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Autrefois loué et adulé, Emmanuel Macron est aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques venant d’une partie de la presse et de la communauté internationale. En cause : le tournant sécuritaire et autoritaire insufflé au régime.
Que les beaux jours du printemps 2017 semblent loin pour Emmanuel Macron. A l’époque, l’élection du candidat d’ En Marche avait suscité l’émoi auprès des voisins européens et de l’autre coté de l’Atlantique. La presse internationale le peignait comme la figure du renouveau générationnel, un « libéral décomplexé » titrait le New York Times, un « antidote à la vague populiste » selon The Financial Times. Le président, fraîchement élu s’érigeait lui-même comme le premier défenseur des libertés.
Trois ans plus tard, le contraste est saisissant. Les observateurs, qui hier s’enthousiasmaient de l’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête du pays, le critiquent maintenant ouvertement et dénoncent la « dérive autoritaire » que semble prendre le régime.
Darmanin : le symbole d’un virage autoritaire
La politique menée par le nouveau gouvernement de Jean Castex – formé le 26 juillet – cristallise une réorientation à droite du régime. Exit l’image du président novateur, ni de droite ni de gauche, ouvert au dialogue, conciliant, Emmanuel Macron a revu son ordre du jour : sa priorité semble maintenant être la réaffirmation de son autorité.
Acculé par une mouvance sociale contestataire hétéroclite – Gilets jaunes, mouvement pour le climat, manifestations en faveur d’une justice raciale, contre la réforme des retraites, mobilisation des jeunes, etc. -, le chef de l’État a envoyé un message fort avec la nomination au ministère de l’Intérieur de Gérald Darmanin, fervent soutien et défenseur de la police. Avec cette nomination, le président a mis fin au dialogue, désormais la réponse tient en deux mots : ordre et fermeté.
« Nous assistons à une crise de l’autorité. Il faut stopper l’ensauvagement d’une certaine partie de la société. Il faut réaffirmer l’autorité de l’État et ne rien laisser passer. »
Gérald Darmanin, Le Figaro, le 26 juillet
L’acmé du rôle de Darmanin dans le virage que semble prendre le régime est cristallisé par la proposition de loi « Sécurité globale » dont il se fait le défenseur. Cette loi – qui a pour objet de protéger l’action de la police dans le cadre des manifestations— est le sujet de nombreuses critiques en France comme à l’international. Les observateurs dénoncent une « loi liberticide », entravant les droits de l’Homme et la liberté de la presse.
La police : discorde entre le peuple et le pouvoir
Pour comprendre ce virage sécuritaire, il faut revenir en arrière. La politique intérieure d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de ce qui avait été fait par son prédécesseur. Sous le quinquennat de François Hollande, l’administration Valls expérimente des techniques de maintien de l’ordre comme celle de la « nasse » ou la généralisation des LBD (Lanceur de balles de défense). La réponse à la contestation par la violence est dès lors banalisée. Les premières violences policières se multiplient, exacerbées par le mouvement des Gilets jaunes à l’hiver 2018-2019.
Conséquence : une fracture de plus en plus profonde apparait entre la population et ses « défenseurs », les forces de l’ordre. Dès lors, la police n’est plus perçue comme la garante des libertés du peuple mais comme une menace, mise en porte à faux par le gouvernement, elle cristallise la colère de tous en une seule. La dénonciation des violences policières est devenue le point convergent des contestations entre fervents défenseurs de celle-ci et ceux qui la dénonce.
Un régime sensible aux sirènes de l’extrême-droite ?
Président, Emmanuel Macron a toujours pris grand soin de son image auprès de la communauté internationale. Or, il semble que l’écran de fumée se soit dissipé et les observateurs extérieurs ne s’y trompent pas.
Emmanuel Macron ne parvient plus, malgré ses belles paroles, à cacher l’affermissement autoritaire de son régime. Au contraire, le décalage entre le discours qu’il porte et la réalité des faits est de plus en plus évident et rappelle, parmi certains des observateurs les plus sévères, une connotation populiste qui fait écho à un certain Trumpisme que dénonce le quotidien allemand Frankfurter Rundschau.
La radicalisation du discours du chef de l’Etat et de son gouvernement, qui se retrouvent à mobiliser des valeurs sécuritaires et identitaires, d’ordinaire propre au populisme d’extrême droite vient faire écho à ce type de comparaison. Dans une allocution pour la télévision algérienne en 2017, le candidat d’En Marche qualifiait la colonisation comme un « crime contre l’humanité ». Presque 4 ans plus tard, son nouveau premier ministre Jean Castex au micro du 20h de TF1 a récemment refusé de « s’autoflageller et regretter la colonisation ».
La dénonciation depuis les récents événements d’un « islamo-gauchisme qui fait des ravages » selon les mots de Jean-Michel Blanquer en est une illustration supplémentaire. En réaction aux attentats, le conseil des ministres a prononcé mercredi dernier la dissolution du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France). Selon Amnesty International, qui a apporté son soutien à l’association « Rien ne justifie sa dissolution ». L’ONG dénonce ainsi « un coup porté au droit à la liberté d’association et aurait un effet dissuasif sur tous les défenseurs des droits humains engagés dans la lutte contre le racisme et la discrimination ». Le CCIF a pour sa part, reproché au ministre de l’Intérieur de céder aux sirènes de l’extrême-droite.
En Macronie, les masques tombent
Ainsi, de nombreuses voix s’élèvent à l’étranger et dénoncent la mue du régime qui semble reprendre le verbe et des logiques identitaires d’une tendance populiste contre laquelle Macron s’érigeait jadis. La loi « Sécurité globale » est au centre de toutes les critiques, son article 24 comportant « des atteintes importantes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique », selon l’ONU (Organisation des Nations Unies) qui exprime ses inquiétudes directement auprès du gouvernement français.
La proposition de loi, qui a été adoptée la semaine dernière par l’Assemblée Nationale a suscité de fortes réactions. Des organisations comme Amnesty International ou Reporters sans frontières, ont alerté sur le non-respect par ce texte des droits de l’Homme et de la liberté d’expression. Le journal belge La libre parole soupçonne une volonté de la part du gouvernement de vouloir « camoufler les violences perpétuées par certains policiers ».
« Comment est-il possible de démontrer les violences policières sans filmer les policiers ? »
De Volkskrant, quotidien néerlandais
Outre-atlantique, des journaux américains à l’image du Washington Post se font l’écho de « l’indignation des journalistes français et des défenseurs des droits de l’Homme. » Une des critiques la plus sévère vient de Mira Kamdar dans une tribune parut dans The Atlantic : « Le président français semble appliquer une stratégie en trois axes : imposer un maintien de l’ordre intraitable et préparer la répression des grands mouvements sociaux ; étouffer les critiques dans la presse ; reprendre à son compte certains éléments de langage et projets de l’extrême droite. »
« Cette loi risque de transformer la France en État policier, une atteinte flagrante au droit de chacun à la vie privée et une entrave empêchant les citoyens et la presse de mettre la police face à ses responsabilités. »
The Atlantic
La presse étrangère, qui avait salué le choix des Français aux élections de 2017, change de son de cloche et manifeste, suite aux récents événements, son inquiétude pour la liberté et la démocratie en France. De nombreux acteurs craignent une évolution autoritaire et sécuritaire du régime mis en place par Emmanuel Macron, qui ne va pas sans altérer l’image du président à l’international. Reste à savoir si cette tendance, décriée de tout côté, se confirme dans les mois à venir, alors que les élections présidentielles de 2022 se rapprochent à grand pas.