LITTÉRATURE

Top – Les meilleurs livres de 2020

Crédits : éditions Finitude

Année laborieuse et plus ou moins résidentielle, 2020 nous a laissé beaucoup de temps entre les quatre murs de nos chambres. De façon tout à fait subjective, les rédacteurs et rédactrices de Maze ont présenté les livres les plus marquants de cette année : beaucoup de romans et quelques essais féministes bien-sûr.

« Le Cœur synthétique » – Chloé Delaume

Le Cœur synthétique, c’est l’histoire d’Adélaïde. Adélaïde a quarante-six ans et vient de quitter Élias, son dernier partenaire avec qui elle a passé neuf années de sa vie. Adélaïde n’a pas d’enfants parce qu’elle les tient en horreur. En emménageant dans le deux-pièces sordide dans lequel son divorce la contraint à déménager, Adelaïde réalise qu’elle n’a jamais été seule de sa vie et que cette solitude lui est insupportable. Adélaïde va donc tout mettre en œuvre pour se trouver un nouveau compagnon… Dans ce pastiche des romans à la « Bridget Jones », Chloé Delaume raconte avec un humour acerbe et sans concession l’invisibilité des femmes passé un certain âge. Et surtout, comment s’en sortir avec panache dans une société qui impose une date de péremption au corps des femmes.   

Le Cœur synthétique de Chloé Delaume, éditions du Seuil. 18 euros.

Emma Poesy

« Autoportrait en chevreuil » – Victor Pouchet

Dans son deuxième roman, Autoportrait en chevreuil, publié aux éditions Finitude, Victor Pouchet nous offre un récit onirique à plusieurs voix qui charme le lecteur grâce à sa poésie enfantine. Elias depuis toujours est secret, tourmenté par son enfance mystérieuse. Avril, qui l’aime, lui conseille d’écrire pour mettre le feu à ses souvenirs. Dès lors, Elias se replonge dans l’adolescence, se remémore les dégâts provoqués par son père magnétiseur, aussi considéré comme le fou du village. À son autoportrait aux touches impressionnistes s’ajoutent le journal intime d’Avril, retraçant le début de leur histoire, et la confession du père à propos du drame qui hante les esprits de la famille. Un roman séduisant et mystérieusement poétique qui vous enchantera un certain temps.

Autoportrait en chevreuil de Victor Pouchet, éditions Finitude. 16,50 euros

Leo Barraco

« Devenir Beauvoir » – Kate Kirkpatrick

Alors que plusieurs biographes ont déjà tenté de dresser le portrait de l’immense Simone de Beauvoir, Kate Kirkpatrick met en valeur leur incomplétude et la nécessité d’en écrire une nouvelle. La découverte de nouveaux cahiers de jeunesse de l’intellectuelle – ainsi que le regard neuf d’une époque moins misogyne – mettent en lumière de nouveaux aspects de la vie et de la pensée de Beauvoir, et surtout lui rendent une autonomie vis-à-vis de la pensée de Jean-Paul Sartre, que son siècle s’est obstiné à lui refuser. Une lecture d’autant plus essentielle que Simone de Beauvoir, tant par son intelligence que son art de vivre, est une source d’inspiration inépuisable pour les femmes et les hommes d’hier comme d’aujourd’hui.

Devenir Beauvoir de Kate Kirckpatrick, éditions Flammarion. 26 euros.

Emma Poesy

« Chavirer » – Lola Lafon

Comme beaucoup d’adolescentes, Cléo rêve de briller et d’être célèbre. Plus que tout, elle rêve de danser. Alors quand une élégante femme propose à la jeune fille de gagner la bourse d’étude de la Fondation Galatée, ni Cléo ni sa famille ne se méfient de ce qui est en réalité un réseau pédophile. En construisant son récit en kaléidoscope – passé la première partie, chaque chapitre présente une rencontre de la vie de Cléo – Lola Lafon nous présente un roman tout en douceur et en retenu. À la fois bourreau et victime, tiraillée par la culpabilité, Cléo essayera de vivre avec ses failles : en tombant amoureuse, en dansant, en s’effaçant, en se reconstruisant et surtout en chavirant.

