© Production/Warner Bros
Chaque mois, la rédaction de Maze revient sur un classique du cinéma. Le mois dernier, nous nous sommes penchés sur Little Miss Sunshine de Jonathan Dayton et Valerie Faris (2006). En décembre, c’est l’incontournable film de mafia Les Affranchis de Martin Scorsese que nous allons décortiquer.
Les Affranchis est le film de gangsters qui ne vieillit pas. Sorti depuis près de trente ans (1990), il ne cesse d’être une référence en matière de films d’action. Pourtant, ce n’était pas gagné au départ. En effet, Martin Scorsese a confié à Entertainment Weekly que le film n’avait pas été apprécié lors des projections « test », où les spectateurs quittaient la salle en raison d’un excès de violence. Quoi qu’il en soit, le film est devenu année après année, un film culte, une référence incontournable.
Le long métrage est l’ adaptation du livre Wiseguy du journaliste Nicholas Pileggi et raconte l’histoire vraie de Henry Hill (Ray Liotta), un homme dont l’objectif a toujours été de devenir gangster. Il y arrive avec l’aide de deux de ses amis, Jimmy Conway et Tommy DeVito. C’est aussi ce qui va entraîner sa chute
Plus qu’un film, une immersion
Le film dure 2h28 mais est bien rythmé par des scènes puissantes voire fracassantes. Entremêlant bagarres, humour noir, élégance et soif d’argent, Les Affranchis ne laisse pas de répit à nos émotions.
Henry Hill n’a qu’un objectif : devenir un gangster. Depuis qu’il est adolescent, il ne fait qu’une chose : fantasmer sur la liberté dont jouissent les mafieux. Il va faire tout son possible pour en devenir un, et pour ce faire, il commence à travailler pour Paulie Cicero (Paul Sorvino). À partir de ce moment-là, on suit l’évolution d’un homme qui passe de simple envieux à grand mafieux. Son objectif se concrétise enfin lorsqu’il rejoint les « plus grands » au fameux Copacabana, club se situant dans l’ Upper East Side.
Le film commence par un flashback violent et sanglant qui fait entrer tout de suite dans le vif du sujet. Ce flashback permet de s’immerger dans le film, renforcé par la voix-off du personnage principal, Henry Hill. L’élément fort des Affranchis est par ailleurs cette narration constante du début à la fin qui va permettre de comprendre l’avancement progressif du film. La première phrase émise par la pensée d’Henry lors du flashback : « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un gangster. Pour moi, être un gangster était mieux que d’être président des États-Unis. », scène aujourd’hui culte, permet de connaitre une partie de la personnalité du personnage. Notamment, son admiration pour la vie de truand qui sera montrée tout le long du film jusqu’à sa chute progressive. La narration en voix-off permet de présenter chaque personnage un par un et chaque détail des protagonistes, elle donne également un aperçu de l’impression qu’ont ces derniers du personnage principal. Cela permet une immersion dans la conscience et dans les perceptions d’Henry. Par la suite, la narration va changer et être reprise par Karen Hill (Lorraine Bracco), sa compagne et seul personnage féminin mis en avant dans ce monde de « brutes ». Cette passation de narration fait accéder à un univers plus sentimental : elle évoque sa déception amoureuse, puis au fur et à mesure ses sentiments grandissants pour son mari. Une nouvelle fois, cette voix-off nous permet de suivre l’évolution d’un personnage, de sa vision des choses et de ses sentiments. L’immersion très forte, amène à comprendre Karen et à ressentir de la pitié pour elle notamment face à la tournure de leur relation.
Des personnages emblématiques
L’envie persistante du personnage principal de devenir un gangster se fait d’ailleurs ressentir à chaque scène qui suit, et plus fortement lors de sa présentation du personnage de Jimmy Conway. Ce dernier, incarné par Robert De Niro, acteur fétiche de Martin Scorsese, est un personnage discret mais charismatique. Le personnage envieux d’Henry Hill et accompagné du sérieux de Jimmy Conway ne serait rien sans le dernier membre emblématique de ce trio, Tommy DeVito, incarné par Joe Pesci. Tommy DeVito est l’inverse même de Jimmy Conway, il ne connait pas la discrétion puisqu’il se laisse mener par ses excès de colère. Ceux-ci le pousseront à mettre des coups dès qu’il en aura l’occasion, en témoigne la scène dans laquelle le propriétaire du cabaret lui demande de régler l’addition et où en réponse, il lui brise une bouteille sur la tête. S’en suit une certaine complaisance de ses collègues qui se tordent de rire, symbole de ce pouvoir que ces derniers possèdent et pensent interminable. Ce trio emblématique est donc incarné par un trio d’acteurs talentueux, une des raisons de la réussite du film.
