CINÉMA

Les Centres audiovisuels à l’épreuve du confinement : Rencontre

© DR

Alors que le second confinement touche bientôt à sa fin et que les salles de cinéma auront l’autorisation de rouvrir, nous avons souhaité aller à la rencontre d’autres acteur.rices du domaine de la médiation audiovisuel qui ont joué un rôle essentiel auprès des publics durant la période du confinement. Céline Bresson, Nicole Fernandez Ferrer et Philippe Germain ont accepté de nous parler de la manière dont ils ont vécu cette crise du covid au sein de leurs structures.

D’abord Centre Audiovisuel construit au cœur du quartier de la Villeneuve, la Maison de l’Image acquiert son nom et son statut actuel en faisant fusionner, en 2013, le Centre Audiovisuel et la Maison la Photo de Grenoble. Sa directrice, Céline Bresson en résume ainsi l’activité, « Le cœur de métier des activités de la Maison de l’Image c’est de faire de l’éducation aux images et aux médias avec une approche pédagogique : fabriquer de l’image ensemble nous permet de construire un certain recul critique par rapport aux images ».

La Maison de l’Image intervient entre autre dans les classes de Grenoble et de sa région afin que les /élèves apprennent à fabriquer des images, rencontrent des artistes et aiguisent ainsi leur esprit critique sur des sujets de société touchant à l’outil numérique, comme les fake-news, le cyber-harcèlement et les usages numériques des jeunes. À l’issue de ces séances de réalisation, les films des élèves sont projetés dans une salle de cinéma de Grenoble et ces dernier.ère.s sont invité.e.s à échanger avec d’autres élèves sur leur travail.

Par ailleurs, la structure développe également des projets en zone rurale, comme comme le Petit Cinéma de Classe : À l’issue de ces séances de réalisation, les films des élèves sont projetés dans une salle de cinéma de Grenoble et ces dernier.ère.s sont invité.e.s à échanger avec d’autres élèves sur leur travail. Par ailleurs, l’Ecole du Blog, propose aux élèves des collèges à la périphérie de Grenoble de se former à l’interview journalistique et faire la couverture photo et vidéo d’artistes en résidence sur le territoire à travers des clubs médias animés par les intervenant.e.s de la Maison de la Photo. Les productions sont ensuite postées sur le site cultiblog, que les élèves peuvent alimenter de manière autonome.

© Maison de l’Image

Du côté du Val de Loire, Ciclic, établissement public de coopération culturelle dont le siège social est basé dans la petite commune de Château-Renault, s’attache à faire rayonner la culture sur le territoire à travers quatre grands axes  : le soutien à la création et à l’émergence des jeunes artistes (écrivain.e.s, cinéastes), l’aménagement culturel du territoire, très contrasté, qui se divise entre métropoles et zones rurales, les liens intergénérationnels et la conservation d’archives filmiques. Parmi ses activités, Ciclic collecte et conserve ainsi depuis dix ans des vidéos amateurs tournées sur le territoire, qu’elle numérise et rend accessible aux publics et aux professionnels de l’audiovisuel.

Une activité essentielle de médiation à l’image autour de laquelle s’est aussi construite l’identité du Centre Simone de Beauvoir, fondé originellement en 1982 à Paris par les militantes féministes et vidéastes Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder. Après plusieurs années de fermeture, le Centre rouvrait en 2004 autour des mêmes activités de conservation qui étaient siennes à l’origine (conserver, valoriser, restaurer et produire des œuvres de femmes cinéastes) mais développe en parallèle une activité d’éducation aux questions de genre et aux images, aujourd’hui très importante pour la structure. Le Centre Simone de Beauvoir intervient ainsi en milieu scolaire (écoles, universités, écoles d’art, etc.) mais également en milieu carcéral, avec des projections mensuelles à la Maison d’arrêt de femmes de Fleury Merogis.

Le(s) confinement(s)  : s’adapter coûte que coûte

Pour Nicole Fernandez Ferrer (Centre Simone de Beauvoir), Céline Bresson (Maison de l’Image) et Philippe Germain (Ciclic) l’annonce du premier confinement a été ressentie comme un choc et s’est accompagnée d’un véritable sentiment de mise sous cloche de leurs structures respectives. Les trois structures ont fermé leurs portes jusqu’à la fin du confinement et n’ont plus pu intervenir dans les écoles et dans leurs divers lieux d’activités extérieures. Il a donc fallu trouver des moyens d’entretenir le lien et de diffuser la culture auprès des publics, comme avec le Médialab, un tiers-lieu de la Maison de l’Image que Céline Bresson a maintenu en activité mais à distance durant le confinement, « On a un Médialab à la Maison de l’Image, habituellement ouvert tous les mercredis, tous.tes les jeunes de Villeneuve, de la Métropole ou de l’agglomération pouvaient venir et dire : « J’ai envie de faire des images, est ce que vous pouvez m’aider ? » On a accompagné les jeunes pour qu’ils puissent tourner, on a répondu aux demandes. »

