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Sélectionné pour le Festival Premiers Plans d’Angers, le premier film d’Azra Deniz Okyay plonge dans une Turquie contemporaine. Dans l’obscurité suit ses habitants, et s’enfonce peu à peu vers un puits sans lumière.
Un renvoi, ou une démission : ainsi débute l’œuvre de la cinéaste turque Azra Deniz Okyay, présentée au festival Premiers Plans. Elle annonce comme une fresque sociale, promettant de mettre en lumière les inégalités et discriminations auxquelles fait face le pays. Didem (Dilayda Gunes) perd son travail de femme de ménage dans un hôtel. Sa faute : avoir dansé. C’est sa passion, son échappatoire, et aussi un péché ultime. Iffet (Nalan Kurucim), est une mère dont le fils emprisonné quémande de l’argent qu’elle n’a pas pour survivre. Ela (Beril Kayar) milite pour sa liberté en tant qu’artiste et femme. Rasit (Emrah Ozdemir) est opportuniste, profitant parfois de la misère des réfugiés syriens pour leur sous-louer des lits trop chers. Ces quatre figures gravitent, se croisent et se rencontrent, dans un fond politisé et une atmosphère étouffante.
La Turquie qui nous fait face est profondément conservatrice. Les femmes doivent se voiler pour passer les check-points, les couples s’embrassent en secret, et la danse et la musique sont aussi illicites que la drogue. Les hommes discutent dans une épicerie du coin où défilent les syriens en fuite. Tout se mélange dans ce récit dystopique où différentes problématiques s’entrechoquent : l’immigration, les droits des femmes bafoués et le peu de considération qu’elles obtiennent dans cette société. Mais aussi la corruption et ce sentiment de révolte qui tremble sous la terre, menaçant d’exploser à tout moment. Mais ce n’est pas un portrait à charge que nous dresse la cinéaste. Au contraire, les problématiques sont annoncées subtilement, surviennent au bon moment. Les enjeux sociaux sont des maillons qui s’enchaînent au fur et à mesure, jusqu’au déclic.
Deuxième volet
Panne d’électricité : un symbole assez parlant pour illustrer le tournant tant attendu. La nation plongée dans un noir total permet au grondement sous-jacent de prendre forme et les révoltes s’emparent de la rue. Didem fait face à un choc intérieur qui la pousse à extérioriser sa colère. Iffet, éconduite par le désespoir, s’embarque dans une mission périlleuse pour trouver sa somme d’argent. La tension monte et le rythme se fait plus effréné. Les sons et bruitages intra diégétiques sont coupés, nous faisant passer de l’intériorité des personnages à des brusques retours au réel. La lumière, au grain particulier mais assez éclatante, se fait de plus en plus tamisée. Sous-sols de danses, soirées en appartement, nuits, puis panne de courant. S’en suivent alors des néons roses et rouges qui viennent accentuer la tension jusqu’alors palpable.
La caméra d’Azra Deniz Okyay est particulière. Elle a cette manière de se rapprocher des visages, de ne jamais donner une vue d’ensemble, mais plutôt de se perdre dans les mouvements de ses personnages. Elle n’est jamais statique, et offre cet élan d’énergie que chaque personnage incarne à sa manière. Le format vertical vient rompre la cadence et donne un recul qu’il est difficile de s’octroyer face à ces plans très rapprochés. La réalisatrice parait appuyer sur la touche pause et accorde volontairement ce rôle de témoin, qui filme derrière une fenêtre avec son téléphone.
Finalement, c’est une œuvre du regard qui définit ce premier long métrage. Regards témoins, regards amoureux, regards malveillants. Mais surtout regard d’une conteuse, qui joue avec la temporalité, qui recrée les scènes d’une journée sous plusieurs angles, insistant bien sur ces destins liés. Le regard artiste sur une photographie esthétique, joueur sur le cadrage et sur une mise en scène particulièrement aboutis. Et nous, nous glissons dans cet univers et assistons à son dénouement, avec ce regard fantôme du spectateur impuissant, mais charmé.