LITTÉRATUREPetite maison, grandes idées

Petite maison, grandes idées #8 – Éditions do

© Editions do

Une fois par mois, la rubrique littérature de Maze vous présente une maison d’édition peu connue mais dont les richesses méritent le détour. Ce mois-ci, nous finissons l’année 2020 par un entretien avec Olivier Desmettre, fondateur des éditions do.

Après avoir été libraire, puis restaurateur-libraire, puis dirigé pendant dix ans un festival littéraire – consacré surtout aux littératures étrangères – devenir éditeur était pour Olivier Desmettre comme une évidence. Glisser son nom sur la couverture avec ces deux lettres seulement, qui ont de plus une signification dans de nombreuses langues, était en phase avec les formes courtes et signale sans ostentation combien ces choix de textes le représentent. Comme il s’agissait également de concevoir un contenant à la hauteur du contenu, de faire simplement de beaux livres, élégants, il lui était impossible de ne pas envisager de travailler avec Mr Thornill, graphiste de talent. 

Sur votre site on peut lire que les éditions do «  sont nées du désir de faire entendre des voix nouvelles, venues de différentes langues, en particulier en regardant du côté des formes courtes…  ». Pourquoi tournez-vous le dos à la littérature française en tant qu’éditeur ? Votre désir est-il né d’une insatisfaction ?

Il ne s’agit en aucune manière d’un rejet, puisque le paradoxe est que je n’ai publié, comme tous les éditeurs de littératures étrangères après tout, que des textes écrits en français  ! Cette orientation première était liée surtout à mon parcours, qui m’avait donné l’occasion de rencontrer des écrivains de nombreux pays, mais aussi traductrices et traducteurs. Lors de ma dernière année à la direction du festival, j’ai eu l’occasion de participer à la naissance d’un recueil de textes, «  Des écrivains et les lettres du monde  », qui comptait de nombreuses traductions, et j’ai aimé cet échange entre celle ou celui qui traduit, et celui qui publie. D’où mon désir de créer une maison d’édition qui irait d’abord de ce côté-là, pour travailler avec des traductrices et traducteurs que je connaissais… Même si je n’avais envisagé aucun texte particulier à la création de la maison.

Votre catalogue comporte des auteur.e.s d’un peu partout dans le monde, aussi bien d’Argentine que de Slovaquie, des États-Unis que d’Israël. Comment sélectionnez-vous vos livres ? Vos choix nécessitent-ils une totale confiance envers les traducteur.ice.s ? 

J’ai donc cherché des textes venus de langues pour lesquelles je connaissais traductrices et traducteurs. S’il m’est arrivé d’en faire lire certains pour avoir un avis, je les ai trouvés d’abord moi-même, en me perdant sur la toile et en laissant venir, souvent par l’intermédiaire de notices en anglais (seule langue que je puisse à peu près lire), l’étincelle qui signifiait  : «  C’est pour moi, je veux le faire traduire… pour en savoir davantage  ». Mais cette volonté d’aller vers des littératures moins fréquentées par les éditeurs français faisait aussi partie de la genèse de la maison. Par esprit de résistance. De contradiction même. Pour ne pas publier que la langue dominante, l’anglais justement. Même si publier du polonais ou du monténégrin complique parfois la promotion des textes. J’ai pourtant été récompensé sans attendre grâce au succès totalement inespéré d’une traduction du tchèque, qui n’était que ma troisième publication. 

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© Do catalogue

Ensuite, j’ai commencé à recevoir régulièrement des propositions, venues d’au moins toutes les langues européennes – ce qui est une chance, et une frustration –, et il m’est arrivé à plusieurs reprises d’en publier. Il est évident que la confiance dans le travail des traductrices et des traducteurs est une nécessité, puisque je n’ai accès qu’au texte français, le seul à partir duquel nous pouvons travailler ensemble. Je dois l’envisager, cette confiance, à tout le moins dans leur connaissance de la langue d’origine, mais aussi dans leur maîtrise des difficultés et des subtilités de la langue française. C’est l’instrument qui leur permet, en réalité, de jouer de tous les registres pour donner l’impression de lire un écrivain slovaque, portugais ou grec.

Avez-vous une affinité avec une littérature en particulier ? 

Je répondrai plutôt à la question  : avec quelle littérature n’avez-vous pas d’affinité. Je me suis rendu compte très vite, en devenant éditeur, que je n’avais aucune attirance pour le romanesque, pour les textes qui peuvent se résumer à une intrigue qui transpire son processus de fabrication. Le genre de littérature aux coutures apparentes, au petit théâtre de jeux de rôles et de rebondissements créés pour l’occasion. Ce romanesque omniprésent, parce que le roman est le genre dominant depuis longtemps déjà, qui a fabriqué une partie de notre imaginaire. En tant qu’éditeur, je fuis autant que possible ces textes. Pourtant, en tant que lecteur, je peux lire certains d’entre eux (et même y prendre du plaisir). Se faire du bien en se faisant du mal, cela s’appelle comment déjà ?

