© Tyla Johnson
Le 14 novembre dernier sortait Return, le premier album de Katy J Pearson. À 24 ans, la jeune artiste britannique revisite la pop folk des années 70. Rencontre.
Affiches colorées aux murs, guitare au coin de la pièce, le décor choisi par Katy J Pearson pour cet entretien Zoom consolide l’imaginaire qui l’entoure. Un univers bohème. D’une voix encore légèrement prise par un rhume, l’artiste originaire du comté de Gloucestershire raconte son enfance à la campagne, sa mère hippie, sa passion pour la musique des années 60-70 et le vintage, son précédent projet avorté. À 24 ans seulement Pearson semble avoir eu mille et une vies. « Je vais avoir 25 ans en mars c’est terrifiant » rigole-t-elle. Il y a deux semaines Katy J Pearson a sorti Return son premier album. Un opus impossible à situer. Est-ce 1974 ? 2020 ? La musique de Katy est familière. Elle nous emporte en pleine nature à danser au rythme de guitares, de corps et de violons. Son timbre de voix est pénétrant, à l’intersection de Kate Bush et Stevie Nicks de Fleetwood Mac. Katy J Pearson fait partie de ces artistes émergents de la scène britannique à suivre.
Return n’est pas ton premier projet musical, avant cet album tu as eu une expérience ratée dans la musique. Tu peux nous en dire plus ?
Mon frère et moi écrivons ensemble depuis qu’on a 8 ou 9 ans. Quand on a eu 15 ans, ma mère a été invitée à une station de radio pour parler de son commerce. Elle a raconté au personnel que nous faisions de la musique et elle a montré nos compositions. La radio a voulu les diffuser. À cette époque, j’étais à l’école, je faisais de la musique mais ce n’était pas une chose à laquelle j’avais pensé sérieusement. De fil en aiguille, on a été contactés par un promoteur de Gloucester, gagné un concours de musique, joué en festival. Ça m’a amenée à rencontrer mon ancien manager. On a fini par signer au label Method. Je pense que c’était le mauvais label avec qui signer. On était jeunes, je ne savais pas ce que je voulais essayer de créer. Je pensais que j’allais avoir de la liberté de création mais ce n’était pas le cas. J’ai été jetée dans cette tornade de collaborations avec d’autres artistes pop. Mon frère et moi avons été envoyés à Los Angeles pour écrire quelques semaines et essayer de faire un tube. On a finalement réussi à faire un album mais ça a été annulé parce que ce n’était pas assez bon. J’en ai eu marre et j’ai commencé à écrire des chansons que j’aimais. Ce n’était pas réciproque pour les producteurs et ils m’ont virée. C’était de la merde, mais c’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. J’ai retrouvé mes droits, mes chansons.
Est-ce que tu as senti qu’on attendait quelque chose de toi et de ta musique, parce que tu étais une femme ? Par exemple changer ton style de musique ou ton apparence ?
Oui. Mon ancien label voulait toujours que je m’habille de manière plus féminine sur scène. Je ne pouvais pas porter mes Dr.Martens. Ils voulaient que je prenne des leçons de danse. C’était très frustrant parce que tout ce que je voulais faire c’était jouer de mon instrument et me produire comme une musicienne. Ils ont arrêté de me faire jouer avec mon piano sur scène, je devais juste chanter. Je suis une chanteuse, mais je me sens beaucoup plus en confiance avec ma guitare, je compose et écrit avec elle. Je savais ce que je voulais proposer et ils m’ont dit comment je devais m’exprimer en tant qu’être humain. C’est mon corps et je devrais pouvoir porter ce que je veux. C’est fou que les gens puissent penser avoir ce pouvoir. C’est si déconcertant de voir que le sexisme se produit toujours de nos jours. C’est tellement dépassé et embarrassant. C’était aussi frustrant parce que j’étais jeune, je ne savais pas me défendre et je laissais passer. Je pense que ça fait parti du processus. Tu as besoin de passer par là pour faire face à ce genre de comportement. Tu ne peux pas directement dire « ne fais pas ça ». Ce n’est pas aussi simple que ça. Tu as besoin de comprendre que ça t’arrive, de te dire que c’est arrivé, que c’était de la merde et que tu ne laisseras plus ça se produire.
