© Thomas Soulet
Rencontre avec l’artiste aux multiples facettes Gystere pour parler de son premier album A Little Story sorti le 20 novembre dernier. Découverte d’un artiste extraterrestre, fan de science-fiction, qui a pourtant bien les pieds sur Terre.
Adrien Peskine, aka Gystere, est un vrai touche à tout. Dessinateur, musicien et réalisateur, l’artiste s’autoproduit et a créé un monde bien à lui. Après un premier EP WOMXN/Time Machine sorti en mai, des clips réalisés pour lui et quelques amis (DjeuhDjoah &Lieutenant Nicholson, Sunset Rollercoaster), il revient avec un album science-fiction intitulé A Little Story. Signé sur le label Sodasound, on découvre un opus aux sonorités funk, psyché et groovy. Il nous emmène dans la galaxie Gystere où les Funkadelic, Parliament et Stevie Wonder guidés par Michael Jackson formeraient une sorte de groupe intergalactique qui jouerait de planète en planète. Un voyage sonore qui à pour but de diffuser un certain message. On y entend un album engagé qui nous parle de violences policières, de racisme et de féminisme. C’est donc à Issy-les-Moulineaux que nous avons pu embarquer dans le vaisseau du capitaine Gystere pour une discussion plus que réelle, ou presque.
Ton album s’intitule A Little Story. Qu’est-ce qu’elle veut raconter cette « petite histoire » ?
Gystere : A Little Story en fait c’est une vie. Je peux te le résumer avec cette phrase mantra écrite sur la tranche de l’album et dans une de ses chansons. Je te le traduis, ça fait « une petite histoire s’arrête chaque jour, chaque minute, sous des drapeaux, sous des bêtises, sous des keufs, sous la justice alors est-ce qu’on devrait faire de l’auto-stop pour voir le soleil d’une autre planète ? », en gros est-ce qu’il faut qu’on se casse ? C’est prendre du recul sur la vie, car on entend en permanence la mort de tant de personnes ici ou là-bas donc chaque minute, chaque seconde c’est plein d’histoires qui s’arrêtent et souvent à cause de problèmes gouvernementaux, ou des problèmes internes avec la police, etc… Puis ça s’appelle A Little Story mais en même temps c’est un album qu’on a mis 7 ans à faire et avec du recul c’est assez poétique.
Du coup on vivrait comment dans le monde idéal de Gystere ?
En soit, je trouve ça dommage qu’on ne puisse pas vivre notre vie sans avoir des soucis et juste vivre, car il y aura toujours quelqu’un, ou un groupe de personnes, qui en profiteront. Moi, je voudrais juste qu’on mange, qu’on se marre, qu’on ne se prenne pas la tête comme des fleurs, des animaux, même si eux s’entretuent, mais qu’il n’y ait pas tous ces trucs de savant fou.
Ton album est tout de même engagé, dans ton clip WOMXN, ainsi que dans le clip de Strange Breathin, tu dénonces les abus et les violences policières avec par exemple la police qui se retrouve face à Jane Dark, une super héros afro-féministe. D’où t’es venu l’idée et elle représente quoi pour toi cette héroïne ?
Tout d’abord, on est deux à avoir fait ce court métrage. C’est Eden, co-réalisatrice, qui joue tous les personnages du clip, Jane Dark, le Dauphin, les keufs sauf son petit frère qui se fait contrôler. Mais moi, j’ai vraiment une expérience récurrente avec la police car depuis toujours ils contrôlent, ils contrôlent aussi au faciès et j’en ai fait les frais. J’ai tout eu, les contrôles, les fouilles, les gardes à vue alors que je n’ai jamais rien fait de pire qu’un graffiti, qui est peut-être un des plus gros délits de ma vie. J’ai vraiment un Méchant récurrent dans ma vie c’est les keufs, c’est ceux qui m’ont le plus emmerdé. Il n’y a pas d’autre catégorie de métiers, de gens, de classes qui m’ont le plus fais chier. Peut-être les contrôleurs aussi. (Rires) Et du coup, le jour où j’ai choisi de faire de la science-fiction j’allais pas choisir des extraterrestres qui m’ont rien fait.
