© Pierre-Ange Carlotti
À l’occasion de la sortie de son tout premier album Sexy Planet, on a conversé avec la femme énigme Bonnie Banane. Beau chaos, fascination troublante et pouvoir chronologique de la musique : rencontre avec une artiste habitée par la folie des émotions.
Bonnie Banane c’est la foudre qui rencontre le soleil, Sexy Planet une météorite étrange et sublime qui fait s’aligner les constellations. Dans la planète de Bonnie, on danse et on pleure et chaque chanson est un monde en soi, un territoire émotionnel que l’on visite les yeux fermés et le cœur grand ouvert. Une musique fait de groove et de vagues belles-bizarres pour dire le chaos des pensées, la folie douce, parfois grave, des sentiments. Après trois EP et de multiples collaborations avec d’autres artistes de la nouvelle scène pop (Flavien Berger) ou rap (Myth Sizer, Ichon), elle se lance (enfin) en solitaire. Sa voix suave et brisée fait trembler la grande sphère de la musique et chacune de ses apparitions bluffent autant qu’elles fascinent. Aussi émouvante qu’intrigante, Bonnie Banane nous emporte avec elle dans son délire lancinant et transforme la planète en femme éprise de liberté, d’indépendance et de sensualité. Nous l’avons retrouvé une après-midi confinée d’automne dans les bureaux de Grand Musique Management pour une conversation passionnée et une dégustation de chouquettes.
Tu dis que Bonnie Banane ce n’est pas un personnage mais une version plus fantaisiste de toi. Qu’est-ce que tu oses avec Bonnie que tu n’oserais pas dans la vie ?
La vie n’est pas une comédie musicale. Pour moi, le personnage c’est une convention, on a besoin de parler de personnage pour parler de fiction. Par exemple, quand tu vois un film avec Gérard Depardieu, c’est toujours Gérard mais avec différents apparats. Le mot « personnage » c’est une façon de parler de la fiction. Bonnie Banane c’est pour pouvoir parler de ce projet et me permettre de vous divertir. C’est une façon de ne pas se prendre au sérieux. Tu vois les cauchemars que tu fais quand t’es à poil à la sortie des cours ? Et bah si j’avais mon vrai nom civil en tant qu’artiste j’aurais l’impression d’aller au travail à poil tous les jours.
Avant Sexy Planet, il y a eu trois EP et de nombreuses collaborations notamment avec Myth Sizer, Ichon, Chassol ou encore Flavien Berger. Qu’est-ce qui te plaît dans le fait de chanter avec d’autres, qu’est-ce que ça t’apporte ?
Que tu sois chanteur ou peintre, quand tu crées tu n’es jamais seul.e. Je trouve ça super triste de tout faire tout.e seul.e. Ça apporte beaucoup de partager ses points de vue, de sentir la vibe de l’autre, d’apporter la sienne, de raconter des choses ensemble. J’aime bien le côté ping-pong de la musique. J’ai toujours chanté qu’avec des mecs et je trouve que quand une meuf arrive sur un track, la foule s’écarte, tout s’illumine, tout s’ouvre. J’aime bien avoir cette place là. Sur Le Code, j’ai l’impression d’avoir cette place là. Ma pote Sabrina [Sabrina Bellaouel, ndlr] quand elle fait des feat. avec des mecs c’est pareil. Il y a comme une délivrance quand une femme arrive sur un titre, il y a comme une délivrance quand une femme arrive n’importe où d’ailleurs. (Rires)
Et étrangement dans ce premier disque, tu es seule avec toi-même, aucun feat. C’était trop intime pour être partagé ?
Non, pas forcément. Il était juste temps que j’arrête de faire des feat. parce que je me suis trop dispersée à force d’en faire et je sentais que je devenais moi-même une « artiste feat. » Il fallait que je me recentre. Après il y a Makala, SLIMKA et Varnish qui font des chœurs derrière. Ça veut pas dire que je n’aime plus en faire ça veut dire qu’il était temps que je m’arrête d’en faire pour ce projet. Si j’en avais moins fais avant, j’en aurais peut-être mis dans ce disque. C’est une question d’équilibre. J’ai voulu rectifier quelque chose.
Qu’est-ce qu’il raconte de notre planète cet album ?
Ça raconte que ça passe avant toute chose et que l’existence de la nature, de ce qui est plus grand que soi permet vraiment d’aller mieux, ça permet de rester humble. La planète c’est une sorte de béquille sur laquelle tu t’appuies. Quand tu as des soucis humains, tu tournes vers la planète et ça va mieux.
D’ailleurs ton troisième EP s’appelait Sœur Nature, ça remonte à longtemps cet attrait pour la planète.
Oui c’est pas pour rien. C’est peut-être la suite de ça. La nature c’est quelque chose qui m’a fait grandir, ça m’a permis de développer mon intelligence, mes réflexions. C’est un refuge et une chance de pouvoir évoluer dans cette planète.
Ça t’a soulagée de faire ce disque ?
Oui bien sûr. Il était temps. Je me suis moi même créé un suspense personnel. Il y avait des voix dans ma tête qui se demandaient quand j’allais le sortir. Là, il sort et je trouve ça idéal qu’il sorte maintenant. Ça m’angoisse pas du tout qu’il n’y ait pas de concert. C’est une situation exceptionnelle donc c’est intéressant parce que nouveau. Cette situation fait jaillir des questions qu’on ne se poserait pas d’habitude. Je trouve que c’est le moment idéal pour sortir le disque.