Après cette expérience ratée, tu racontes que tu as mis du temps à retrouver le goût d’écrire. Tu as même pensé à devenir jardinière ?
J’adore la nature, j’ai grandi à la campagne. Je pense qu’après avoir évolué dans un univers hyper commercial et superficiel je voulais juste partir à la campagne, partir loin de tout ça. Faire quelque chose qui était vraiment bien pour mon esprit et ma santé. J’ai pensé à être jardinière pendant quelques semaines et j’ai réalisé qu’à 21 ans j’avais tellement d’autres choses à offrir. Je devais essayer une nouvelle fois. Après avoir été virée du label, je louais un studio à Bristol avec mon frère. Il est tombé malade et a dû rentrer chez nos parents pour se reposer. J’étais seule à Bristol, je venais juste d’emménager, je me suis dit que je pouvais essayer d’écrire quelque chose. J’ai écrit tous les jours de 9 h à 5 h pendant quelques semaines. C’est là que j’ai écrit Tonight , Hey you , Beautiful soul et Return, quasiment tous les titres de l’album. Écrire ces chansons m’a exaltée. Je n’avais pas composé des titres que j’aimais depuis un moment. Je ressentais de nouveau la passion. Je voulais montrer mes compositions aux gens et voir leur réaction. Par je ne sais quel miracle ils ont aimé et m’ont dit d’en faire un album. Je suis rentrée en contact avec Ali Chant, mon producteur. Il a parlé de mon projet au label Heavenly et ils ont aimé ce que je faisais. Tout est arrivé rapidement. Maintenant que l’album est sorti je suis toujours sous le choc. Je me dis : « comment est-ce arrivé si rapidement ? ». C’est fou ! Mais c’était le bon moment cette fois. Ce n’était pas effrayant.
Peux-tu nous en dire plus sur le titre et le concept de Return ?
Lorsque j’ai fini d’écrire l’album, j’ai su que toutes les chansons allaient ensemble. Elles racontaient toutes une histoire. Je ne voulais pas que les paroles soient trop littérales, je voulais que les gens aient leur propre interprétation. Mais Return parle de résistance. C’était l’état d’esprit dans lequel j’étais à l’époque. Return signe mon retour à la musique, à l’authenticité. C’est un album dont je suis très fière.
Une personne dont l’anglais n’est pas la langue maternelle a tendance à se concentrer sur la mélodie plutôt que sur les paroles. Tes chansons sont assez libératrices mélodiquement parlant. Était-ce voulu ?
Oui absolument. Chacune des musiques a tendance à avoir une fin très ouverte. Musicalement, la production, les accords, le style sont plutôt joyeux. Les refrains sont en accords majeurs. Je voulais avoir une mélodie positive pour contraster avec des paroles tristes. Les couplets sont mélancoliques, mais les refrains ont un happy ending. Je comprends totalement ce que tu dis, je pense que quand j’écoute les parties française des titres de Christine and the Queens ça sonne différemment. La pop musique actuelle te donne une idée de ce que les paroles disent.
Quel genre de son recherchais-tu sur ce premier album ?
Je voulais que toutes les chansons soient bonnes, qu’elles méritent d’être sur l’album. Je voulais être sûre qu’aucune chanson ne se distingue par sa faiblesse. J’ai pensé Return comme une sorte de voyage. Au début, je souhaitais que On The Road soit la dernière chanson. Mais c’était trop prévisible, c’était une fin heureuse. L’album se conclut finalement par Waiting For The Day qui est un peu plus triste mais qui ne fige pas mon univers sonore. C’est une chanson acoustique, elle m’ouvre mon champ des possibles pour le prochain album. Je voulais être cohérent jusqu’à la dernière chanson. Que les gens pensent : « qu’est-ce que c’est ce bordel, d’où ça vient ? On dirait qu’elle chante depuis un puit. » Je souhaitais aussi que cet album soit intemporel pour que les gens aient l’impression d’écouter quelque chose qu’ils ont entendu auparavant sans savoir où. Mais avec une touche de contemporain en même temps.
Les années 70’ sont omniprésentes dans ton album. Est-ce une inspiration pour toi ?
