CINÉMA

Paul Vecchiali #4 – « Corps à cœur »

© Shellac Sud

Quatrième incursion dans l’oeuvre de Paul Vecchiali. Sorti en 1979, Corps à cœur est plus aimable que les précédents films du cinéaste et s’affirme comme un plongeon sublime dans le mélodrame.

En 1978, Jean-Claude Guiguet gagne deux jours sur le plan de travail du film Les Belles manières. Paul Vecchiali demande aux techniciens de travailler sur Corps à cœur pendant ces deux jours, ce qui évite aux cinéastes de dépenser de l’argent. Les plans tournés lors du dernier jour de tournage du film de Guiguet ont été perdus par un technicien. Cette deuxième péripétie a permis de tourner une semaine supplémentaire pour Corps à cœur sans frais grâce au soutien de l’assureur. C’est ainsi que Paul Vecchiali a pu tourner ce projet qu’il traînait depuis quatre années mais dont personne ne voulait. Comme il le dit en entretien, ne pas tourner ce film aurait entraîné sa mort.

Pierre est un garagiste de formation, il réside dans une piaule d’une petite rue parisienne. Pendant un concert dans une église, il tombe amoureux d’une femme plus âgée que lui. Il a la trentaine, Jeanne-Michèle, vingt années de plus. C’est le Requiem de Fauré qui ouvre le film et qui noue une relation complexe entre les deux personnages. Bourgeoise établie, elle vit seule dans son grand appartement qu’elle occupe quand elle ne travaille pas dans sa pharmacie. On va les suivre sur le tempo imposé par Fauré qui nous emmène droit vers la tragédie. C’est Pierrot qui la regarde en premier, c’est elle qui va fermer les yeux la première.

L’art de la dialectique

Le début de Corps à cœur donne l’impression d’une suite directe à Change pas de main. Melinda (Myriam Mézières) déambule dans les rues avant d’arriver au garage. Elle porte un manteau léopard, soigne sa présence dans un environnement où le bruit et la poussière sont omniprésents. Le rapport de classe ne semble pas jouer dans les relations sexuelles entretenues par Pierre. Sa belle gueule lui vaut d’être vite repéré dans cette rue qui grouille, où des vieilles dames sortent leurs poubelles plusieurs fois par jour.

L’environnement de Pierre, c’est la promiscuité, c’est la manière de désigner ses voisins comme des membres de sa famille (le personnage de Sonia Saviange est comparé à sa deuxième mère). En face, chez Jeanne-Michèle, il y a de l’espace et les gens se croisent sans se parler, elle demande à ne pas être dérangée par sa salariée lorsqu’elle se rend au laboratoire. Quand les deux personnages attendent pour traverser la route, la couleur violette du parapluie de Jeanne-Michèle vient occuper la moitié du plan – lui est l’un des rares piétons à subir la pluie. Tout est opposition dans les premières minutes du film.

La grande intelligence de Paul Vecchiali, c’est de voir s’il peut y avoir un terrain d’entente pour que les deux personnages croisent le regard dans le cadre. Le chemin est long avant d’y parvenir, Pierrot joue la comédie. Cette promesse d’une fusion des corps passe par une multitude de subterfuges. Quand Jeanne-Michèle accepte l’invitation à dîner, les dialogues reflètent les rapports de classes. C’est la musique qui fait le lien lors de cette séquence où le rouge est partout. La nappe, les rideaux, tout évoque la passion si on ne prête pas attention à l’une des premières scènes du film. Tout est bleu chez Pierrot, ses rideaux, ses fringues, sa tenue de travail. De l’autre côté de la table, Jeanne-Michèle porte quelques lignes de bleus. Il ne voit donc plus qu’elle et ce rouge n’est peut-être pas celui de la passion.

Paul Vecchiali – rétrospective “L'étrangleur” et “Corps à cœur” |  Culturopoing
Nicolas Silberg et Hélène Surgère © Shellac Sud

Ô mon amour

Corps à cœur garde sa ligne du mélodrame jusqu’au bout en optant pour une construction originale au milieu du film. Après la rupture d’une histoire qui n’a jamais vraiment commencé, Pierrot se morfond dans le chagrin. Maintenir Jeanne-Michèle le plus loin possible du cadre est une manière de l’oublier. Sauf que l’environnement de Pierre est contaminé, le rouge est partout. Le personnage s’échappe à la mer pour mettre une distance. Il retrouve une ancienne copine, devenue mère de famille. Son fils s’appelle Pierrot. Elle ne l’a jamais oublié et lui va jouer de ses sentiments pour reprendre confiance.

Les deux corps entrent en harmonie, le temps d’une escapade sur la plage. Pierrot échappe toujours aux autres, il vit dans l’instant présent. La parenthèse est revigorante mais s’arrête brutalement quand Sonia vit ses derniers instants. Le temps s’accélère et Jeanne-Michèle revient dans le cadre. Elle annonce à Pierrot qu’elle n’a plus que trois mois à vivre. Ils partent ensemble dans le midi, comme un dernier tour avant de mourir. Le montage est brutal, nous trimballe dans une scène à l’autre. C’est beau et terrible à la fois puisque la mise en scène de Paul Vecchiali joue de la peur par le théâtre. Les deux jouent la comédie sauf quand ils couchent ensemble. Là, la différence de classe, les fictions qu’ils s’inventent semblent s’éteindre. C’est une constante chez le cinéaste, cette précipitation pour déjouer la mort.

L’une des dernières scènes du film, peut-être la plus belle, se joue sur un toit de la rue. Les personnages que l’on a croisé se retrouvent pour rendre hommage à Sonia et pour fêter un anniversaire, celui de la mère de Pierrot. Ils rejouent tous la même comédie, reprennent des chansons et se moquent de Pierre. Marcelle (géniale Liza Braconnier), la femme du garagiste, vient pénétrer la fiction avec du réel. Les usines ferment, Sonia est morte, elle les qualifie de morts-vivants. Le message passe, la comédie reprend. Les fleurs passent sur la table et le gâteau est découpé. Dédié à Jean Grémillon, Corps à cœur est l’un des plus beaux films de Paul Vecchiali.

Critique : Corps à cœur, de Paul Vecchiali - Critikat
Hélène Surgère et Nicolas Silberg © Shellac Sud

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