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Aujourd’hui, 20 janvier 2021, Joe Biden est investi en tant que 46ème président des États-Unis. La nouvelle administration hérite d’une situation chaotique comme rarement le pays en a connu. L’exécutif devra « agir vite » – selon Biden lui-même – pour sortir du « sombre hiver » auquel les américains sont confrontés.
« Il faut séparer ce qui doit être fait maintenant, des autres choses à faire plus tard dans une administration » disait Jack Watson, ancien chef de cabinet du président Jimmy Carter. C’est tout l’enjeu des cent premiers jours de la nouvelle administration qui arrive au pouvoir. Si les démocrates ont finalement réussi à sortir Donald Trump de la Maison-Blanche, ils héritent d’une situation explosive marquée par une crise protéiforme. Comme si leur prédécesseur n’avait cessé de jeter de l’huile sur les braises incandescentes d’une Amérique divisée. La Maison flambe.
Cet été, au moment même où les cas de Covid-19 explosaient aux États-Unis, Joe Biden a donné une série de meeting sous le slogan « Build Back Better » (mieux reconstruire). L’ancien vice-président se présentait comme l’homme de l’unité, aux antipodes de son adversaire. Quelques mois plus tard, l’heure est arrivée pour Biden de passer des paroles aux actes.
100 jours pour mesurer le succès du nouveau chef de l’exécutif
Les cent jours sont de nature à définir une présidence. Ce sont ces premiers mois qui donnent le ton de la politique qui va être menée tout au long du mandat. Le président fraîchement élu dispose des conditions les plus favorables pour appliquer son programme.
La gravité de la situation que Biden doit affronter dès son premier jour dans le bureau ovale est exceptionnelle mais pas inédite. Elle ne va pas sans rappeler celle à laquelle était confronté l’un de ses illustres prédécesseurs : Franklin Delano Roosevelt. Face à la situation dramatique des années 1930, le président Roosevelt a établi une série de mesures qui devaient entrer en vigueur sous un délai de cent jours pour répondre à l’urgence de la crise. Cette pratique traditionnelle de la vie politique américaine est dès lors devenue coutume.
Le duo Biden-Harris entre aujourd’hui à la Maison Blanche avec l’obligation d’agir rapidement et avec vigueur. La nouvelle administration a cent jours pour faire ses preuves et convaincre, sans quoi la politique envisagée pour le reste du mandat risque d’être grandement compromise.
Biden, un président finalement progressiste ?
La comparaison Biden/Roosevelt va bon train dans le camp démocrate. L’aile progressiste du parti espère que le quarante-sixième président des États-Unis mènera une politique de relance économique aux accents rooseveltiens. Joe Biden lui-même n’hésite pas à assumer la comparaison dans sa rhétorique de campagne. « Je crois sincèrement que nous avons atteint un point, une réelle inflexion dans l’histoire de l’Amérique », a-t-il déclaré cet été. « Je crois qu’en cela notre situation n’est pas très différente de celle à laquelle Roosevelt a dû faire face. Je pense que nous avons là l’occasion de créer un changement réellement systémique ».
En accord avec cette prétention, les conseillers de Biden et du sénateur du Vermont, Bernie Sanders, ont travaillé de pair pour dessiner les contours du programme économique qui doit permettre de répondre à la détresse de millions d’américains.
« Je crois que, mis en œuvre, le compromis auquel ces équipes sont arrivées a de quoi faire de Biden le président le plus progressiste depuis Franklin D. Roosevelt »
Bernie Sanders
Symbole de cette bonne entente affichée : une des mesures phares que Biden souhaite réaliser dans ses cent premiers jours est de doubler le salaire minimum fédéral, passant de 7,25 à 15 dollars de l’heure. Cet point âpre de divergence entre Sanders et Clinton en 2016 n’est plus remis en cause par le clan Biden.
Derrière cette mesure, c’est tout un programme économique ambitieux que le président élu promulgue. Biden a récemment présenté un plan de relance de 1 900 milliards de dollars pour les cent prochains jours. L’objectif de ce plan est double : pallier les désastres de la pandémie et relancer l’économie.
Nommé American Rescue Plan, celui-ci a notamment vocation à aider les dix-huit millions d’Américains victimes du chômage. Prolongation des allocations chômage, financement des congés maladie payés en cas de contamination au Covid-19, création d’emplois, lutte contre la pandémie et réouverture des écoles sont au programme du plan.
Au delà de ces premières mesures, c’est tout un programme d’investissement dans l’éducation, l’environnement et la justice sociale et raciale que laisse transparaitre la nouvelle administration. On comprend que les analogies entre Biden et les présidents les plus progressistes de l’histoire démocrate fusent au sein du parti étiqueté à « gauche » du spectre politique américain.
Politique intérieure : endiguer le Covid-19
Les États-Unis sont le pays le plus touché par la pandémie dont les chiffres – avoisinant les 400 000 morts – sont alarmants. D’autant plus inquiétant que le virus est de plus en plus virulent depuis son arrivée sur le continent américain. La semaine dernière a été la plus létale de sa « courte » histoire : 25 259 morts, soit 25 % de plus que n’importe quelle semaine précédente.