Sinon pour ce qui est de la lutte afro-féministe, ça vient plus de ma mère et Eden qui sont plus touchées et concernées. Le lien entre les violences policières et les femmes est que c’est souvent les petites et grandes sœurs, les mères qui mènent le combat. Comme par exemple Assa Traoré ou Winnie Mandela. Des personnes plus ou moins invisibles qui tiennent un peu tout. Donc effectivement WOMXN montre une force dont on ne parle pas chez les femmes. Et moi mon travail ce n’est pas de leur en parler, car elles le savent très bien, mais c’est plutôt de me remettre en question et d’en parler autour de moi.
Tu parlais de ce personnage joué par Eden, le dauphin. On pourrait penser qu’il sort directement d’un film de science-fiction. Pourquoi avoir choisi un dauphin ?
Il pourrait y avoir des explications après coup mais techniquement c’est plus pour le côté manga, avec des animaux qui sont humanoïdes et infiltrés dans la vie. C’est aussi pour donner de la matière de science-fiction comme avec un Chewbacca ou dans Thriller, de Michael Jackson, où il se transforme en chat. Il y a toujours ce côté humanoïde qui apporte de la texture. Ce personnage, c’est le personnage secondaire de WOMXN, on cherchait un animal cool. Eden, qui joue le dauphin, a grandi rue du Dauphiné à Massy et puis le masque était vraiment chouette quand on l’a vu. Ça apporte une couleur assez marrante.
Tu dessines et réalise tes propres clips, et on ressent dans ta musique un impact de ces deux arts. On pourrait clairement se croire dans un dessin animé de science-fiction. D’où vient cette obsession pour le film et la bande dessinée ?
Ça vient de l’ennui, pour l’éclate, les vacances. On nous a mis des crayons dans la main comme beaucoup d’enfants. Ma famille est très artistique, très photo, très dessin, très peinture. Ma mère fait de la sculpture en bois et mon père est professeur d’architecture et passionné de photo. On est trois enfants et nos parents ne voulaient pas nous mettre devant la télé donc c’est devenu instinctif le dessin. On regardait les Chevaliers du Zodiaque puis on mettait pause afin de redessiner les scènes. C’était vraiment comme ça qu’on s’occupait. Puis plus grand, en faisant de la musique, j’ai eu besoin de chose que je savais déjà faire pour mes pochettes et mes clips afin de m’autoproduire. Pour rigoler, on faisait des petits films d’animation avec Anthony, mon petit frère, puis quand j’ai bien maitrisé Cubase puis Photoshop je me suis rendu compte que le film c’était l’assemblage des deux. Le dessin et la musique. Du coup, les clips que l’on peut voir je les ai faits naturellement grâce à mes deux bagages de dessinateur et de musicien. Une sorte de triangle maléfique. (Rires)
On ressent beaucoup d’influences dans ta musique. Tu affiches même dans tes clips un poster de Stevie Wonder dans Strange Breathin. Qui sont tes plus grandes influences et elles représentent quoi pour toi ?
Quand j’étais petit, j’ai vu un groupe qui s’appelait Les Étoiles, groupe brésilien installé à Paris dans les années 80. Leur musique était très harmonieuse, très bossa, très Brésil, et ils reprenaient aussi de vieux standards de chez eux, genre Baden Powell. Mais ce qui était marquant, c’était la lumière, les tenues de scène, le maquillage un peu drag avec beaucoup de paillettes. Et ça, c’est ce qui m’a donné envie. Puis tu mélanges tout ça avec Michael Jackson et son film Moonwalker, Earth Wind and Fire, X-OR, et les Chevaliers du Zodiaque. Je vois la scène comme un divertissement, tu proposes un voyage. À moins que le musique soit vraiment bien, je vais avoir du mal à accrocher avec un artiste en jean délavé, avec du gel, qui arrive sur scène et qui joue juste ses chansons. L’image doit être au service de la musique live pour moi.