Chavirer de Lola Lafon, chez Actes Sud, 20,50 euros

Anaïs Dinarque

« L’énergie Vagabonde » – Sylvain Tesson

Sylvain Tesson, l’écrivain aux mille périples, semble n’être possédé que par deux démons : l’aventure et sa mise en récit. Écrivain aux multiples prix, journaliste, chroniqueur, mais également ermite, vagabond et “stégophile” (passion de l’accès au toit, qui lui vaudra une paralysie définitive de la face après une chute), sa parole gouailleuse et poétique résonne d’autant plus en cette année de confinement. De ses périples en Europe, en Sibérie, en Asie, il remplit des carnets, quelques croquis, qu’il ramène pour composer ses romans. C’est un adepte du journal intime. L’énergie vagabonde est un recueil de ses journaux et reportages de voyage. “L’énergie vagabonde, c’est la traversée de l’éphémère, perpétuellement renouvelé” dit-il. Une formule mélancolique, pour le voyageur (et le lecteur) qui devine dans l’inévitable retour une solitude parfois plus pesante que celle du périple en lui-même. Sylvain Tesson nous fait ainsi nous interroger sur nos attaches, sans lesquelles le départ serait impossible, et sur la quête d’identité qui réside dans la réalisation du voyage.

L’Energie vagabonde de Sylvain Tesson, éditions Robert Laffont, 32 euros

Benjamin Mazaleyrat

« Le sel de tous les oublis » – Yasmina Khadra

Yasmina Khadra est né de la conciliation entre une carrière d’officier Algérien dans la lutte antiterroriste et une vocation d’écrivain découverte à l’adolescence. Mohammed Moulessehoul prendra en effet les prénoms de son épouse comme pseudonyme pour déjouer la censure militaire. Le sel de tous les oublis est son dernier roman, qui se déroule cette fois dans l’Algérie post-colonisation. Adem, instituteur aux environs d’Alger, prend la route sans ressources après que sa femme l’a quitté pour un autre homme. Croiseront sa route d’autres rescapés comme lui, de la guerre, de l’amour, ou de la vie, jamais avares de conseils et de formules prophétiques. Malgré une quête de rédemption, Adem devra brutalement faire face à ses fantômes et aux séquelles de la guerre d’Algérie. Mais Yasmina Khadra se garde bien de tout jugement : d’une écriture fluide et sans fioritures, il laisse ses personnages se débattre avec leur fardeau. Il offre ainsi un tableau réaliste de l’Algérie moderne et exerce une fois de plus ses fabuleux talents de conteur

Le sel de tous les oublis de Yasmina Khadra, éditions Julliard, 19 euros

Benjamin Mazaleyrat

« Nous sommes maintenant nos êtres chers » – Simon Johannin

Simon Johannin signe un recueil de poèmes puissant où se dessinent tout en flashs et en blessures la ville contemporaine et ceux qui y errent la nuit dans les volutes de fumée, les trainées d’urine et les taches de sang. Un regard lucide, explosif, embrase la page et dévoile, par bribes arrachées, des poèmes-coup de poings qui se succèdent et se répondent comme de petites bombes cachées dans des écrins de velours. Et parfois, c’est un peu de ce velours que l’on retrouve à la lueur de mots d’amour, sans pour autant ôter à la nuit ou à la ville leur obscurité quotidienne : « J’ai mélangé le noir de tous ces ciels / Qui nous ont vus se pencher l’un sur l’autre. »

Nous sommes maintenant nos êtres chers de Simon Johannin, éditions Allia, 9 euros.

Lisette Pouvreau

« Rumeurs d’Amérique » – Alain Mabanckou

Auteur francophone né au Congo, ayant vécu en France et installé aujourd’hui à Los Angeles, Alain Mabanckou revient sur le triangle géographique de sa vie. Cette position toute particulière lui permet de prendre un recul sur la situation des communautés noires aux États-Unis. Le.a lecteur.trice est transporté.e dans des territoires méconnus, dans des villes lointaines qu’il parcourt à travers les yeux de l’auteur. Entre grandes conclusions et exemples plus précis, ce livre est une invitation au voyage, juste ce qu’il nous fallait en cette année 2020.

Rumeurs d’Amérique d’Alain Mabanckou, éditions Plon, 19 euros.