J’aime la musique depuis que je suis très jeune. J’étais obsédée par les Beatles, les Beach Boys, Kate Bush. Même si j’avais 10 ou 11 ans, j’aimais ce genre de vieilles musiques. J’adorais Little lies de Fleetwood Mac, j’aimais beaucoup ce groupe. C’était une grande inspiration. Leur musique est intemporelle, de la pop classique. Christine McVie était une auteure-compositrice britannique extraordinaire. Je pense qu’il y a quelques similarités avec la musique que je fais. Les gens ont fait la comparaison, ce qui est très flatteur. J’ai aussi toujours été fascinée par la scène musicale américaine des années 60-70s. J’ai fait pas mal de recherches sur cette époque. La communauté qu’il y avait était très prolifique : The Byrds, The Mamas and The Papas, Joni Mitchell, Graham Nash, Neil Young, Brian Wilson. Il y avait tellement d’artistes extraordinaires. Ça m’a toujours inspirée. J’aimerais aller et enregistrer un peu aux États-Unis un jour. Il y a une partie de moi qui a toujours voulu voir ce que c’était d’être aux États-Unis et voir ce que des producteurs américains pourraient faire à ma musique.
Quel est ton titre favori de Return ? Pourquoi ?
Je pense que c’est On The Road parce que c’est une chanson que je ne voulais pas sur l’album originellement. Je la détestais. On avait fait un enregistrement de la chanson. J’étais en mode « no way ». Je trouvais ce titre si mauvais. Lorsqu’on a entamé les trois derniers jours d’enregistrement, Ally, mon producteur, m’a dit : « Katy je pense que tu dois lui donner une autre chance ». Je ne voulais pas. Et puis on l’a fait. Mon frère et d’autres musiciens étaient en studio et tout s’est assemblé. J’ai gardé les paroles et la mélodie mais on l’a totalement reproduit. C’était un moment très spécial, quelque chose s’est passé. C’est sorti complètement différemment. Cette chanson était supposée vivre de cette manière. En fait, je n’aimais juste pas la production. Maintenant j’adore l’intro, l’exaltation finale – je pense que l’intro et la fin sont particulières – les paroles, le sens de la chanson. Accepter la vulnérabilité et les défauts de l’autre et puis la nôtre. Il y a aussi quelque chose dans la chanson avec laquelle je me sens très liée à ce moment de ma vie.
Qu’est-ce que cela fait de sortir son premier album en pleine crise sanitaire ? Est-ce stressant ?
En termes de promotion, ça a été assez chouette de faire les choses depuis chez soi, mais d’un autre côté je pense qu’on devient un peu fou. Ce matin j’ai réalisé une interview pour France 24 et ensuite j’ai eu trois autres entretiens. C’est un peu bizarre parce qu’en temps normal j’aurais rencontré les gens dans différentes villes. Ne pas jouer l’album est étrange aussi. Après on ne rencontre pas de grandes difficultés. Tout le monde en Angleterre est confiné. Ça donne à cet album plus de place pour être découvert. Les gens ont plus de temps pour nous donner leurs oreilles. J’ai eu beaucoup de retours, ça a été très émouvant. Les gens me disent qu’ils avaient besoin de l’album. Je me sens très privilégiée d’être dans cette position dans des temps comme ceux-là. Je ne me plains pas, je me sens chanceuse.
Comment vas-tu défendre cet opus sans concert ?
Je pense que dans les prochaines semaines on va travailler avec mon équipe pour donner au public une version live de l’album. J’espère que ce confinement ne va durer que deux semaines de plus et qu’on pourra faire des concerts en respectant la distanciation sociale. On verra, je suis excitée à l’idée de retourner en tournée.
Est-ce compliqué de vivre sans les revenus des concerts ? As-tu un autre emploi en parallèle ?
Quand j’étais en tournée j’arrivais à faire assez d’argent pour subvenir à mes besoins. Avec le coronavirus j’ai commencé à travailler dans un bar à Bristol. C’était bien d’avoir un truc à faire parce que je ne pouvais plus rien faire avec ma musique. Au moins j’avais un boulot et de l’argent qui rentrait de nouveau sur mon compte en banque. Avec la sortie de l’album, je suis un peu plus rémunérée. Les choses vont bien pour moi.
Un dernier mot pour les lecteur-ice-s de Maze avant de se quitter ?
Je ne sais pas… J’espère que les gens vont aimer l’album et que tous les étudiants vont bien ! Je viendrais bientôt en France pour faire des concerts !