Quel lien établissez-vous entre l’écriture et la traduction ?

La traduction est une écriture, celle ou celui qui traduit, s’il n’est pas auteur, est sans contexte un écrivain. Il suffit d’observer comment il ou elle compose avec la langue dans le passage d’une langue à l’autre. Il me semble même reconnaître sa qualité dans sa capacité à reconstruire complètement une phrase dont la musicalité ne lui paraît pas bonne, dont le sens n’est pas suffisamment près du texte original, dont la syntaxe mérite d’être retravaillée. Une éditrice me faisait remarquer combien souvent les plus jeunes – moins expérimentés, plus intransigeants sur leurs positions – étaient moins capables de remettre en question leur travail : rien de plus étonnant néanmoins, et pour cela il faut bien connaître les méandres de sa langue. Il est fréquent de voir une traductrice ou un traducteur réécrire complètement une phrase, la modeler d’un autre point de vue, pour lui donner une forme plus en relation encore avec le texte original. Une traductrice espagnole, qui avait suivi un cursus de traduction, me disait qu’elle recommencerait en faisant plutôt des études de philologie, pour mieux appréhender encore sa langue natale.

Sur votre site vous citez Dorothy Parker affirmant que «  la littérature visiblement se mesure au mètre  ». Pourquoi tant valoriser les formes courtes dans votre ligne éditoriale ? Y trouvez-vous la nouveauté en littérature tant recherchée ? 

«  Short stories are sexier than novels because : They don’t ask for a commitment.  » Je vous laisse le plaisir de la traduction. Il est plus difficile de faire court, et d’y réussir, que de faire «  le grand roman américain  », ou ce qui lui ressemble partout ailleurs. J’aime beaucoup ce plaidoyer en faveur de la forme courte d’une nouvelliste américaine qui imagine l’écrivain américain à sa table, incapable de s’arrêter d’écrire parce qu’il prend conscience de la chance qu’il a d’être connu et reconnu comme un romancier. Il ne s’agit pas pour moi d’opposer la nouvelle au roman, même s’il est possible que la première offre davantage de possibilité de création que le second. Il y a des textes courts qui ont autant de densité et de profondeur qu’un roman de plusieurs centaines de pages. Cela est vrai chez Jean Stafford ou Noelle Q. de Jesus, comme chez Alice Munro, par exemple. Et d’autres qui ont une puissance imaginaire que ne permet pas souvent le roman, vous faisant basculer en quelques phrases dans un univers perturbant, absurde, décalé, onirique… Comme chez Sarah Rose Etter, Edgar Bayley, Joanna Walsh, mais aussi, courts romans ou longues nouvelles, chez João Gilberto Noll ou Balla. Il n’y a d’ailleurs pas de telles précisions dans les livres des éditions do. 

Vie et mémoire du docteur Pi d’Edgar Bayley chez do éditions

Que pouvez-vous nous dire de vos deux livres à paraître début 2021 ? 

Fini cette fois de tourner le dos à la littérature écrite directement en français  ! En janvier avec Chasser les ombres de Lamia Berrada-Berca, qui ausculte les ondes de choc que provoque, au sein de sa famille, la réclusion volontaire d’un adolescent à Tokyo. Cet ouvrage oblige chacun et chacune à interroger sa propre existence, et les raisons en particulier qui ont conduit son père, français, et sa mère, japonaise, à se rencontrer et vivre ensemble au sein d’une société si codifiée. Il s’agit d’une fable impressionniste explorant méticuleusement les conséquences de ce séisme, dans une langue d’une grande précision et d’une grande beauté. Et puis en février, nous avons prévu un retour vers un recueil d’histoires, subversives, absurdes et tendres à la fois, dont je serais bien incapable de vous donner la clef, avec Lait sauvage, de l’américaine Sabrina Orah Mark (traduit de l’anglais par Stéphane Vanderhaeghe). Il faut lire ce recueil avec un esprit malléable qui ne cherche pas à tout comprendre, car il est composé de multiples variations poétiques de contes de fées modernes, un peu comme si les frères Grimm rencontraient Samuel Beckett dans son maillot de bain à la plage. Gardez l’image en tête en les lisant.

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Lait sauvage de Sabrina Orah Mark chez do édition

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