Léa Tanchot

« Betty » – Tiffany McDaniel

Long femmage de la vie de sa mère, l’autrice expose une histoire des Etats-Unis filant au travers de la seconde moitié du XXème siècle. Gros pavé coloré, Betty sert un portrait folklorique fait de mythes et légendes Cherokee dont le lien avec la nature apportent de la douceur. Un goût sucré qui reste dans la gorge lorsque la famille se trouve brisée par des drames cachés sous une estrade, recrachés sur de petits morceaux de papier.

Betty de Tiffanny McDaniel, éditions Gallmeister, 26 euros.

Marthe Chalard-Malgorn

« La Petite dernière » – Fatima Daas

Mais qui est-elle Fatima Daas ? Un personnage fictif gravé sur une couverture de papier glacé ? La voix nouvelle d’une autrice qui a déconstruit le sempiternel ego de l’écrivain ? Il s’agit, en tout cas, du long monologue d’une jeune femme revendiquant la pluralité de nos identités françaises. La Petite Dernière expose dans une simplicité déconcertante de poésie les récits croisés de vies refusant de se plier à la voracité monochrome du républicanisme.

La Petite dernière de Fatima Daas, éditions Noir sur blanc, 16 euros.

Marthe Chalard-Malgorn

« Le Génie lesbien » – Alice Coffin

La journaliste militante Alice Coffin revient dans son essai sur les enjeux d’invisibilisation des lesbiennes dans l’espace public mais surtout dans les médias. En remettant en cause la toute-puissance du concept de « neutralité journalistique », elle invite les personnalités françaises à en finir avec la placardologie et à ne pas avoir peur d’afficher leur orientation sexuelle. Publié au moment de la rentrée littéraire, Le Génie lesbien s’est imposé comme un incontournable de l’année 2020. À retrouver aux éditions Grasset.

Le Génie lesbien d’Alice Coffin, éditions Grasset, 19 euros

Léa Tanchot

« Je suis un monstre qui vous parle  » – Paul B. Preciado

Je suis un monstre qui vous parle est le discours présenté par le philosophe Paul B. Preciado un jour de novembre 2019 devant une association obtuse de 3500 psychanalystes. En quelque 128 pages directes et acérées, l’auteur accuse, dénonce et propose. Il nous parle de sa construction en tant qu’homme trans, de ses premières lectures théoriques queer ou de la violence de la société hétéro-patriarcale et coloniale face à sa transition. Une réflexion essentielle pour mieux comprendre la « transformation actuelle de l’épistémologie sexuelle et du genre ».

Je suis un monstre qui vous parle de Paul B. Preciado, éditions Grasset, 9 euros.

Anaïs Dinarque

« Moi les hommes je les déteste  » – Pauline Harmange

La misandrie n’est pas un gros mot. Voilà le constat défendu par Pauline Harmange dans son essai court intitulé Moi les hommes je les déteste. Menacé de censure, ce livre n’est pas si extrême que certain.es pourraient le croire. Les hommes seront toujours en période d’essai dit l’autrice puisque même ceux que l’on aime peuvent être violents envers nous. En réalité, détester les hommes ne signifie aucunement s’attaquer à eux mais plutôt placer au centre de nos vies notre désir, notre perception et nos amies choisies. S’il ne fallait retenir qu’un mantra de cet essai, ce serait : Ayez la même confiance qu’un homme médiocre sur LinkedIn.

Moi les hommes je les déteste de Pauline Harmange, éditions du Seuil, 12 euros.

Marthe Chalard-Malgorn

« C’est comme ça que je disparais » – Mirion Malle

Avec C’est comme ça que je disparais, Mirion Malle saisit d’un trait expressif et assuré la vie d’une jeune adulte sombrant progressivement dans la dépression. Relatant de manière très juste la difficulté à être au monde, l’autrice nous livre une bande-dessinée qui devient miroir d’une génération entière. Abordant des sujets aussi difficiles que la dépression, l’anxiété et les violences sexuelles, C’est comme ça que je disparais n’en reste pas moins un livre lumineux qui évoque également le sentiment de sororité avec beaucoup de justesse. Un ouvrages importants, à glisser entre toutes les mains pour susciter l’espoir.

C’est comme ça que je disparais de Mirion Malle, éditions La ville brûle. 19 euros.

Charlène Ponzo

Etudiante en master de journalisme culturel à la Sorbonne Nouvelle, amoureuse inconditionnelle de la littérature post-XVIIIè, du rock psychédélique et de la peinture américaine. Intello le jour, féministe la nuit.

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