SOCIÉTÉ

Le monde du livre veut résister face à la crise

Catherine Frezet, libraire à Marseille, maintient son activité grâce au “Click and collect”. © Photo E.B

Les librairies priées de fermer leurs portes, les grandes surfaces privées de rayon culture. Après un premier confinement difficile, le monde du livre subit de plein fouet cette «  deuxième vague  », comme d’autres filières, mais tente de faire de la résistance.

«  Je ne comprend pas. Pour moi, je suis aussi essentiel qu’un marchand de journaux  ». Dans sa boutique pleine à craquer de romans et de guide de voyages, Catherine Frezet est toujours en colère. Sur la façade de sa librairie du centre-ville de Marseille, les stores sont à-demi fermés. Depuis l’annonce du confinement, les marchands de livres, jugés «  commerces non-essentiels  », ont dû fermer, comme d’autres commerçants, leur boutique pour la deuxième fois de l’année. En vitrine, une pancarte d’avant l’époque du GPS indique que l’on peut trouver «  toutes les cartes routières  ». Catherine Frezet gère depuis trente ans cet établissement située au cœur de la cité phocéenne, mais s’inquiète de son bilan financier.

Les stores de la librairie de la Bourse sont à demi-fermés.
© Photo E.B

«  Pendant le premier confinement, on n’a rien fait, car on a commencé le Click and collect (réserver des produits et venir les récupérer en magasin, ndlr) au mois d’avril  », raconte la gérante. Les métiers du livre font partie des professions les plus affectées par les restrictions du mois de mars, et connaissent le même sort pour ce second confinement. Catherine Frezet a remis son salarié au chômage partiel. Face à la situation, elle dit regretter la concurrence d’Amazon, et trouve «  normal  » que les grandes surfaces ne puissent pas vendre des produits «  jugés non-essentiels  », comme l’a annoncé Jean Castex dimanche 1er novembre.

Elle a décidé de s’adapter.  Ce jour-là, un lecteur se présente à son magasin. Il a commandé deux livres grâce au «  Click and collect  ». «  Chez moi, c’est plutôt du téléphone and collect, car je n’ai pas de site internet  », s’amuse la gérante. Sur les réseaux sociaux en revanche, elle sait faire sa promotion. La libraire présente sur Instagram les nouveautés qu’elle reçoit, ou réalise des sélections, afin d’attiser la curiosité des clients. Elle estime que cela lui permet de maintenir le tiers de son activité.

La fermeture des boutiques comme la sienne a des conséquences sur l’ensemble de la filière. La maison d’édition Payot et Rivages, qui publie environ une centaine de titres par an, des essais, des polars et de la littérature française et étrangère, a reporté certaines sorties prévues en mars et avril au mois de mai, voire à 2021. Le chômage à temps partiel est souvent la règle. «  Au mois d’octobre, on est encore à -25 % de chiffre d’affaires cumulés  », décrit Olivier Randon, directeur général d’Actes Sud, dont Payot et Rivages est une filiale. « Si la situation perdure, nous aurons recours au prêt relais garanti par l’Etat pour assurer la survie ». Face à la «  deuxième vague  », le monde du livre n’a pas voulu rester silencieux, et à décider de s’organiser. Les syndicats nationaux de l’édition (SNE), de la librairie française (SLF) et le conseil permanent des écrivains ont publié un communiqué commun pour demander au gouvernement la réouverture des librairies.

Télétravail et vente en ligne

Pour survivre, le secteur aborde de façon différente ce reconfinement. Chez Payot et Rivages, les sorties prévues sont maintenues durant cette période, et les salariées sont en télétravail. «  On espère que les librairies pourront rouvrir complètement après les quinze premiers jours de confinement, comme l’a expliqué Emmanuel Macron  », décrit Olivier Randon. On compte aussi sur le dynamisme de la filière. «  On s’attend cette fois-ci à une activité maintenue à 40 % environ, notamment avec le Click and collect  », juge Luc Angelini, assistant d’édition chez Payot et Rivages. L’entreprise a également travaillé sur un nouvelle offre de livres électroniques, avec à la clé un peu plus de ventes en ligne, qui ne compensent pas les pertes engendrées. La vente par internet, elle, n’a pas beaucoup évoluée depuis mars, et représente environ 15 % de l’activité. «  Les gens ont attendu la réouverture des librairies, ou se sont reportés vers les livres qu’ils avaient chez eux  », décrypte l’assistant éditorial.

« Avant le confinement, c’était comme une veille de noël  »

Catherine Ferzet, libraire à Marseille

L’énergie que déploie la filière pour résister illustre un paradoxe : les Français n’ont jamais autant lu que pendant le confinement. Selon une étude publié par l’institut GFK en mai dernier, ils sont 34 % à avoir lu « plus que d’habitude » alors qu’ils étaient priés de rester chez eux. Sur les réseaux sociaux, une mobilisation inédite est née pour soutenir les libraires à l’annonce des restrictions sanitaires. « Le jour d’avant le confinement, les gens sont venus au magasin, c’était comme une veille de noël », fait remarquer Catherine Ferzet. Un attachement qui apparaît, pour la filière, comme une lueur d’espoir. « Pendant le premier confinement, nous avions des romans sortis depuis peu, comme Pacifique, de Stéphanie Hochet, dont on craignait qu’ils pâtissent du confinement, mais cela n’a pas été le cas », détaille Luc Angelini, assistant éditorial à Payot et Rivages. Près de 10 000 exemplaires de l’ouvrage ont ainsi été écoulés. « Les livres qui ont eu de la presse pendant le confinement ont eu du succès en librairie  », décrit Baptiste Renault, responsable commercial des éditions.

Les prix littéraires en soutien

La rentrée littéraire, elle aussi, a donné du souffle au secteur. «  Il n’y avait pas plus de romans sur les étales, mais moins de premiers romans. Beaucoup de maisons d’éditions ont privilégié leurs auteurs majeurs, notamment pour assurer des ventes aux libraires  », analyse Luc Angelini. Les prix littéraires, eux aussi, affichent leur soutien, comme le prix Goncourt, ou celui de l’Académie française qui ont été reporté jusqu’à ce que les librairies reprennent leur activité normale. «  Je comprends les deux positions, les prix qui se maintiennent et ceux qui ont préféré reporter  », estime Olivier Randon. Reste une inconnu  : les fêtes de noël, l’une des plus grosses périodes de vente de l’année pour le monde du livre, suspendue aux décisions annoncées. Chez Payot et Rivages, le directeur général s’attend à une baisse des ventes. «  D’habitude, c’est comme un deuxième mois, mais je ne sais pas à quoi m’attendre  », s’inquiète quant à elle Catherine Frezet.

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