. Comment Premier Parallèle a-t-il vécu la pandémie de Covid-19 ? 

On a fait le gros dos et on a attendu que ça passe en travaillant ! C’était un moment paradoxal d’extrême inquiétude et de tranquillité d’esprit, avec du temps un peu long pour travailler, échanger avec les uns et les autres. Le laboratoire parallèle témoigne de ce désir de semer des graines fragiles sur un terreau a priori hostile. Pendant qu’elle écrivait Zoocities, Joëlle Zask a tenu un journal de confinement qui, je crois, l’a aidée à écrire son livre. C’est par ailleurs sur le laboratoire parallèle qu’est né le récit de Sophie Bouillon. Nous nous sommes appelées, elle était à Lagos, le coronavirus arrivait, la plupart des étrangers sautaient dans les derniers avions pour rentrer chez eux. D’ailleurs, Ivan Krastev, qui vit à Vienne, raconte ça dans son livre : lorsqu’il s’est entendu dire, comme nous tous, qu’il fallait désormais « rester chez soi », il a mécaniquement pris ses enfants sous le bras et il est rentré à Sofia, en Bulgarie – « chez lui ». Sophie, elle, a réalisé que « chez elle », c’était désormais Lagos, qu’elle voulait rester. Et elle a commencé à écrire.

Quels sont vos projets pour 2021 ?

2021 est une année très riche ! Nous publions, en janvier, Pourquoi lire, dans lequel treize auteur.rices s’attaquent à cette question. La réponse semble aller de soi, bien sûr, et pourtant on est surpris par la richesse des propositions, tour à tour intimes et théoriques. C’est un genre de livre manifeste, en cette rentrée 2021. C’est aussi une manière de célébrer nos cinq ans de présence en librairie. En février paraît État d’urgence technologique, un essai du journaliste Olivier Tesquet, qui vient compléter la cartographie des dispositifs de surveillance commencée l’année dernière avec À la trace. Olivier montre comment, à la faveur de la pandémie, les acteurs de la surveillance se sont redéployés sur le secteur de la santé. Quant à la suite… Si le virus nous laisse un peu en paix, on prépare des choses réjouissantes. Ce serait bien.

© Premier Parallèle

Journaliste

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