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Pour son premier roman, Les voies parallèles, l’humoriste et chroniqueur Alexis Le Rossignol s’inscrit dans la veine du roman social et dresse le panorama de cette France des régions que depuis Paris l’on targue de « France périphérique. » Un touchant récit d’initiation qui montre les invisibles de la République à travers le regard poétique de l’adolescence.
L’histoire emmène le lecteur dans une bourgade post-industrielle de l’Ouest de la France et suit le parcours d’Antonin, quinze ans, garçon discret et observateur qui s’apprête à vivre les premiers émois de l’adolescence. Son récit est celui d’un quotidien souvent douloureux qui met en scène, sous forme de panorama, les rencontres et les vies des habitants, ces personnages familiers qui font partie intégrante du décor et à propos desquels on s’aperçoit qu’on ne sait rien.
On y voit la misère du quotidien, ceux qui auraient voulu faire de grandes choses, devenir quelqu’un, mais qui se sont finalement heurtés aux limites du déterminisme. Ceux pour qui la méritocratie ne pouvait rien. Et puis il y a Lisa, jeune fille issue de la bourgeoisie provinciale qui fréquente le lycée privé Saint-Paul, la plus jolie de la classe, dont Antonin est amoureux en secret depuis toujours.
La vie des autres
L’auteur dépeint avec douceur cette France des petits villages, des usines qui ferment, des bistrots de quartier, des humiliés à qui il ne reste plus grand chose à travers les mots de son héros Antonin, qui pose sur eux un regard franc et compatissant sans jamais tomber dans le travers du voyeurisme. La simplicité de la langue et son ton doux-amer portent le lecteur dans le quotidien des autres, révèle leurs ambitions souvent contrariées par les vicissitudes de la vie, leurs états d’âmes parfois et leurs déceptions souvent.
Il y a Gilles, le patron du bar du coin qui aurait voulu être quelqu’un de célèbre comme son idole Nicolas Hulot, Johan qui s’est blessé et ne deviendra jamais le prodige du basket qu’il s’apprêtait à être, ou encore Véronique, ancienne jolie fille dont la beauté résonnait comme une promesse, devenue finalement mère isolée.
« Encore un qui s’ignore, pense-t-elle. Elle en est persuadée, le monde est peuplé de gens qui s’ignorent, de ne s’être pas assez regardés dans le miroir, ou bien à la va-vite, juste comme ça, pour détecter un épi et se recoiffer, parce que la vie, ce n’est pas s’admirer. »
Les voies parallèles, Alexis Le Rossignol
L’histoire est d’autant plus prenante que le narrateur, encore adolescent, est à une période charnière de sa vie : plus tout à fait dans la naïveté de l’enfance, mais pas encore sous le coup des désillusions de l’âge adulte. Période à laquelle ceux qui doivent réussir réussissent tandis que les autres, ceux qui restent, s’écrasent contre le grand mur de la vie. Au milieu de ce tumulte, Antonin appréhende le monde avec une lucidité caustique, sans jamais tomber dans le cynisme.
Un parcours balisé
Le roman reprend à son compte les codes bien connus du récit initiatique, qu’il détourne à l’envie : un antihéros discret, très amoureux et en pleine adolescence qui grandira et cherchera les moyens de son émancipation au fil des pages. Des réflexions sur le monde qui l’entoure qui ne sont pas sans rappeler le Holden Caulfield de J.D. Sallinger.
L’auteur s’est parfaitement approprié les codes de ce genre bien particulier de la littérature et le lecteur se surprend à s’attacher aux personnages, à trembler pour eux. Les pages se tournent de manière compulsive et on sort chamboulé de cette histoire.
« Il pense aussi beaucoup à Lisa, obsession qui devient fantasme à mesure que le temps passe, car il craint de ne jamais pouvoir la séduire, ni même parvenir à lui dire ce qu’il ressent pour elle. »
Les voies parallèles, Alexis Le Rossignol
Le roman passe néanmoins à côté de ce qui aurait pu faire son originalité : le schéma du roman social camouflé par un récit initiatique a déjà fait son émergence a plusieurs reprises sur la scène littéraire française. L’exemple de Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 2018) en est le plus éminent et racontait une histoire aux tenants et aboutissants similaires, mais cette fois-ci dans l’Est de la France, autre petit bout de France qui a souffert de la désindustrialisation de ses territoires. Ce schéma narratif se retrouve aussi dans Fief de David Lopez (Seuil, 2017), qui conte la jeunesse d’une zone semi-rurale depuis le point de vue d’un narrateur adolescent qui cherche sa place dans le monde.
Le style de l’auteur, bien qu’il laisse planer une mélancolie particulière et une certaine douceur dans la relation à ses différents personnages, se fond dans un univers déjà trop exploré par d’autres auteurs avant lui sans jamais en révolutionner les codes, prenant ainsi le risque de devenir un poncif.
Cependant, si le livre ne révolutionne pas les codes de la catégorie qu’il emploie, ceux-ci sont parfaitement maîtrisés et la lecture ne perd rien en intensité. En somme, il s’agit d’un premier roman très maîtrisé, peu aventureux, mais qui atteint parfaitement le but qu’il s’est fixé : montrer les invisibles de la République et la réalité de la violence de classe trop souvent ignorée.
Le petit monde littéraire s’est beaucoup demandé si, de la période de confinement du printemps dernier, émergeraient de bons livres : le roman d’Alexis Le Rossignol, qui a été écrit durant cette période, nous apporte un début de réponse.