Parce que c’est le chaos ?
Oui (Rires). En plus dans Sexy Planet je parle du moment où la planète explose et je trouve ça fascinant.
Ton disque c’est un peu la BO de notre fin du monde quoi ! (Rires)
Oui c’est complètement ça ! D’ailleurs pour moi, faire de la musique c’est faire des B.O. N’importe quel album peut être une B.O. Quand tu écoutes un disque pendant une période, deux ans plus tard, quand tu le réécoutes, tu te souviens de ce moment de ta vie. C’est hyper chronologique la musique. J’espère que ma musique sera un repère chronologique pour que les gens se souviennent de cette période chaotique.
Il y a quelque chose qui relève presque de l’opéra dans Sexy Planet, une sorte d’opéra bizarroïde et contemporain qui nous transporte à travers différents territoires émotionnels comme celui de la séduction (béguin), de la disparition (flash) ou encore de la résilience (deuil). Tu l’as pensé comment toi, ce disque ?
Au début, on a beaucoup été dans l’intellect avec Para One. Moi je suis plutôt dans l’émotion et dans l’intuition. Au final, j’ai essayé d’y aller as we go. Mais je me suis rendue compte que j’avais une façon écologique de produire de la musique, je n’aime pas jeter des morceaux. Quand je fais un morceau, ce n’est pas pour rien, je vais pas le jeter à la poubelle. Je vais forcément le réutiliser d’une façon ou d’une autre et en faire une nouvelle chanson. J’ai besoin de sauver tous les sons. La démarche de ce disque est très écologique.
La plupart des artistes pensent la cohérence quand ils font un disque, toi j’ai l’impression qu’il est plutôt construit dans la nuance, c’est un beau chaos quoi.
Oui c’est comme sur ma pochette et comme dans ma tête. Tout est éparpillé mais tout s’enclenche comme un mécanisme de montre. Tout a une place précise. C’est Théo Lacroix qui a homogénéisé le disque au moment du mix. Mais j’avais envie qu’il y ait de l’éclectisme et du contraste.
Dans ce disque, tous les titres ont une esthétique bien singulière. Tu as travaillé avec plusieurs producteurs (Varnish, Ponko & Prinzly ou encore Loubensky). C’est quoi une bonne prod’ pour toi ?
C’est quand je fais une grimace et que j’ai envie de la remettre direct (Rires). D’ailleurs ça va de pair avec ma façon d’écouter de la musique. Aujourd’hui j’écoute beaucoup moins de sons qu’avant mais je les écoute en repeat.
J’ai été frappée quand j’ai entendu ta voix « parlée » pour la première fois. Elle n’a rien à voir avec celle que tu as dans tes chansons. C’est quel genre d’instrument pour toi, ta voix ?
C’est tout ce que j’ai. C’est le truc le plus mystique qu’on a dans notre corps. J’hallucine encore de cet outil bizarre qui nous permet de communiquer, de pleurer, de crier, de signaler, de susurrer. C’est mon instrument préféré, tu peux l’emporter partout avec toi.
Je ne sais pas si tu es au courant mais tu exerces une grande fascination auprès de tes auditeurs.ices. Et toi est-ce qu’il y a des artistes qui te fascinent ?
Beyoncé je la trouve fascinante. On sent quelque chose de divin dans ses performances, on sent qu’elle a beaucoup prié. Tu sens sa connexion avec Dieu et tu sens que Dieu lui a rendu pour de vrai. Erikah Badu aussi par son économie de mot, de projet. Je suis souvent fascinée par des femmes en général. Carmen Amaya, cette femme du flamenco, chanteuse et danseuse. Quand j’ai vu une vidéo d’elle, j’étais fascinée par sa grâce, sa perfection et son chien.
On sent dans tes textes et dans le choix des mots que tu accordes beaucoup d’importance à l’écriture. Et à l’inverse, tu t’amuses beaucoup avec les interjections, les onomatopées. C’est un terrain de jeu du langage pour toi la musique ?
Grave. Je me suis rendue compte que je parlais trop vite dans la vie parce que quand j’étais petite, on me coupait souvent la parole du coup j’ai le réflexe de parler vite pour caler tout ce que j’ai à dire. Je pense que chanter ça me permet d’être claire et intelligible, de me faire comprendre. La musique m’aide à synthétiser mes pensées.
Pour finir, j’ai lu dans une interview (Soleil Rouge, février 2019) que tu avais peur qu’on ne sache plus parler d’amour mais rassure-moi Bonnie, l’amour n’est pas mort ?
Aujourd’hui, je crois en l’amour parce que je le vis. Mais en terme de chansons et d’Art, je pense que l’amour est grave cuit. Mais à l’époque où Michel Legrand en parlait, cette façon-là d’écrire sur l’amour n’existe plus. Mais tu vois, avec Ichon, on a fait une chanson qui s’appelle Cour des Miracles qui n’est jamais sortie et qui ne sortira sans doute jamais. A l’heure qu’il est, il y a une pétition pour qu’elle sorte (Rires). Dans cette chanson-là, on a réussit à parler de l’amour tel qu’on le vit plus, l’amour idéal, l’amour chevaleresque. C’est comme une chanson de science-fiction parce que ça n’existe plus comme ça. L’amour est moins éternel et infini qu’avant.