Pour Philippe Germain, directeur de Ciclic, le confinement a remis un coup de projecteur sur la problématique de l’inégalité de l’accès à la culture et au numérique entre métropoles et espaces ruraux. Puisque l’activité du Cinémobile, un camion qui se déplace dans les espaces ruraux du Val de Loire pour projeter des films là où il n’y a pas de salles de cinéma, a été totalement mis à l’arrêt par le confinement. Alors que son action vise précisément à apporter de la culture sur des territoires où l’accès de contenus dématérialisés, principaux outils de relais des structures culturelles pendant le confinement, est très inégal. De ce côté-là, la structure a proposé de nombreuses initiatives via son site internet pour entretenir le lien avec ses usagers.ères, c’est le cas de «  Partage  » un espace de ressources pédagogiques  pour enseignant.e.s et usagers (courts-métrages, ciné-poèmes, lectures, etc.) mis en ligne durant le premier confinement.

© Ciclic

Le Centre Simone de Beauvoir, qui a également vu ses activités s’arrêter aussi bien dans son enceinte que dans les lieux extérieurs (écoles, universités, prisons, etc.) a pu compter sur un partenariat solide avec plusieurs plateformes en ligne dédiées au cinéma. Nicole Fernandez Ferrer, sa directrice évoque notamment le partenariat avec la plateforme documentaire Tënk qui a mis à disposition des usagers une programmation «  Restons confiné.e.s, restons féministes  », afin de palier à la rupture avec l’alimentation en contenus féministe, pédagogique et culturelle qu’entraînait la fermeture du Centre. Le site de la Cinetek s’est également fait le relais de plusieurs œuvres disponibles dans le catalogue du Centre Simone de Beauvoir, puis la commande de DVD et l’achat d’images par les professionnels de l’audiovisuels ont permis à la structure de se maintenir à flot avec ces apports d’autofinancement.

© Tënk

Nicole Fernandez Ferrer souligne que ce temps du confinement a également été l’occasion de se consacrer à un travail plus méticuleux au cœur des archives « On essaie de se pencher un peu plus sur le travail que j’appelle un peu, sous-terrain des archives  : revoir les résumés de films, les mots-clés, les captures d’écrans pour les DVD. Qui sont des choses qui prennent beaucoup de temps là où habituellement on est beaucoup pris dans l’action. Le petit avantage du confinement c’est de pouvoir se pencher sur les choses comme ça qui sont dans un temps plus lent et qui demandent du calme. »

Premier et deuxième confinement  : Quelles différences pour les structures  ?

Le paradoxe du premier confinement  pour les structures a résidé dans cette tension entre arrêt total des activités et émergences d’initiatives créatives inattendues. La Maison de l’Image de Grenoble a ainsi proposé aux jeunes du quartier de la Villeneuve de réaliser des films de fenêtre, publiés ensuite via son compte Instagram. Mais des propositions sont également arrivées de l’extérieur, raconte Céline Bresson « Il s’avère qu’une chorale chantait tous les soirs à 18h pendant le confinement de balcon à balcon. Et une personne de la chorale qui nous connaissait nous a dit «   Est-ce que vous ne pouvez pas faire une vidéo, comme ça on montre que la Villeneuve c’est pas morose pendant le confinement, qu’il y a de la vie. » À Ciclic, le temps du confinement a également été paradoxal pour les enjeux de création de la structure, puisque Philippe Germain son directeur nous confiait qu’un groupe de réalisateur.ice.s de cinéma d’animation a choisie de se confiner dans le studio pour terminer son film, faisant ainsi vivre le lieu.

La période du deuxième confinement a quant à elle été vécue différemment par les structures, d’abord parce qu’elles ont cette fois pu maintenir certaines de leurs activités (interventions en présentielle dans les écoles et autres établissements.) mais aussi parce que le premier confinement les a amenées à repenser leurs pratiques de médiation et leurs moyens d’entretenir le lien avec les publics. Confrontée à la fermeture du musée qui hébergeait son « Mois de la Photo », la médiation avec un photographe a donné à Céline Bresson l’idée de délocaliser l’exposition photo de ce dernier dans une des écoles de Grenoble, afin que les élèves puissent quand même en profiter. Elle rappelle à ce titre que  le choix d’accueillir ou non des intervenant.e.s en milieu scolaire est actuellement laissé à l’appréciation des chef.fe.s d’établissements de l’académie de Grenoble, aucune directive  nationale officielle ne l’empêche durant ce second confinement.

Pour le Centre Simone de Beauvoir, l’endroit où l’activité avait cessé le plus brutalement durant le premier confinement était les prisons « Cet été on a réussi a avoir l’autorisation pour faire un atelier d’analyse de film avec un petit groupe de femmes détenues, dans le respect des conditions sanitaires. On était très heureuses fin juillet de les retrouver et après on attendait la réouverture des prisons et on a su mi octobre que ça ne reprendrait pas. C’était pour nous quelque chose de très négatif parce qu’en prison les activités culturelles c’est un bol d’air pour les détenu.e.s. » De la même manière que la médiation auprès de certains publics ne peut être remplacées par des initiatives dématérialisées, les salariées du Centre Simone de Beauvoir n’ont pas souhaité surinvestir la ressource pédagogique en ligne Genre et Image, préférant attendre le retour des ateliers en présentiel pour reprendre en profondeur la médiation sur les questions de genre et de féminisme. Elles ont cependant continué d’alimenter le site du Centre Simone de Beauvoir en soutenant la dénonciation des violences faites aux femmes et aux enfants durant le confinement.