La première urgence à gérer pour le gouvernement est donc le combat contre la pandémie. Le président a mis en avant la nécessité d’accélérer le rythme des tests et des vaccinations : seulement 10,6 millions de personnes ont reçu la première dose du vaccin la semaine dernière. Il s’est engagé à vacciner 100 millions d’Américains dans les cent jours, objectif ambitieux tant le rythme de vaccination actuel est loin de cet objectif. Pour se faire, Biden appelle à former 100 000 personnels de santé et à renforcer la coopération entre le pouvoir fédéral et les États.
La crise, une occasion pour « Build Back Better »
La deuxième urgence, liée à la première, est le secours de l’économie. Aux statistiques brutales qui recensent les personnes victimes de la pandémie, s’ajoutent les personnes sans emploi, dont le nombre monte en flèche depuis le mois de mars.
Quelque soit la ligne politique que Biden envisageait au moment de sa candidature, la situation a changé. Le gouvernement fédéral doit répondre aux attentes qui pèsent sur lui, et la première est de venir en aide aux personnes victimes de la crise. Pour cela, il doit directement intervenir dans la vie des citoyens et c’est le sens que prennent les premières mesures économiques annoncées.
Dans un article daté d’octobre pour The Atlantic, George Packer soulignait les conséquences structurelles auxquelles pouvait aboutir cette crise. Le journaliste américain montrait que ce sont ces moments de crises violentes qui provoquent des changements structurels profonds dans une société. « Je crois que nous sommes à un moment charnière de l’histoire ; un de ces moments qui surgissent environ tous les cinquante ans m’a dit le sénateur du Colorado Michael Bennet. Nous avons la possibilité de préparer le terrain pour des décennies de travail progressiste susceptibles d’améliorer la vie de dizaines de millions d’Américains. »
« Seule une crise – réelle ou ressentie – produit de vrais changements. »
Milton Friedman
La ligne politique adoptée par les démocrates semble aller dans ce sens. La crise et l’épouvantail Trump ont poussé le parti de l’âne à forger un accord commun derrière un programme ambitieux. Un programme qui prétend représenter les intérêts de la majorité des américains : lutter en faveur de la justice raciale, combattre le réchauffement climatique, revisiter l’Obamacare, mettre en valeur l’immigration ou bien taxer les riches par exemple.
Deux autres mesures que Biden a promis de mettre en œuvre dès le premier jour sont de nature à donner le ton. La première est de revenir dans les accords de Paris, symbolisant la reprise d’une politique écologique mondiale. La seconde, le début d’un processus de légalisation pour onze millions de sans papiers, « qui contribuent tant à ce pays » a déclaré Biden. Comme si il était important de refermer au plus vite la « parenthèse Trump ».
La conciliation, un horizon politique viable ?
Mais malgré l’image unifiée que présentaient les démocrates aux élections, les tensions sont grandes entre la frange modérée et progressiste. L’augmentation de l’impôt sur les plus riches dont la députée progressiste de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, se fait la porte-étendard, convenu entre Sanders et Biden, n’a pas été annoncé au programme des cent premiers jours.
C’est tout le paradoxe du nouveau parti au pouvoir en quête de sens, qui a vu le Sénat basculer en sa faveur après la double victoire en Géorgie début janvier. Les démocrates ont réussi à obtenir une fragile majorité au Congrès. Une majorité qui accentuera la pression sur les épaules de Biden. Elle pourrait pousser les progressistes de son parti à exiger des résultats plus convaincants. Pour le début de son mandat au moins, Biden ne pourra pas se cacher derrière l’obstruction républicaine au Congrès qui avait tant limité la présidence d’Obama.
Centriste de carrière, Biden doit concilier les tensions s’il veut réellement gouverner. Il a comme défi de revivifier la démocratie et rétablir la confiance dans ses institutions. Un exercice difficile puisqu’il hérite d’une société polarisée entre deux Amériques qui paraissent inconciliables.
Et c’est peut être finalement l’urgence de la situation qui peut lui permettre d’y parvenir. Biden a un atout dans ce combat : il n’a pas d’idéologie, atteste George Packer. « Biden n’a pas de couleur partisane spécifique. Il a toujours été à l’aise au centre de son parti. Le parti s’est déplacé vers la gauche, la réalité s’est déplacée vers la gauche, et Biden les a suivis ».
Les orientations données par le président élu pour les cent jours semblent le confirmer. Une politique sociale et interventionniste se dessine en réponse à une crise qui a profondément ébranlé l’American way of life. Biden saura-t-il fédérer pour mener son programme à bien ? Saura-t-il redonner espoir aux américains ? Parviendra-t-il à sortir les États-Unis de ce « sombre hiver » ? Les questions sont nombreuses, l’enjeu lui, est immense.