LITTÉRATURE

« L’œil du paon » – Vision grotesque

© Éditions Gallimard

L’œil du paon, premier roman de la journaliste Lilia Hassaine, est paru en format poche ce début 2021, après une publication chez Gallimard l’an passé. L’occasion de revenir sur cet ouvrage, à la croisée des chemins entre conte et thriller, qui tente tant bien que mal de dépeindre l’orgueil et la vacuité du petit milieu parisien. 

L’incipit du roman porte à l’imagination du lecteur l’existence paisible et exotique d’Héra : jeune femme à la vie presque sauvage, vivant seule sur une île paradisiaque au large de la Croatie aux côtés de son père. La jeune fille a déjà quitté son île, s’en allant étudier pour rassurer un patriarche fou d’amour et d’inquiétude pour sa jeune progéniture. Mais sans conviction, puisqu’Héra finit par revenir, retourner s’installer sur l’île aux Paons, où défilent avec entrain les volatiles colorés. 

Mais un jour, Titus, le roi des paons, né en même temps qu’Héra, décède. Décès tragique qui sonne pour le père comme une douloureuse piqûre de rappel  : quiconque vit sur cet île s’expose à de grands malheurs, à l’instar de la mère d’Héra, morte de cette imprudence. Celui-ci décide donc de chasser sa fille de l’île dans son propre intérêt et l’enjoint à s’installer à Paris, dans l’appartement cossu de la tante parisienne de la jeune fille. 

C’est ainsi qu’Héra débarque à Paris et fait la connaissance de sa tante, femme froide jusqu’à l’absurde, et de son fils Hugo, dont elle devra désormais s’occuper. C’est ainsi également qu’elle entame une existence faste et orgueilleuse, que son talent de photographe portera jusqu’au cœur du gratin germanopratin. 

Timide satire

Si le style de l’autrice a le mérite d’être fluide et agréable à lire, on se perd rapidement dans une intrigue qui se dissipe en essayant d’être partout à la fois. Lilia Hassaine conte tantôt l’existence d’Héra avant l’histoire, sur son île aux côtés du père, tantôt son existence parisienne, sans que l’on comprenne bien où elle veut en venir. La malédiction de l’île, qui est pourtant le déclencheur du récit, s’incarnera à travers plusieurs personnages, mais de manière trop lapidaire pour qu’on comprenne vraiment quels sont les enjeux. 

La multitude d’intrigues, qui doit exulter en un final digne d’un roman noir, est trop peu maîtrisée par l’autrice. Les différents segments du récit s’emboîtent mal et le lecteur devine la fin du livre à sa moitié. L’autrice, dont le projet est de faire un roman sur l’orgueil, tente également une satire du petit milieu parisien et bourgeois, que son héroïne critique à l’envie tout en adoptant ses codes. Cependant, comme les nombreux thèmes qui peuplent l’ouvrage, cette satire n’est qu’esquissée et ne laisse au lecteur qu’un vague goût de caricature.

«  Quoi de plus raffiné  ? Leur masque social retrouve de sa brillance, le temps d’une représentation. Ils s’exposent. Ils sont l’art. […] Dans quelques heures, ce couple d’amateurs d’art ira se coucher dans son grand appartement lustré. L’homme déshabillera sa femme. La fera rouler sur le lit d’une main. […] Sans même se soucier des pleurs étouffés dans l’oreiller.  »

Lilia Haissaine, L’oeil du paon

Quand le narrateur parle

L’autre problème de ce roman est la manière dont l’autrice aborde la narration. Celle-ci, présentée comme une voix extérieure au roman, n’aura pourtant de cesse de livrer des jugements. La petite voix ne décrit pas les actions des personnages, ne les met pas scène. Et dépossède du même coup le lecteur de son propre avis sur les personnages, l’empêchant de se les approprier et de s’en faire sa propre idée. À la place, elle dévoie au lecteur l’intégralité de leur intériorité, les réduisant au passage au cliché de leur personnage. 

Cette narration malheureuse rend la plupart des enchaînements d’actions à venir prévisibles, les personnages secondaires caricaturaux et l’héroïne agaçante. En effet, cette dernière provoque manifestement quelque chose chez tous les personnages qui croisent sa route  : la carte du charme exotique et incandescent d’Héra est jouée à outrance, jusqu’à l’écœurement. 

«  Héra est décontenancée. Elle reste de longues minutes, hagarde, sur sa chaise. Elle se repasse le film et se demande ce qu’elle a fait, ou ce qu’il s’est passé pour qu’il s’en aille si vite. Il avait prévenu qu’il était pressé… elle aurait dû être rapide, plus percutante. Mais une heure plus tard, elle reçoit un e-mail.  » 

Lilia Hassaine, L’œil du paon

Dialogues guimauve

La dernière chose qui frappe, dans L’œil du paon, c’est la faiblesse de l’écriture des personnages. Certains dialogues sonnent alors creux, voire faux  : on est parfois sorti de l’histoire tant ils semblent invraisemblables.

À l’image du personnage de la tante d’Héra, femme froide tout de beige vêtue, qui ne fera que lire des romans en silence et exprimer des rictus de dégoût à chacune de ses apparitions dans le livre. Pour une raison qui n’est pas mentionnée, elle traitera sa nièce avec la plus grande méchanceté (alors même qu’elle accepte de la laisser vivre sous son toit) et n’apparaîtra jamais autrement que dans le rôle tristement fade de la bourgeoise aigrie par la vie. 

Le personnage de l’enfant, qui sert de faire-valoir à l’orgueil de l’héroïne, est également écrit dans cette veine. Comme la plupart des personnages, il n’existe qu’en contraste avec Héra, qui occupe toute la place du tableau. C’est ainsi que du haut de ses sept ans, il semble fou amoureux de sa cousine, n’apprécie pas de la voir en compagnie d’autres garçons et lui demande à plusieurs reprises de «  l’emmener avec elle.  » 

«  Hugo vint toquer à sa porte pour la réveiller, comme chaque matin. Quand elle lui ouvrit, il fut stupéfait  : – C’est ton anniversaire  ? lui demanda-t-il les yeux – Non mon cœur… […] – Je sais… T’es amoureuse… Il baissa la tête, l’air triste.  »

Lilia Hassaine, L’œil du paon

Difficile de ne pas ressortir mitigé de cette lecture. Le style de Lilia Hassaine la rend agréable et parvient à rendre fluide un récit qui ne l’est pas toujours. Le livre n’est pas trop mauvais pour être abandonné, mais son intrigue flirte de trop près avec les ressorts narratifs de la sitcom américaine pour que l’on en sorte pleinement satisfait. Une plume qui a encore besoin d’entraînement, en somme.  

L’œil du paon, éditions Gallimard, 18,50 euros.

Journaliste

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