Les outils d’une réalisation réussie
Le film est très rythmé, accompagné d’une bande-originale qui permet à Martin Scorsese de sublimer l’ensemble. Le cinéaste parlera d’ailleurs de film « jukebox » afin de symboliser cette suite de morceaux de rock et de jazz essentiels a l’ambiance. La bande originale est soigneusement accordée à chaque scène. Selon l’époque, la bande-son évoluera et donnera à valser en plein dans la décennie correspondante. Quant à la caméra, elle ne cesse d’être en mouvement, permettant de suivre l’histoire des protagonistes progressivement mais de manière dynamique. C’est par un premier travelling que la dynamique va opérer avec une présentation qui navigue de personnage en personnage. Cette manière d’utiliser le travelling sera d’ailleurs présente plus d’une fois puisqu’elle a notamment joué un rôle dans l’élaboration de la scène la plus mythique du film : Henry Hill, accompagné de Karen, traverse les pièces du club Copacabana une à une, tandis que la caméra les suit et ne laisse paraître que leurs dos. Cette scène élégante symbolise le pouvoir acquis par Henry Hill en réunissant les plans où les salariés sont à son service et à ses petits soins, tandis qu’il ne cesse de donner des billets à chacun d’eux. Pour finir, il ne cesse d’être reconnu par ses confrères et salué, son ascension est confirmée. Toutes les portes s’ouvrent et tout lui sourit désormais, lui qui n’était qu’un simple jeune envieux d’une famille modeste d’immigrés.
Entre violence, amour et famille
La violence n’est pas seulement exprimée par la vie de mafia et par les nombreuses scènes d’excès de colère de Tommy, mais aussi par le biais d’autres personnages comme le père d’Henry qui n’hésite pas à le frapper à coup de ceintures. La famille, en effet, tient une place importante dans Les Affranchis. Lors de ces réunions familiales, une certaine humanité apparait chez ces mafieux, faisant presque oublier qu’ils ont tué une personne dans la scène juste avant. Chaque membre de cette famille mafieuse bénéficiera de son propre « arrêt sur image » : Martin Scorsese prendra le temps de nous les présenter un à un. La famille est a priori sacrée pour les mafieux, mais il s’avèrera rapidement que ce n’est pas vraiment le cas. Au point de non-retour, chacun trahit l’autre avec une facilité déconcertante pour des personnages prônant cette fraternité de chacun des membres du groupe. La pensée de Karen nous dira en plein milieu du film : « C’est comme s’il avait deux familles ». En effet, les scènes de réunions familiales contrastent avec les scènes de violences et nous laissent pendant un moment apprécier une simple réunion de différents protagonistes loin des coups de poings et des bains de sang.
D’une certaine manière, il y a aussi un semblant de violence dans l’histoire « d’amour » de Karen et Henry. En effet, leur relation est assez mouvementée. Au début, Henry fait tout pour séduire Karen et il réussit. Le fait qu’il soit un mafieux ne semble pas lui déplaire, c’est même précisément ce qui l’attire notamment lorsqu’Henry la sauve de son voisin qui tentait de l’agresser. Néanmoins, les femmes ne sont pas traitées dignement, l’excès de pouvoir se traduit également par une infidélité constante de ces hommes pour leurs compagnes. Karen en sera d’ailleurs une victime et son histoire d’amour avec Henry va basculer et sera le premier élément déclencheur de la chute progressive.
La chute progressive d’Henry Hill
Les moments de gloire d’Henry Hill ne vont pas durer. Sa vie va prendre petit à petit un tournant tragique. C’est lorsqu’il décide de rejoindre Tommy DeVito et Jimmy Conway afin de tabasser Billy Batts (Frank Vincent) de la famille Gambino que tout va basculer. Tommy n’ayant pas supporté que Billy le traite de « cireur de chaussures », n’hésite pas une seule seconde à se venger. Cette scène remplie de tensions finit par se conclure par un passage à l’acte avec une musique rendant la scène saugrenue.
Les Affranchis, c’est enfin un film qui pourrait être qualifié de « loufoque ». Malgré cette ambiance violente, l’humour est présent. Les personnages sont tellement imbus de pouvoir qu’ils en deviennent même ridicules. Ce film de gangster revisite le genre et Martin Scorsese ne juge pas ses personnages. Cette volonté permet ainsi de nous attacher particulièrement au personnage d’Henry Hill, ceci étant renforcé par la voix-off du personnage qui rapproche le spectateur de ce dernier grâce à la connaissance de ses pensées dans les moindres détails. Cet attachement au personnage est également dû à la fascination portée sur son mode de vie alliant sorties chics et bagarres, réunions de familles et trahisons.