En parlant de live, ta formation le Gystere Live Gang contient plusieurs musiciens. Comment ça se passe quand vous mettez tout ça en forme pour ensuite l’adapter sur la scène alors que tu es plus un adepte du Do It Yourself ?
Comme l’album a été fait sur 7 ans, le live a pas mal changé. En studio, on joue les chansons comme je les ai composées. Puis on insère les instruments que je ne maitrise pas comme par exemple le saxophone, joué par mon frère, ou des guitares bien funky par Mikaluna, Ludwig ou Gaby, car je suis très mauvais guitariste. Puis pour ce qui est du live, j’ai tendance à faire des pré-maquettes de répétition, je ne sais pas si des gens font ça. (Rires) Je vais appeler le batteur Dharil pour enregistrer toute la batterie de l’album puis avec les breaks qu’on fera exprès en live entre les chansons. Puis la bassiste Anso va venir enregistrer toutes ses parties de basse, et même chose avec les autres musiciens. J’enregistre piste par piste pour avoir une version un peu live qu’on peut retravailler ou modifier à notre guise.
Avec le Gystere Live Gang tu parles dans certaines interviews de Live continu. Pourquoi ce choix ?
Parce que je ne sais pas parler au public. Déjà je chante en anglais, et du coup je trouve ça bizarre personnellement. J’aime bien les albums où tu es dans un seul univers du début à la fin. Je suis perturbé quand d’un morceau à l’autre tu entends une autre productrice ou producteur, un autre studio, on dirait une compile Itunes ou un Best Of. Après ça n’empêche pas les chansons d’être bien mais pour moi c’est important qu’il y ait une cohérence sonore. Mon rêve c’était de faire ça, tu sais des albums qui ne s’arrêtent pas, un peu mixtape, qui s’enchainent. Mais en plus de ça un album qui continue rythmiquement, avec des sonorités similaires comme un refrain de la première chanson qui revient dans la septième. Et du coup en concert ça sonne comme ça. Ça vient d’ailleurs du concert que mon album est en continu.
Pour finir, un de tes morceaux s’appelle Time Machine, si justement il existait une telle machine en ta possession tu en profiterais pour faire quoi ?
Oulà ! Déjà est-ce qu’elle fonctionne bien ? Est-ce qu’on peut revenir dans le passé sans être bloqué ? Peut-être que je corrigerais des petits trucs très personnels mais après est-ce qu’on peut corriger de gros évènements ? Sauver des gens ? Car c’est ça tout le dilemme des voyages temporels. Est-ce que tu sauves l’humanité ? Est-ce que tu deviens une meilleure personne ? C’est assez philosophique comme question (rires). Ce n’est pas si simple car comme tout le monde on a envie de sauver la Terre mais est-ce que ça n’engrènerait pas d’autres effets négatifs ? Un effet papillon. J’ai lu une théorie sur la Française des jeux et l’Euro million comme quoi c’était des organismes qui avaient été créés pour capturer les voyageurs temporels. Car la première chose auxquelles tu penses, si tu peux voyager dans le temps, c’est de remonter le temps avec les bons numéros. Donc peut-être que ça existe déjà et que du coup il ne vaut mieux pas se faire remarquer. (Rires) Donc si j’ai une machine à voyager dans le temps je ferais des trucs discrets, mais bon je pense que c’est un fantasme et que ça fait partie d’un monde parfait, un peu comme dans Minority Report avec cette police qui peut prévoir les meurtres.
Gystere sera en concert avec son Gystere Live Gang le 10 février 2021 au New Morning.