Outre la question de la diversité des publics et leurs accès à la culture et au numérique sur le territoire, les confinements ont également amené les structures à se confronter aux difficultés de diffusion relatives aux différents objets culturels qui sont au cœur de leur travail de médiation. Philippe Germain remarque à ce titre que les initiatives autour du livre ont pu se poursuivre bien plus facilement en présentiel dans les écoles que les activités autour du cinéma « Faire découvrir Johnny Guitar ou des programmes de courts-métrages par internet aux élèves ça ne m’intéresse pas, mais par contre on a fait des ateliers, des formations, ce qui était important c’était de maintenir le lien avec les publics. » Une décision propre au milieu scolaire, puisque la structure a par ailleurs largement mobilisé les possibilités de sa plateforme en ligne pour entretenir le lien avec ses usagers. C’est le cas de la séance en ligne «  Marie Dupont- Le journal intime d’une enfant de la région Val de Loire  » qui a réuni plus de 400 personnes qui ont pu échanger simultanément et commenter la diffusion du film d’archives via la plateforme de Ciclic. Une jauge légèrement supérieure à celle atteinte habituellement par les séances en présentiel et qui a permis de faire connaître Ciclic au-delà du Val de Loire.

L’accompagnement et l’aide aux structures pendant le confinement  :

Pour les trois structures interrogées, l’impact financier du confinement a été minime en apparence mais toutes alertent sur l’onde de choc qui pourrait se faire sentir si les activités ne reprenaient pas comme espérées à l’aune de 2021/2022.

Au Centre Simone de Beauvoir les demandes de chômages partiels ont été acceptées et le poste le plus impacté en termes d’activité a été celui de Nicole Fernandez Ferrer, sa directrice, qui est en temps normal amenée à se déplacer très régulièrement dans les festivals de cinéma français et européens. Une perte qui a pu être compensée par la tenue de certains festivals de cinéma en ligne « En ce moment je suis en ligne le festival du documentaire d’Amsterdam, puisqu’il n’a pas lieu en présentiel. Tous.tes les professionnel.le.s suivent en ligne, on peut à la fois voir des films et rencontrer des gens. Evidemment je visionne en priorité des films réalisés par des femmes, avec des thématiques féministes, militantes. De la même façon je suis aussi le festival Jean Rouch, qui est un festival de cinéma documentaire et ethnographique et là y a pas mal de film très intéressants sur les femmes. Donc voilà on essaie de continuer à travailler parce que nous c’est comme ça qu’on repère des films et qu’on les prend éventuellement ensuite en distribution chez nous.  »

Pour Céline Bresson à la Maison de l’Image, la crainte de devoir se séparer de collaborateur.ice.s a rapidement été dissipée par l’apport d’aide de la région et de la ville de Grenoble, qui ont permis de compenser les pertes sèches représentées par la suppression des prestations dans les écoles et les lycées. De la même manière, Ciclic a pu compter sur le soutien financier du conseil régional du Val de Loire ainsi que du CNC, une activité développée autour du mécénat depuis quelques années par la structure a également permis d’acquérir des apports financiers nécessaires durant la pandémie. Parmi ces engagements auprès de structures extérieures, Philippe Germain évoque le projet  d’aller projeter des films dans les EHPAD grâce au Cinémobile, pour répondre à la violence avec laquelle la crise du covid a touché et isolé les personnes âgées. Aujourd’hui cette initiative est suspendue à la reprise de l’activité du Cinémobile qui a constitué la plus grosse perte des deux confinements pour Ciclic.

« Aujourd’hui on se dit que ça va être très compliqué et qu’il va falloir être attentif aux nouveaux entrant.e.s que ce soit du côté de la création et professionnellement. Comment on accompagne aujourd’hui les jeunes qui veulent faire leur entrée dans le milieu culturel  ? »

Philippe Germain, directeur de Ciclic.

Pour les trois structures, le soulagement d’avoir pu rouvrir et d’avoir mis à l’abri leurs salarié.e.s fait aujourd’hui place à une inquiétude vive au regard des répercussions économiques de la pandémie sur les saisons culturelles à venir. Des craintes partiellement dissipées par l’annonce de la réouverture des structures culturelles le 15 décembre qui va permettre à la Maison de l’Image, Ciclic et le Centre Simone de Beauvoir de retrouver ses publics. Le Mois de la photo réouvrira ses portes dès le 16 décembre à Grenoble, pour les parisien.ne.s le Centre Simone de Beauvoir devrait pouvoir organiser une projection le 21 décembre à la Cité Audacieuse et il faudra attendre le 6 janvier pour que le Cinémobile recommence à sillonner les routes du Val de Loire.

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